Killian Jones & Emma Swan

Satané pirate. S’il avait la malchance de croiser son chemin, elle aurait deux mots à lui dire. Deux mots, ou plus. Ou, plus probablement encore, chercherait-elle l’issue la plus proche pour détaler. Parce que la dernière chose dont elle avait envie en vérité, là, tout de suite, c’était de lui faire face. Rien que l’idée lui donnait envie de s’enfoncer six pieds sous terre et de disparaître le temps qu’il faudrait pour qu’on en oublie jusqu’à son prénom. Elle n’était toujours pas venue à terme avec ce qui s’était passé lors de leur dernières entrevue, n’était pas sûre de jamais y arriver, et ne souhaitait par-dessus tout pas que cela se reproduise. Emma Swan n’était pas quelqu’un qui se laissait contrôler par ses émotions. C’était la meilleure façon de se prendre des claques dans la vie, et elle en avait pris assez pour savoir que ce n’était définitivement pas une expérience qu’elle entendait réitérer. Elle avait plus d’une fois repensé à la scène, tourné et retourné les images dans sa tête en cherchant un sens, une explication, n’importe quoi, même si ce n’était qu’un mensonge qui lui permettrait de bien dormir la nuit, voire un prétexte à donner à Hook lorsqu’elle n’aurait plus d’autres choix que celui de le confronter – ce qui, elle ne se leurrait pas, arriverait tôt ou tard et plus probablement tôt que tard, hélas – mais rien ne lui venait, son esprit était blanc, refusant de lui donner une quelconque réponse. Les faits étaient clairs : elle avait simplement suivi (manqué suivre) une impulsion. A un mauvais moment, et avec la mauvaise personne, et elle remerciait le ciel de s’être reprise à temps. Si seulement elle s’était reprise un peu plus tôt, un peu plus vite, il n’y aurait vu que du feu. Elle ne devait pas se laisser aller, elle ne devait pas lui permettre de percer ses défenses. Hook était un ennemi, se répéta-t-elle, sans réellement s’en convaincre : elle savait que ce n’était pas vrai, en dépit de l’alliance qu’il avait formé avec Cora. Mais ennemi ou non, ils finissaient tous toujours pas l’abandonner, par l’utiliser, par la manipuler. Il ne ferait pas exception. Sauf qu’elle ne lui donnerait pas sa chance.

Alors pourquoi était-elle sur ses traces ? Bonne question. Pourquoi, après tout, irait-elle chercher un pirate pas franchement discret accompagné d’une sorcière pas franchement bienveillante, tous deux pourvus d’intentions peu louables, qui se promenaient tranquillement dans la ville où elle avait élu domicile, ville dont elle était shérif ? Quelle idée avait-elle bien eu de se porter garante auprès de l’homme le plus puissant de la dite ville pour un pirate qui semblait pouvoir avoir plus de rhum dans le sang que d’honneur dans ses paroles (encore que cela signifierait toujours plus qu’elle, considérant que c’était elle qui l’avait trahie et non l’inverse). Il avait raison ; on en revenait toujours à ce point. Emma maugréa mentalement, levant les yeux au ciel, exaspérée par elle-même, par Hook, par Gold, Cora, le tremblement de terre et à peu près toute chose qui concernait de près ou de loin sa vie depuis quelques jours. Et justement, alors qu’elle avait assuré à Gold qu’elle surveillait le pirate à condition que lui-même garde ses distances, le dit pirate s’était envolé. Volatilisé. Trois jours qu’elle n’avait plus aucune nouvelles de lui, et s’il y avait bien quelqu’un de doué pour retrouver des choses ou des personnes perdues, c’était Emma. C’était après tout ce en quoi consistait son travail à Boston, et si elle s’autorisait un compliment, elle y avait été plutôt efficace. Aucun n’avait échappé aux mailles de ses filets – aucun sur le long terme, en tout cas. Mais le pirate ? Il semblait ne jamais avoir existé. Il n’était pourtant pas franchement discret, avec son long manteau en cuir, sa boucle d’oreille et son eyeliner, sans parler du crochet qu’il avait à la place de sa main gauche. Mais il s’était fait totalement silencieux et évidemment, la jeune femme avait commencé à s’inquiéter. Peut-être tramait-il quelque chose. Pire, peut-être avait-il tenté quelque chose. Peut-être avait-il échoué et peut-être Gold n’avait-il pas tenu sa promesse. Peut-être que son cadavre croupissait quelque part sans qu’elle le sache. L’idée lui glaçait le sang sans qu’elle se l’avoue réellement.
Alors même si tout ce temps, elle l’avait surveillé de loin, elle s’était décidée à investiguer un peu plus en profondeur. Sa première question, bien entendu, était : où se trouverait-elle, si elle était un pirate nommé Hook arrivé depuis peu dans un monde qui n’était pas le sien ? La réponse n’était pas difficile, surtout lorsqu’on faisait le lien avec sa venue : comment, en effet, était-il arrivé à Storybrooke alors qu’elle avait utilisé la boussole et les cendres de son berceau pour revenir ? Et puis elle avait repensé au haricot desséché que Hook avait volé à Anton, aux vertus du lac Nostos, et la suite s’était imposée d’elle-même. Qui disait lac, disait eau, et qui disait eau… disait bateau. Une évidence, pour un pirate, après tout. Le célèbre capitaine Hook n’était-il pas censé être en possession du non moins fameux Jolly Roger ? D'autant que toute la semaine durant elle avait eu des remarques concernant des activités suspectes du côté des docks. Mais un bateau amarré aux quais de Storybrooke se serait vu, et en effet, nulle trace du navire, et ce n’était pas faute d’inspecter.

Elle avait rôdé tout le long des quais pendant plusieurs heures sans rien trouver, et s’était laissée tomber, découragée et agacée, sur l’un des bancs qui bordait les docks. Mais que fichait ce pirate ?! Décidée à passer ses nerfs sur quelque chose, elle se pencha pour saisir quelques galets et les lancer avec force à la mer – en général elle aimait les regarder faire des ricochets, mais elle avait cette fois envie d’entendre le satisfaisant « plouf » sonore de la pierre qui coulait directement au fond de l’eau… sauf qu’il n’y eut pas de « plouf », mais un « bong ».  La pierre avait rebondit sur quelque chose. Quelque chose d’invisible. Intriguée, Emma se leva, s’approcha, et retenta l’expérience avec un second galet. Même résultat. La pierre heurtait ce qui semblait, au bruit, être une pièce en bois, et apparemment massive, à en juger la distance qui avait séparé le lancer des deux pierres. S’avançant sur le quai, elle leva les yeux et aperçu des mouettes tourner étrangement autour d’une même zone où ne se trouvait pourtant rien. L’attention de la jeune femme à présent parfaitement en éveil, elle longea le quai, jusqu’à ce que son pied rencontre un obstacle invisible. Un marchepied ! Les yeux pétillants, elle se hissa dessus et passa bientôt sous le voile de protection qui rendait le Jolly Roger invisible aux yeux de tous. Et quel dommage, car le navire était superbe, fier et digne comme son propriétaire. Un trois-mâts comme on n’en voyait quasiment plus. Emma se surprit à l’admirer pendant de longues secondes avant de scruter les environs, s’assurant que le bateau était désert. Elle n’avait vu personne en entrer ou en sortir depuis qu’elle traînait du côté des docks, soit deux bonnes heures, et n’avait entendu aucune activité non plus. Jugeant que la zone était sûre, elle posa un premier pied sur l’entrepont, s’autorisant à analyser le bateau d’un peu plus près. Si elle parvenait à entrer dans les quartiers du capitaine (et aucune porte ne lui résistait), elle pourrait peut-être trouver un indice quant à ses plans, quelque chose qui lui indiquerait où il était, où ce qu’il avait l’intention de faire, n’importe quoi. Ce n’était peut-être pas très légal mais… aux grands maux les grands remèdes. Elle s’avança donc, en regardant avec curiosité autour d’elle.

La jeune femme n’était peut-être pas une aventurière au sens traditionnel du terme, mais elle avait toujours eu le goût du changement et du danger, raison pour laquelle elle avait multiplié les déménagements avant d’arriver à Storybrooke et avait toujours vécu de manière un peu bohême, qu’il s’agisse de menus larcins, ou d’une vie plus honnête de chasseuse de primes. Et ce bateau ? Il lui disait qu’il avait vu et vécu des choses qu’elle ne verrait et ne vivrait jamais, et elle en ressentait une étrange pointe de déception. S’éloignant du bastingage, elle leva les yeux vers les mâts, admirant le cordage complexe qui retenait les voiles, puis monta à la proue, avant de s’approcher autant que possible du rebord pour admirer la mer qui clapotait contre la coque. Elle se demanda ce que la vie de pirate pouvait être. Les aventures en mer, les destinations inconnues, les trésors à découvrir. Qui n’avait pas rêvé de vivre pareilles choses ?
S’assurant qu’elle était toujours seule, elle se plaça à la barre, caressant du bout des doigts le gouvernail sans oser le faire tourner. Le bois était terni, visiblement souvent utilisé, mais le bateau était dans un état qui suggérait que son capitaine en prenait soin, ce qui ne la surprenait pas vraiment. Fermant les yeux, elle inspira l’odeur marine qui l’entourait, les mains posées fermement sur la barre, et s’imagina mettre les voiles pour une terre lointaine, un petit sourire se dessinant sur ses lèvres. Elle ne l’avouerait probablement jamais, mais toute petite elle avait plus souvent rêvé d’être une pirate qu’une princesse. Assez paradoxalement, elle avait eu plus de chance avec le second choix.

Perdue dans ses pensées, elle en oublia momentanément le sujet de sa visite. Mais après tout, le bateau était invisible et son propriétaire n’était nulle-part en vue, que risquait-elle, au fond ?

Spoiler:

Si Emma avait pour habitude de trouver aisément ce qu’elle cherchait, elle avait en revanche beaucoup moins l’habitude d’être trouvée. Non pas qu’elle se fit une mission de rendre la tâche difficile, au contraire : à quoi bon se cacher lorsqu’il n’y avait personne pour nous chercher ? Mais il fallait bien avouer que cette fois, elle avait été assez imprudente, probablement plus poussée par sa curiosité que sa méfiance.

Elle surveillait le pirate depuis plus d’une semaine en gardant ses distances, attentive à ne jamais l’approcher de près ou de loin. La plus grande partie de ses investigations avait consisté à interroger le voisinage et à s’appuyer sur les talents de traqueur de Wyatt. Pour le reste, Storybrooke n’était pas une si grande ville, et il n’y avait pas mille endroits où il pouvait se rendre. Elle avait elle-même régulièrement fait des tours de quartiers, rôdant tout particulièrement près de la boutique de Gold ou des docks sous prétexte de chercher Cora ou d’enquêter sur le tremblement de terre – deux autres investigations qu’elle menait de front, même si jusque ici, les résultats les concernant étaient plus que décevants : ils étaient inexistants. Sa démarche quant à Hook avait porté ses fruits les premiers jours, lui permettant de garder un œil sur ses allées et venues sans pour autant avoir à se mouiller, et à son grand soulagement, elle l’avait habilement évité même s’il fallait dire qu’il n’avait pas vraiment semblé vouloir lui faire face non plus. Et puis elle était passée du tout au rien. Le pirate semblait avoir cessé tout mouvement, comme volatilisé, ce qui pour Emma ne pouvait signifier qu’une mauvaise chose, et il avait dès lors s’agit d’en avoir le cœur net. Elle n’avait pas vraiment pensé qu’il avait tout bêtement pu passer trois jours dans son coin – il ne lui paraissait pas vraiment être le genre d’homme à très bien vivre l’inaction, et puis surtout, il était venu avec une idée en tête et elle savait qu’il ne la lâcherait pas de sitôt, surtout pas à présent qu’il était si proche de la mettre à exécution. En somme, l’idée ne lui avait même pas traversé l’esprit. Qu’il eût pu vouloir lui tendre un piège ? Et bien peut-être commençait-elle à lui faire confiance, ou bien sous-estimait-elle simplement l’intérêt qu’il avait pour elle, car même si cela ne la surprenait pas de sa part, elle n’avait pas vraiment misé là-dessus non plus. D’une façon ou d’une autre, elle venait de se faire prendre à son propre piège.

Preuve de son insouciance, elle qui était pourtant habituellement toujours aux aguets, les sens en alerte (des réflexes de sa vie de voleuse qu’elle n’avait jamais tout à fait perdus : lorsqu’on s’introduisait clandestinement chez les gens, il fallait se montrer vigilant et surtout, capable d’improviser en toute situation), elle ne l’avait pas entendu sortir de ses quartiers. Son attention à elle était toute tournée vers la barre du Jolly Roger – alors même qu’elle n’avait jamais vraiment été fascinée par les bateaux, elle avait toujours éprouvé une attirance sans fin pour l’océan et il suffisait de tracer son parcours dans le pays pour comprendre. Qu’il s’agisse de Boston sur la côte est, Portland sur la côte opposée, ou encore, plus au sud, Tallahassee en Floride, elle avait beaucoup bougé, mais ne s’était jamais trop éloignée des bords de mer. Peut-être parce que la mer lui donnait un sentiment de liberté et d’ouverture que n’avaient pas les Etats qui ne longeaient pas la côte. L’idée de n’être entourée que de terres l’avait toujours angoissée pour une raison inexplicable. Elle ne le vit donc pas sortir de l’ombre, et ne l’entendit pas non plus approcher malgré les grincements en bois du bateau sous ses pas – à vrai dire, elle n’eut pas conscience de sa présence du tout jusqu’à ce qu’il ouvre la bouche et ne fasse entendre sa voix si parfaitement reconnaissable.

« On rêve d'aventure ma belle ? »

Prise sur le vif, elle lâcha le gouvernail en sursautant, ses yeux cherchant aussitôt une façon de fuir qui n’impliquait pas de passer à plus de quelques mètres de lui, mais à moins de sauter par-dessus bord, la situation semblait assez désespérée. Et puis elle n’avait de toute façon pas pour habitude de fuir la confrontation, et n'avait pas l'intention de commencer maintenant. Le cœur battant, elle se résolut finalement à se tourner vers lui, mais à son grand soulagement, il s’était appuyé au bastingage, lui tournant le dos. A son grand soulagement, mais également à son grand dépit, car de ce fait, elle ne pouvait voir son visage, ni deviner son expression. Son ton, lui, semblait neutre, quoiqu’un peu moqueur, mais cela semblait être son ton habituel et elle ne s’y fiait absolument pas, pas plus qu'au petit nom qu'il lui donnait. Elle n’avait pas idée de ce qui se passait dans sa tête, mais se souvenait de la fureur qu’il y avait eu dans sa voix lorsqu’elle était partie sans demander son reste et qu’il avait crié son nom. Elle avait outrepassé une limite, et elle en avait conscience. Pire que ça, elle aggravait son cas en se faufilant sur son navire sans y avoir été conviée. Et il l’avait à présent à sa merci, sur son bateau, invisible en plus de cela, seule et… non, pas démunie, car cette fois, dans la perspective pas si improbable qu’il se soit attiré des ennuis, elle avait amenée son arme, présentement coincée sous la ceinture de son pantalon, cachée par sa veste en cuir, et la sentir contre son dos la soulagea quelque peu, même si elle savait qu’elle ne lui en serait en vérité d’aucune utilité : elle n’avait nullement l’intention de faire du mal au pirate. Elle n’avait juste pas envie d’avoir cette confrontation, pas maintenant, pas ici, et priait très fort pour qu’il n’amène pas le sujet maudit sur le tapis.

« Tu ne devrais pas être ici. »

Il avait raison, elle n’avait rien à faire là, et elle le savait. Que pouvait-elle répondre à cela ? Qu’elle s’inquiétait pour lui ? Qu’elle était tombée sur ce bateau par hasard et oh incroyable il était invisible comment diable avait-il réussi ce tour ? Qu’elle avait promis à Gold que Hook ne s’approcherait pas de lui afin de s’assurer que lui-même n’irait pas trouver le pirate ? Elle se mordit la lèvre. La meilleure façon pour elle de se protéger était comme toujours de jouer le jeu. Faire comme si. Ne pas le laisser voir combien elle doutait. Elle était shérif, et il était dans sa ville. Ce n’était pas à elle de se sentir hors de son élément, se rappela-t-elle avec conviction.

« Tu ne devrais pas être ici non plus, mais visiblement ça ne t’empêche pas d’y être », rétorqua-t-elle avec assurance et désinvolture, ne désignant cette fois pas le bateau mais bien Storybrooke en général.

Il était plus facile d’être téméraire quand il ne la perçait pas de son regard bleu, constata-t-elle. Et puis au moins la conversation ne s’était pas engagée dans la direction qu’elle souhaitait à tout prix éviter, et afin de s’assurer que les choses resteraient bien ainsi, elle ajouta :

« Je suppose qu’il faut remercier Cora pour la petite touche personnelle. Assez efficace. Pas infaillible, mais enfin je suppose qu’elle a d’autres chats à fouetter. »

Le provoquer n’était peut-être pas la meilleure des tactiques pour éviter toute confrontation, mais une partie d’elle-même, assez conséquente en vérité, préférait l’affrontement à la fuite, et se disait que le mieux était peut-être encore de foncer dans le tas, de lâcher une bonne fois pour toutes ces non-dits qui planaient entre eux, et qu’on en finisse, qu’importe ce qui devait arriver, et c’était sa façon de l’exprimer. Elle détestait tourner autour du pot, ce n’était pas son fort, et c’était évident pour l’un aussi bien que l’autre. Mais ce qui lui faisait peur, c’était de découvrir quelque chose qui ne lui plaisait pas en chemin. Et la dernière fois qu’elle s’était laissé aller avec lui… cela avait bien failli mal se finir.

Pour Emma, une chose était évidente : si elle et sa famille devaient, par un quelconque coup du sort, reprendre tout à zéro dans la Forêt Enchanté (sujet sur lequel elle était encore mitigée malgré l’évident désir de ses parents de retourner dans le royaume auquel ils appartenaient), fille de Snow White et Charming ou non, il était absolument hors de question qu’elle joue le rôle de la princesse. Ce n’était tout simplement pas négociable. D’abord parce que ce n’était pas elle, et que cette vie aurait tôt fait de la rendre malheureuse, entre les diverses responsabilités et toutes les mondanités, et puis parce que, quoiqu’il advienne, elle serait toujours un peu une paria dans ce monde. Elle y était peut-être née, mais elle n’y avait pas grandi, et cela faisait une énorme différence. Elle était aussi douée pour voir quand les gens mentaient car elle-même était une imposture et que sa carapace était faite de paraîtres et d’une assurance qu’elle ne possédait pas réellement. Mais était-elle capable de jouer un tel rôle ? Grands dieux, non. Et elle le désirait encore moins. Elle n’avait jamais été très douée dans ses relations sociales – du moins, plus depuis Neal qui lui avait retiré le peu de confiance en elle qu’elle avait jusqu’alors. Ce n’était pas pour rien que la personne la plus proche d’elle avant qu’Henry ne vienne la trouver était son facteur, et considérant le rythme auquel elle déménageait, ainsi que le peu de lettres qu’elle recevait… et bien cela en disait long sur l’étendue de sa solitude. Que par ailleurs, elle vivait bien. Relativement. Et si des personnes comme Mary Margaret ou Ruby étaient si faciles à côtoyer, c’était plus grâce à leur caractère accommodant qu’à ses propres efforts pour se faire des amies. Ses aptitudes sociales étaient, en quelque sorte un peu… rouillées. Et cela, en cet instant et comme à chacune de ses entrevues avec Hook, se sentait. Il suffisait d’un rien pour faire voler en éclat son assurance, et considérant la situation dans laquelle elle se trouvait présentement (autrement dit : en tort, et en très mauvaise posture), il y avait de quoi se sentir vulnérable. Elle ne savait jamais comment réagir face au pirate : lui-même ne se comportait jamais de la façon dont elle l’aurait attendu ou prédit, ce qui faisait que la plupart du temps, elle se contentait de faire ce qu’elle savait de mieux ; elle l’envoyait balader. Stratégie hautement périlleuse considérant que c’était un pirate dont l’égo ne semblait pas exactement petit, et qui pouvait réagir de façon imprévisible, et surtout dangereuse, mais elle n’avait jamais prétendu prendre les bonnes décisions. Alors lui confier les rênes d’un royaume ? L’idée aurait pu faire sourire si elle n’avait été si terrifiante. Mais, heureusement, la question, pour le moment, ne se posait pas, et ne se poserait peut-être jamais.

Son regard surveillant toujours la silhouette de Hook dont elle devinait le profil, appuyé au bastingage d’un air songeur, parfaitement dans son élément, elle se demanda ce qui pouvait bien lui passer par la tête en cet instant, alors qu’elle venait de lui faire comprendre en des termes peu délicats qu’il n’avait pas sa place ici. Ce qui, techniquement, était vrai. Il n’appartenait pas à ce monde, et cela se voyait – non, cela crevait les yeux, rien que son style vestimentaire tranchait avec celui des autres habitants. Mais cela ne signifiait pas qu’elle ne l’y souhaitait pas – après tout, elle n’aurait pas pris la peine de l’insérer sous sa protection de Shérif, si c’avait été le cas. Mais cela, il ne le savait pas, et ce n’était pas elle qui lui en parlerait. Il y avait de toute façon plus de chances pour qu’il se sente insulté et s’agace en apprenant qu’elle était allée voir Gold pour lui demander de se tenir à l’écart, que pour qu’il se montre touché et reconnaissant de son geste, elle en avait conscience, et n’avait fort heureusement pas fait ça dans le but d’atteindre l’un ou l’autre. Elle s’en voulait d’avoir été si distraite et, réellement, idiote, mais il était trop tard pour faire marche arrière et elle ne reculerait pas à présent qu’il était face à elle.

Il se tourna dans sa direction sans s’avancer, appuyé en arrière dans une posture qui se voulait nonchalante mais qui ne faisait rien pour lui donner une attitude moins menaçante, tel un tigre prêt à sauter sur sa proie. Il souriait, mais son sourire avait quelque chose de forcé.

« J'ai comme l'impression que toute cette ville et ses habitants n'ont rien à faire ici, dans ce monde, et ça ne les empêche pas d'y être. »

Il marquait un point. Personne, à Storybrooke, n’avait sa place dans ce monde, excepté peut-être elle et Henry. Ils venaient tous d’ailleurs, d’un royaume fait de magie et de contes. Mais, contrairement à Hook, ils n’avaient pas vraiment eu le choix de venir ici, et la malédiction leur avait permis de s’adapter, de s’intégrer au décor. Un passé oublié, une nouvelle identité, une nouvelle vie, et vingt-huit ans pour répéter les mêmes gestes, revivre les mêmes choses. Peut-être qu’à présent, si on leur en laissait le choix, certains d’entre eux décideraient de rester ici. Storybrooke leur avait offert un nouveau départ. Pour le pirate, ce n’était rien qu’une ligne d’arrivée.

Mais la jeune femme menait mal son jeu, et c’était visible. Le sourire de Hook s’était élargit d’une façon plus effrayante que chaleureuse et elle comprit qu’il devait probablement faire de son mieux pour ne pas laisser libre court à sa colère. Si c’était le cas, elle avait tout intérêt à changer de stratégie au plus vite.

« Ça ne te regarde pas Swan. Cora se débrouille seule et je fais pareil de mon côté. Je n'ai pas besoin d'elle. »

Super pouvoir ou non, le mensonge était évident. S’il n’avait réellement pas eu besoin d’elle, il aurait probablement déjà brisé leur alliance, et du peu qu’Emma savait à leur sujet, Cora et le pirate, tout en vaquant à leurs affaires respectives, ne rôdaient jamais loin l’un de l’autre. Elle ignorait en quoi la sorcière pouvait lui être utile, mais c’était forcément en rapport avec Rumplestiltskin et plus précisément, sa mort.

Cette réplique, ainsi que la précédente, lui signifièrent clairement, si elle ne l’avait pas déjà compris, qu’elle n’était pas la bienvenue ici. Préférant ne pas entretenir l’animosité ambiante plus que nécessaire et considérant que de toute façon, elle n’avait rien à répondre à cela (car, après tout, Shérif ou non, leurs affaires ne la regardait pas, techniquement), elle garda le silence, soutenant le regard de Hook qui finit par reprendre la parole, décidé à en venir au but.

« Tu veux quoi Emma ? Tu crois que venir me chercher et me provoquer est la meilleure des solutions pour m'arrêter ? Allez, dis-moi pourquoi tu es ici puisque tu sembles trouver ta présence normale sur mon bateau. »

Elle ne put s’empêcher de se montrer surprise à ces propos, son regard témoignant son étonnement, en dépit du mépris qu’elle lisait quant à elle dans les yeux du pirate – une expression qu’elle connaissait, qu’il lui avait déjà opposé, ce jour où elle s’était retrouvée enfermée dans la cellule de Rumplestiltskin. Une expression qui la faisait se sentir proprement misérable, ce qu’elle détestait avec force – mais elle ne pouvait, une fois de plus, pas vraiment lui en vouloir. Elle ne s’attendait cependant pas à cette réaction. Etait-ce vraiment ce qu’il pensait ? Qu’elle était venue pour l’arrêter ? Sans parler même de se pavaner sur son bateau. Mais à bien y repenser, c’était probablement l’image qu’elle devait donner. Celle d’une miss je-me-crois-tout-permis qui pouvait s’introduire chez les gens sous prétexte d’être Shérif (ou même sans prétexte) et qui, une fois prise sur le fait, cherchait la provocation plutôt que de simplement s’excuser et de se retirer humblement. Bien, peut-être qu’elle n’était pas aussi légitime dans sa démarche qu’elle avait voulu le penser. Après tout, il était visiblement en vie, Gold l’était également, et il ne l’avait pas agressée. Elle n’avait rien à lui reprocher. C’était bien elle qui jouait avec le feu.

Elle cilla une fois, deux fois, puis, très lentement, adopta une posture un peu moins sur la défensive, laissant retomber sa main qui s’était tout naturellement posée sur hanche afin d’avoir un accès rapide à son arme – geste en vérité plus instinctif que réfléchi. Ramenant une mèche blonde qui s’était échappée avec le vent derrière son oreille, elle répondit, cette fois sans agressivité dans la voix :

« Tu penses que c’est pour ça que je suis là ? Pour contrecarrer tes plans ? »

Elle secoua la tête faiblement, cherchant ses mots, avant de simplement murmurer, sa voix à peine audible :

« Je m’inquiétais simplement pour toi… »

Ugh. La voilà, la partie pénible. Ils allaient y venir. Il fallait bien, après tout, non ? Ils ne pouvaient pas tourner éternellement du pot. Et c’était à elle de s’expliquer. Ses épaules s’affaissèrent légèrement à l’idée, puis elle fit quelques pas sur le bateau, sans s’approcher réellement du pirate ni sans s’en éloigner.

« Je n’ai pas pour habitude de m’infiltrer comme ça chez les gens, si ça te rassurer. »

Bon d’accord, c’était un grossier mensonge, puisque même en faisant exception de toutes les fois où elle s’était introduite chez Regina, il restait toutes celles où, plus jeune, elle était entrée chez des gens pour voler ce qu’elle pouvait avant de repartir ni vue ni connue, mais il n’était pas obligé de le savoir. C’était une simple façon de lui faire comprendre que non, elle ne venait pas ici comme si toute la ville, y compris les bateaux qui étaient à quai lui appartenait, et qu’elle avait bien conscience que ce navire était ce qui s’approchait le plus d’un chez-soi pour Hook. Autrement dit, propriété privé. Ce qui ne l’empêcha pas d’ajouter, avec un mélange de résignation et de lassitude dans la voix :

« Tu n’aurais pas du rhum sur ce navire ? Je crois que je ne dirais pas non à une bouteille… »

S’il fallait se lancer, elle aurait bien besoin d’un remontant, et puis c’était un pirate, et les pirates et le rhum, c’était en général une grande histoire d’amour, non ? Enfin, sa documentation sur les pirates n’allait pas vraiment au-delà de ce qu’on pouvait voir dans Pirates des Caraïbes. Mais c’était bien ce qu’il avait dans sa flasque en tout cas, quand il avait soigné sa main, après qu’ils aient escaladés le plan de haricot géant. Et vu la taille du bateau, difficile de croire qu’il n’y avait pas, au moins dans la cale, un carton rempli de bouteilles de rhum. Ou d’autre chose ; peu importait, elle n’était pas difficile et tenait relativement bien l’alcool pour une femme.
Elle fit quelques pas de plus, puis s’appuya contre le mât, le visage tourné vers le pirate, l’air légèrement interrogateur. S’il voulait l’obliger à quitter ou navire, c’était le moment ou jamais. Elle partirait sans un seul mot si c’était ce qu’il souhaitait, mais elle emmènerait ses explications avec elle. Dans le cas contraire… elle n’avait plus qu’à espérer que son rhum était très fort, et très efficace.

L’expression de son visage lorsqu’elle formula l’inquiétude qu’elle avait pour lui laissait entendre qu’il ne la croyait pas, ou au mieux, qu’il était fortement sceptique. Elle ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Si la situation avait été inversée, elle ne l’aurait probablement pas cru non plus, talent caché ou non. Son détecteur de mensonges avait la fâcheuse manie de se dérégler lorsqu’elle prenait trop les enjeux à cœur, ce qui aurait probablement été le cas. Elle ne pouvait nier que malgré le soutien dont elle bénéficiait aujourd’hui auprès de sa famille (chose à laquelle elle n’était de toute façon pas encore habituée), elle avait été trop souvent abandonnée pour ne pas accorder une importance toute particulière au fait que l’on se soucie d’elle – mais encore une fois, elle ne l’aurait probablement jamais avoué à qui que ce soit. Elle aurait probablement repoussé une telle affirmation d’un air moqueur, ou bien elle aurait répondu par une pique, pour se protéger, parce que c’était toujours plus facile que d’accepter que l’on puisse tenir à elle et de prendre le risque d’être trahie.
Hook, quant à lui, garda le silence. Son expression s’était brièvement adoucie, dissipant légèrement la colère palpable qui émanait de lui, mais son masque neutre fut bien vite remis en place, et le doute était toujours là, tapi dans ses prunelles sombres. Il devait penser qu’elle se fichait de lui, et elle ne savait pas comment lui dire que ce n’était pas le cas – encore moins exprimer une quelconque reconnaissance quant à ce qu’il avait fait pour elle, dans la Forêt Enchantée. Dire « merci » ? Elle n’avait pas appris. A qui aurait-elle dit merci ? Et puis, c’était circonstanciel, elle le savait. Il l’avait aidé parce que c’était dans son intérêt de le faire, rien de plus. Et certes, il ne s’était pas vengé après ce qu’elle lui avait fait, mais elle n’allait tout de même pas se montrer reconnaissante qu’il n’ait pas plongé son crochet dans son cœur, si ?

Le sourire sarcastique revint étirer ses lèvres lorsqu’elle exprima le fait qu’elle n’avait pas pour habitude d’entrer par effraction chez les gens. Elle avait l’habitude de lire les gens, mais pas d’être elle-même lue ainsi – comment faisait-il pour percer ses mensonges ? Etait-ce cet effet qu’elle produisait chez les autres quand elle en faisant autant ? Si oui, elle pouvait comprendre pourquoi ils détestaient ça.

« Oui j'imagine. »

L’ironie et le manque de conviction dans cette réponse étaient quasi-palpables, mais Emma préféra ne pas lui donner de grain à moudre et ne répondit rien. Il n’était rien censé savoir de son passé de voleuse. Mais peut-être que l’expression qui disait qu’on reconnaissait ceux de son espèce était vraie. C’était un pirate après tout, elle imaginait qu’il avait dû effectuer d’autres sortes de larcins que les siens, peut-être plus de la catégorie pillage, mais un vol était un vol. Elle avait du mal à imaginer qu’il ne s’était pas lui-même introduit plus d’une fois à des endroits où il n’avait pas été invité. Ou il lui fallait vraiment revoir sa définition du pirate.

Il répondit à sa question avec un soupir qui, en dépit d’un léger sourire, lui laissa penser une fois de plus qu’il n’avait pas vraiment envie de la voir, et que s’il acceptait, ce n’était que parce que c’était pour lui le seul moyen d’obtenir des réponses à ses questions. Elle se mordit légèrement la lèvre, attendant sa réponse, plus que jamais prête à partir sans se retourner si c’était ce qu’il voulait. Il n’aurait pas de seconde chance, pas avec elle.

Mais il répondit finalement, à sa grande surprise, avec un nouveau sourire :

« Je ne dirais pas non non plus... Je reviens. »

Elle acquiesça brièvement, croisant son regard mêlé d’interrogations et de quelque chose d’autre, quelque chose qu’elle ne sut définir, puis il lui tourna le dos et elle l’observa disparaître, sans un mot, dans ses quartiers. Et même si le doute était toujours là, même si la possibilité qu’il aille chercher une arme, des cordes pour la ligoter ou autre chose, voire même, qu’il glisse quelque chose dans le rhum un peu comme l’avait fait Jefferson, était toujours bien présente dans son esprit, elle la repoussa sans efforts et réalisa, avec un mélange d’effroi et d’étonnement, qu’elle commençait à lui faire confiance. Quelle autre explication pouvait-elle trouver au fait qu’elle accepte de rester là, seule, sur son navire, alors que personne ne savait où elle était ni ne connaissait l’existence de ce bateau (qui était, après tout, invisible), et qu’il lui offrait l’occasion parfaite de prendre ses jambes à son cou ? D’autant que si elle pouvait se fier au regard qu’il lui avait lancé, c’était clairement ce qu’il s’attendait à ce qu’elle fasse. Ce fut cela, peut-être plus que tout le reste, qui la dissuada de partir. De toute façon, à présent que sa décision était prise, elle ne reviendrait dessus. Emma était bien des choses, mais lâche n’était pas l’une d’entre elles. Peut-être au fond ressentait-elle, elle aussi, le besoin de mettre les choses au clair. Peut-être ne parviendrait-elle à comprendre son geste lors de leur dernière rencontre qu’en le confrontant à lui. Qu’elle que fut la raison, son choix était fait, et même si la simple idée de croire en lui, de croire au fait qu’il ne profiterait pas de la situation pour lui faire du mal ou se servir d’elle de quelconque façon lui donnait un vertige effroyable, cette fois, elle accepta de sauter le pas, de s’aventurer en des eaux où elle n’avait pas pied. C’était une prise de risques, mais considérant les récents évènements en date et les nouveaux ennemis qui étaient arrivés en ville, elle était modérée. Et puis, Emma avait toujours été un peu tête brûlée.

Tout en attendant le pirate, elle reposa son attention sur le bateau, et son regard tomba, près du gouvernail, sur deux lettres gravées, P et S, séparées de ce qui semblait être une boussole indiquant le nord, qui avaient été rayées par quelque chose d’acéré – le bout de son crochet, soupçonnait-elle. Elle se demanda quelle histoire se cachait derrière ces symboles, et si elle concernait Milah, les dessinant distraitement du bout des doigts, puis s’éloigna de quelques pas, avant d’aller s’asseoir sur le marchepied qui séparait la proue de l’entrepont. Dans le silence qui régnait soudain sur le navire, et la fraîcheur typique des bords de mer où le vent soufflait toujours plus fort, Emma prenait, à chaque seconde qui passait, plus conscience de ce qu’elle s’apprêtait à faire, et des conséquences de cette décision. Sa main se porta inconsciemment au pendentif que Neal lui avait offert – un médaillon sur lequel était dessiné un cygne – comme elle le faisait à chaque fois qu’elle doutait ou qu’elle hésitait à croire ou à accorder sa confiance à quelqu’un. Elle l’avait gardé pour ne jamais oublier que c’était une erreur, et qu’elle ne la commettrait pas deux fois. Mais peut-être que sa mère avait raison, peut-être était-il temps qu’elle passe à autre chose. Jouant nerveusement avec le petit objet de métal, elle guettait le retour du pirate qui fut annoncé par le craquement des planches sous ses pas.

Elle leva silencieusement les yeux vers lui, puis pencha la tête en direction de la bouteille de rhum, s’autorisant un faible sourire qui passa comme un fantôme sur ses lèvres. Fut un temps, où, seule avec un beau spécimen masculin et de l’alcool, elle aurait su comment mettre cette intimité à profit. Mais l’expérience se faisait au sacrifice de la jeunesse, et Emma savait à présent que ce serait une erreur monumentale, sans même parler du fait que c’était capitaine-fucking-Crochet en personne qui se tenait face à elle. Néanmoins, elle était bien décidée à descendre plusieurs gorgées du liquide ambré avant d’attaquer le cœur du problème, et si elle n’avait probablement rien à apprendre au pirate sur la question, elle avait aussi fait sa main aux jeux de beuverie et tenait l’alcool suffisamment bien pour s’autoriser un challenge où ils avaient tous deux à gagner. Elle lui fit signe de s’asseoir à côté d’elle.

« Bien, nous avons une bouteille de rhum et pas mal de questions, alors je te propose un jeu très simple. Une question, une réponse, une gorgée, chacun son tour. Interdiction formelle de mentir. On peut passer la question si on ne souhaite pas répondre, mais dans ce cas, c’est à l’autre de boire. Est-ce que ça te paraît honnête ? »

Après un bref instant d’hésitation, elle ajouta :

« Je suis prête à te laisser commencer. »

Lorsque le pirate lui sourit en revenant, voyant qu’elle n’était pas partie comme il l’avait probablement parié, Emma ne put s’empêcher de penser qu’elle avait pris la bonne décision. Elle avait la ferme conviction, même si c’était peut-être absurde, que quelque chose d’important se jouait, ou allait se jouer, et que si elle était partie, ce départ aurait eu quelque chose de définitif entre eux, et pour une raison qu’elle ignorait, cette idée l’effrayait. Ce n’était pas ce qu’elle souhaitait, pas après tout ce qui s’était passé dans la Forêt Enchantée, la façon dont elle l’avait laissé derrière au sommet du haricot, puis dont il avait fait de même lorsqu’il les avait emprisonnés dans la cellule de Rumplestiltskin, et les mots qu’il avait prononcé, qui avaient fait plus mal qu’elle n’avait bien voulu l’admettre. La loyauté d’un pirate n’était visiblement pas une chose sur laquelle on crachait sans également atteindre son honneur, et ce pirate là était tout particulièrement rancunier, à en juger le regard impitoyable qu’il lui avait lancé quand elle l’avait imploré. Mais au final, elle avait du mal à savoir ce qu’il voulait vraiment, car si lors de leur rencontre suivante ils avaient croisés le fer, il n’y avait plus rien eu de la rancune qu’elle avait pu deviner alors, il était aussi charmeur qu’à l’accoutumée, multipliant les sous-entendus quand il aurait pu facilement la dépecer, et se pliant en quatre pour sauver le cœur d’Aurore – qu’il avait lui-même dérobé – d’un funeste destin. Alors, qui était Killian Jones ? Tout égoïste qu’il pouvait être, ce geste avait été désintéressé. Il n’avait rien eu à y gagner. Le cœur d’Aurore n’avait aucune importance pour lui. De même, revendiquer préférer les combats équitables lui semblait faire preuve d’une considération que n’auraient sûrement pas eue d’autres pirates – peut-être aussi parce qu’il savait qu’il avait un autre moyen de rejoindre Storybrooke à sa portée, mais s’il avait eu le dessus sur elle, il aurait pu partir avec Cora, et emporter le haricot avec lui, leur retirant ainsi la seule autre façon de rejoindre Storybrooke, laissant Emma et Mary Margaret définitivement coincées dans ce monde.

…elle n’était tout de même pas en train de considérer la possibilité qu’il l’ait laissée gagner afin qu’elle puisse rejoindre son fils, comme elle le lui avait demandé ?! Non, c’était impossible. Pire que ça, c’était dangereux de se diriger dans cette voie là. Si vraiment il avait fait cela, que signifiait tout son speech, dans la cellule de Rumple ? Une façon de convaincre Cora qu’il était à présent bien de son côté ? Mais non, ça n’avait aucun sens. Il n’avait pas menti, elle avait pu le voir, et il avait été véritablement prêt à les abandonner dans cette prison. Une prison où elle n’aurait pas seulement été coupée définitivement de Storybrooke, mais où elle, ainsi que sa mère, Aurore, et Mulan, auraient finies par mourir de faim et de soif ; une vengeance qui surpassait largement l’affront qu’elle lui avait fait en l’enchaînant (elle s’était après tout assurée qu’Anton le relâcherait sain et sauf). Pourtant, il n’avait pas semblé réellement surpris lorsqu’elles s’étaient interposées, au lac Nostos. Mais il n’avait aucun moyen de savoir qu’il y avait dans cette cellule un parchemin recouvert d’encre de l’encre magique d’un quelconque poulpe qui leur permettrait de sortir, n’est-ce pas ? Et si elle n’était pas intervenue à temps, il aurait sauté dans le portail. Avec le haricot. Alors quoi ? Tout ça n’avait aucun sens. Il ne pouvait pas à la fois être le pirate le plus impitoyable qu’elle ait jamais rencontré, et l’homme de principes, le gentleman qu’il avait prétendu être. Ou bien ? Après tout, il avait arraché le cœur d’Aurore, mais il l’avait également sauvé d’une mort certaine. Les deux n’étaient peut-être pas incompatibles. Il avait été Killian Jones avant d’être Hook, et elle savait combien la perte d’un être aimé pouvait vous changer un homme. La Emma de dix-sept ans n’aurait sûrement jamais pensé devenir celle qu’elle était à présent, et il était même probable qu’elle n’aurait pas été fière de la façon dont elle avait grandi. Mais le destin que l’on s’imaginait était rarement celui qui nous était prédestiné.

Hook prit place à ses côtés, écoutant sa proposition et déboucha la bouteille, qu’il lui tendit, avant de répondre :

« Cela me paraît honnête. Jouons le jeu donc. »

Elle acquiesça doucement de la tête en s’emparant de la bouteille, et attendit nerveusement que la première question tombe – c’était elle qui le lui avait proposé, et elle lui devait sûrement ça, mais cela ne l’empêchait pas de redouter tous les points faibles qu’il pouvait toucher ainsi, et dieu savait qu’il y en avait…
Elle ne fut pas déçue.

« Bien. Revenons alors sur ce qui c'est passé la dernière fois, tu te rappelles ? J'imagine que vu comment ça c'est terminé, je n'ai pas besoin de te rafraichir la mémoire. Je veux savoir exactement ce qu'il t'es passé par la tête à ce moment là ? »

Il avait donc choisi d’entrer dans le vif du sujet. Ce qui ne la surprenait pas vraiment ; il n’était pas du genre à tourner autour du pot, mais elle avait espéré… au diable ce qu’elle avait espéré. Il fallait qu’elle se prête au jeu. Elle aurait bien sûr pu passer la question, mais c’était une très mauvaise stratégie, si tôt dans leur échange, et elle savait qu’il s’impatienterait rapidement si elle l’esquivait une nouvelle fois – et un pirate impatient était un pirate en colère, ce qui était bien la dernière des choses à laquelle elle avait envie de faire face en cet instant. Il était pour le moment conciliant, et elle espérait bien poursuivre dans cette voie là.

« Je crois que pour cette question, il va falloir que je boive un peu avant », déclara-t-elle en portant la bouteille à ses lèvres sans attendre son accord.

D’accord, elle trichait déjà un peu – non, pas tricher, elle ne faisait que… plier les règles à sa convenance, disons, car elle avait bien l’intention de répondre et de dire la vérité, mais là, elle ne pouvait pas vraiment faire autrement. Elle n’était pas certaine de jamais ingurgiter assez d’alcool pour répondre à cette question, mais une gorgée devrait faire l’affaire.

Pour compenser, elle s’autorisa une bonne gorgée, et si elle eût le mérite de ne pas aussitôt cracher le rhum à la figure du pirate, elle ne put cependant réprimer une petite grimace. Elle aurait dû s’attendre à ce que du rhum de pirate soit plus fort que ceux qu’elle avait pu boire dans sa vie, mais pas à ce point là. Ce n’était pas de la piquette, c’était du vrai rhum, concentré, corsé, un rhum qui avait des goûts d’ailleurs et de terres qu’elle ne verrait jamais. Heureusement pour elle, même si elle n’était pas une grande buveuse et qu’elle avait réduit sa consommation à presque zéro depuis son arrivée à Storybrooke (en grande partie pour Henry, car ce n’était pas faute d’en avoir envie, surtout avec tout ce qu’il s’était passé dans sa vie depuis), elle avait toujours très bien tenu l’alcool et préféré les alcools forts en dépit de ce qu’on lui avait parfois conseillé – parce qu’une femme ne pouvait bien sûr pas tenir l’alcool comme un homme… oh, elle avait fait ravaler leur fierté à bien des mâles qui n’avaient pas très bien vécu le fait de perdre à des jeux d’alcool, mais la jeune femme avait quant à elle la fâcheuse manie de supporter très mal qu’on la prenne de haut, et elle ne résistait jamais à un défi. Mais évidemment, le commerce du rhum chez les pirates ne devait pas être autant surveillé qu’il l’était en Amérique, et la teneur en alcool n’était clairement pas la même non plus. Une bonne chose pour elle, en l’occurrence. Passé la surprise et le picotement pas désagréable qu’elle ressentit dans son gosier, elle dû admettre qu’il était d’excellente facture. Epicé, probablement assez vieux, il avait en arrière-goût un mélange d’arômes qu’elle ne reconnaissait pas et qui n’existaient probablement pas dans son monde. Passant le bout de sa langue sur ses lèvres, elle résista à l’envie de reprendre une gorgée, aussi bien pour le goût que pour délayer sa réponse et se donner du courage, mais non, elle s’était déjà permis de contourner les règles une fois, pas question d’en rajouter. Elle voulait jouer le jeu. Dans les règles. Autant que possible, en tout cas.

Glissant distraitement ses doigts sur le goulot de la bouteille, elle baissa les yeux, réfléchissant à ce qu’elle allait répondre, ce qui était d’autant plus difficile qu’elle se posait la question, elle aussi, et n’y avait pas encore vraiment trouvé de réponse.

« Je ne sais pas, murmura-t-elle enfin, et même si c’était la stricte vérité, elle se douta que cette réponse ne lui suffirait pas et ajouta donc : J’ai agi sur une… impulsion. Je crois que je n’ai pas réalisé ce que j’allais faire jusqu’à ce que… »

Elle s’interrompit, effectuant un geste vague de la main, puis resta à nouveau silencieuse, songeuse. Quelle explication donner à ce geste ? Il aurait été facile de mentir. Après tout, il était séduisant, il devait être habitué à ce que les femmes lui courent après. Mais le mensonge aurait été évident, grossier. Elle n’était pas de ces femmes là, et il avait très vite pu s’en rendre compte. Après un moment, elle reprit, le regard toujours posé sur la bouteille avec laquelle elle jouait entre ses jambes, les coudes appuyés sur ses cuisses, penchée en avant (il était plus facile de lui parler si elle ignorait sa présence, si ce n’était physiquement, au moins visuellement) :

« Tu crois peut-être que je ne peux pas savoir ce que c’est de perdre quelqu’un, d’avoir envie de se venger, d’être seul, de penser que sa vie n’a plus de sens… mais je sais. Et je sais aussi que même si tourner la page est ce qu’il y a de plus dur, s’accrocher est plus douloureux encore, et plus vain, au bout du compte. J’ai fini par le comprendre, mais cela m’a demandé du temps. Pour être honnête, je ne suis pas encore certaine d’y être tout à fait arrivée. Mais depuis que Henry est là… j’ai… autre chose. Un autre but. Je ne suis plus seule. Je crois que c’était ce que je voulais te dire, mais je ne savais pas comment et… »

Elle haussa les épaules.

« C’était stupide de ma part. De penser que je pouvais changer quelque chose. C’est tout moi, ça… »

Elle eut un rire sans joie, l’ignorant toujours délibérément, puis lui tendit la bouteille sans oser lever les yeux pour affronter son regard. Elle avait voulu lui dire qu’il n’était pas seul. Qu’il avait la possibilité, lui aussi, d’avoir autre chose, un autre but. Mais elle réalisait à présent à quel point c’était ridicule, et prétentieux. Elle ne s’autorisa donc pas à en dire plus, estimant qu’elle s’était déjà révélée ainsi, et sans attendre de réaction de sa part – elle ne voulait pas voir son regard moqueur, ni entendre la réplique cinglante qu’il lui réservait, elle ne voulait pas l’entendre dire combien elle avait été idiote, et combien elle était naïve, elle ne voulait simplement pas affronter sa réaction – elle se mit à réfléchir à sa propre question.

Elle en avait des centaines qui se bousculaient dans sa tête. Des milliers. Elle savait si peu de choses de lui, et ce qu’elle savait ne la rendait que plus confuse. Pourquoi agissait-il comme il agissait ? Qui était Killian Jones ? Mais elle devait choisir prudemment, car elle savait qu’il avait lui aussi des questions qui étaient… hors limites, en quelque sorte.

Sa bouche, cependant, parla avant elle :

« Pourquoi est-ce que Go… Rumplestiltskin a tué Milah ? »

Peut-être était-ce parce qu’elle-même avait le sentiment de s’être trop mise à nue qu’elle souhaitait rétablir les choses et aller au cœur du sujet, mais après tout, il en avait fait autant, et il avait toujours la possibilité d’esquiver la question. Quel était l’intérêt de ce jeu, sinon celui de mettre cartes sur table ? Elle n’allait tout de même pas lui demander sa couleur préférée, si ? Et cette question-ci la taraudait depuis que le pirate avait avoué que Milah était morte entre les mains de Gold. Elle ne parvenait tout simplement pas à voir le lien entre eux. Pourquoi l’avoir tué ? Hook lui avait-il porté préjudice d’une façon ou d’une autre ? Il ne l’avait tout de même pas tuée sans raisons, si ?

Drapant ses bras autour de sa taille comme pour se protéger du froid, elle glissa cette fois un regard dans sa direction, s’attendant clairement à ce qu’il ignore sa question (au mieux), voire à ce qu’il s’énerve pour de bon. Mais puisqu’elle était là, elle avait bien l’intention d’en tirer autant de lui qu’elle lui donnerait d’elle-même. Le résultat ne dépendait que de lui.

« Ça rappelle des souvenirs ? »

Emma haussa un sourcil à cette remarque, entre amusement et perplexité, comme si elle s’étonnait du fait qu’il ramène cet épisode sur le tapis en cet instant, mais bien évidemment, le même souvenir lui avait traversé l’esprit. C’était à ce moment là, pour la première fois, qu’elle s’était surprise à légèrement baisser sa garde en sa compagnie. Oh, elle n’avait absolument pas mordu à l’hameçon du « je suis toujours un gentleman », elle n’était pas idiote. Il avait des manières, oui. Quand il le voulait bien, ou que cela l’arrangeait d’en jouer. Comme la plupart des hommes. Mais elle n’avait pas vraiment l’habitude que l’on prenne soin d’elle. Elle n’avait pas l’habitude qu’on la comprenne si bien, ou qu’on s’occupe de ses blessures – sans parler même de les remarquer. Il l’avait peut-être fait pour éviter d’attirer le géant, mais il avait sacrifié son foulard et son rhum pour traiter sa plaie, et s’en était chargé presque avec douceur. Et, admettons-le, il l’avait fait d’une façon qui aurait difficilement laissé insensible tout individu du sexe féminin (et même du sexe masculin, d’ailleurs). Sans même parler de son accent… elle avait toujours eu un truc pour les accents, et le sien lui rappelait celui de Graham. Oui, on aurait dit un accent irlandais et elle devait avouer qu’elle trouvait ça irrésis… oh non, Emma, ce n’est pas une direction que tu as envie de prendre, arrête ce cheminement de pensée tout de suite. La jeune femme se rabroua mentalement. En un mot ? Oui, elle se souvenait. C’était à ce moment là qu’elle avait été tentée de se dire qu’il pouvait être un allié, et c’était ça plus qu’autre chose qui l’avait poussée à se méfier de lui. Elle n’avait pas alors de moyen de le devancer, mais c’était là qu’elle s’était dit qu’il lui faudrait trouver quelque chose, et vite. L’opportunité était venue plus tard. Et tout du long, elle s’était persuadée que c’était lui ou elle, qu’il se servait d’elle et qu’il avait déjà tout prévu pour la devancer. L’idée qu’il ait réellement décidé de s’allier à elle en toute honnêteté ne lui avait pas même effleuré l’esprit, et elle en serait encore convaincue aujourd’hui s’il ne lui avait pas affirmé le contraire entre-temps.

Cela lui fit réaliser qu’elle aurait peut-être dû lui rendre son foulard, présentement roulé en boule et rangé dans le dernier tiroir du bas dans son bureau, à son poste de travail. Elle ne savait même pas bien pourquoi elle l’avait gardé, mais il était là, encore imprégné de l’odeur du même rhum qui avait alors incendié sa main tout comme il incendiait à présent son gosier, seulement d’une manière alors beaucoup moins agréable. Elle en ressentait presque les picotements fantômes et elle baissa les yeux sur sa cicatrice qui était toujours présente. Il était encore trop tôt pour dire si elle laisserait une trace définitive où si elle disparaîtrait, mais pour le moment elle était encore nette.

Sa réponse, quant à elle, n’eut pas vraiment l’effet attendu, ce qui était plutôt une bonne chose. Elle sentit son impatience grandir tandis qu’elle luttait pour trouver une façon de mettre des mots sur ce qui n’avait été qu’un ressenti qu’elle-même ne savait analyser, mais il la laissa parler sans l’interrompre et plus étonnant encore, il ne la railla pas sur ses grands élans humanitaires ou sur combien ses efforts était inutiles ou tout ce qu’elle pouvait imaginer de plus blessant dans ce registre. Oui, elle devait le reconnaître, elle souffrait un peu du complexe du héros. Ce qui était d’autant plus paradoxal qu’elle ne se voyait pas comme tel, mais cela ne l’empêchait pas de vouloir porter tous les maux du monde sur ses épaules. Elle savait bien qu’elle ne pouvait pas faire grand-chose en vérité, et elle s’était persuadée toute sa vie que personne n’avait besoin d’elle, comme elle n’avait besoin de personne. Mais à présent, des gens dépendaient d’elle. Henry, pour commencer. Et elle ne voulait pas le décevoir. Elle l’avait abandonné une fois, mais elle ne le ferait pas deux fois.

« Personne... plus personne ne s'est montré là pour moi depuis des années... »

La phrase, qui n’était pourtant pas une lamentation, la surprit par la solitude et la peine qui en berçait les mots. Elle se tourna vers lui, un mélange de surprise et de compréhension sur ses traits. Car elle savait ce que c’était. Elle aussi s’était construite seule, et si elle n’avait pas vécu aussi longtemps que le capitaine, elle n’avait pas non plus connu, contrairement à lui, ce que c'était que d’avoir quelqu’un qui l’avait vraiment aimée… peut-être qu’il lui avait été retiré, mais l’amour de Milah avait été sincère. Elle, avait perdu Neal, mais il ne lui avait pas été enlevé, il était parti de lui-même. Il l’avait trahie, il avait fait le choix de l’abandonner. Il s’était servi d’elle, de ses rêves, de sa naïveté, de son innocence. Il ne l’avait probablement jamais aimée. Est-ce que c’était pire ? Difficile à dire. Graham aurait pu faire une différence, mais il était mort trop tôt, et dans ses plus grands élans d’égoïsme, elle se disait qu’elle avait bien fait de lutter si longtemps contre lui. Si elle l’avait réellement laissé percer ses barrières, si elle s’était vraiment autorisée à l’aimer dès le départ, sa mort l’aurait proprement détruite une seconde fois. C’était cruel, mais c’était la seule chose à laquelle elle pouvait se rattacher. Il y avait eu la possibilité, mais l’espoir était mort dans l’œuf.

« Cela ne signifie pas que ce n’est pas voué à changer », souffla-t-elle simplement après un silence, comme si elle essayait de s’en convaincre elle-même.

Sa question jetée, elle craignit un instant que Hook ne décide déjà de passer son tour, mais il répondit avec un sourire sans joie :

« Ah... celle la je l'attendais. »

Elle attendit patiemment qu’il développe, le regardant avec curiosité mais sans insistance, et il commença son récit d’une voix ferme et sombre :

« Milah était une femme mariée. Un enfant, un mari, mais une vie que personne ne voudrait avoir. À l'époque, Rumplestiltskin était l'homme le plus lâche de tout son village et elle, c'était sa femme. [...] Elle a fait un marché avec lui pour qu'il épargne nos vies. Et il n'a rien respecté ce Crocodile. Elle ne l'avait jamais aimé, elle lui a dit et... il lui a arraché le cœur. Sous mes yeux il l'a écrasé... »

Ce souvenir lui était visiblement douloureux, et se le remémorer ainsi lui coûtait probablement plus qu’il ne le laissait voir. Sa voix se cassa, et elle put deviner dans ce soudain silence toute la souffrance et toute la rage qui l’habitait encore, même après tout ce temps. Elle se demanda vaguement ce que cela pouvait faire d’être aimée ainsi, et se dit que Milah, dans son malheur, avait été chanceuse.

A présent, elle connaissait donc l’histoire derrière ce tatouage. L’implication de Gold dans le malheur de Killian Jones. Elle comprenait mieux son désir de vengeance.
Elle resta silencieuse pendant un moment, ne sachant que dire à cela – y’avait-il seulement quelque chose à dire ? Tout ce qui lui traversait l’esprit n’étaient que des banalités sans âme qui sonneraient probablement aussi creux pour lui que pour elle. Lui dire qu’elle était désolée pour lui ? Elle l’était, mais en quoi cela le réconforterait-il ? Elle fut tentée de poser sa main sur son bras en guise de soutien, mais se retint au dernier moment, jugeant que c’était probablement une mauvaise idée.

Puis elle repensa une fois de plus à Graham. Il était mort de la même façon que Milah. Elle l’ignorait alors, car elle ne croyait pas en la malédiction, mais à présent elle savait la vérité. Il lui avait dit qu’il n’avait plus de cœur, et ce qui avait alors semblé absurde faisait sens aujourd’hui. C’était Regina qui possédait son cœur, Regina qui l’avait réduit en poussières lorsqu’elle s’était aperçue qu’il commençait à retourner sa veste en dépit du pouvoir qu’elle pensait exercer sur lui. Qu’il se tournait vers elle, Emma. Il était mort par sa faute.
Refusant de s’appesantir une fois de plus sur ce souvenir, elle reporta son attention sur le pirate. Elle ressentait une certaine empathie vis-à-vis de lui – nul jugement ou pitié, car elle-même détestait cela, simplement une sympathie due à leur passés étrangement parallèles.

« C’est toujours plus douloureux pour ceux qui restent, murmura-t-elle doucement. Milah… elle a eu grâce à toi la vie qu’elle souhaitait avoir. Je ne la connais pas, mais à t’écouter, je crois que si elle avait eu le choix entre vivre aux côtés de Rumplestiltskin ou mourir libre auprès de la personne qu'elle aimait, elle aurait opté pour la seconde solution. Elle n’aurait rien changé. »

Si la mort était le prix du bonheur, et de l’amour véritable, elle se disait que c’était toujours plus enviable qu’une vie de malheur. Mais en effet le choix était plus facile dans ce sens là. Comme elle l’avait dit, le plus dur était pour celui qui restait, et ayant occupé comme Hook cette place, il était plus facile pour elle de se fermer à toute possibilité dès le départ. Mais elle n’était pas le produit d’un amour véritable pour rien, et au fond d’elle son cœur tentait de la convaincre qu’il valait mieux aimer et risquer de souffrir que ne rien ressentir du tout, aussi ajouta-t-elle en haussant les épaules :

« C’aurait été mon choix en tout cas. »

Elle ne savait pas bien pourquoi elle lui disait ça – peut-être qu’elle faisait miroiter sa propre culpabilité quant à la mort de Graham sur Hook et Milah, mais rien ne lui disait qu’il culpabilisait également (ce qu’il n’avait de toute façon aucune raison de faire). Peut-être voulait-elle simplement lui rappeler qu’il avait rendu une femme heureuse, et que c’était déjà beaucoup, que ce n’était pas en la vengeant qu’il donnerait un sens à sa mort, parce qu’il avait fait mieux que ça, il avait donné un sens à sa vie, et gâcher la sienne n’était pas ce qu’elle aurait voulu. Mais il avait probablement déjà entendu ce discours des centaines de fois et elle n’avait pas vraiment envie de paraître moralisatrice. Elle était mal placée pour ça.

Se réappropriant la bouteille quand il eût bu sa gorgée, elle attendit sa nouvelle question.

« Pourquoi me surveillais-tu ces derniers jours ? »

Emma cilla brièvement. Autant elle s’était attendue à la première question, autant elle n’avait vraiment pas vue venir celle-ci. Mais la réponse, elle, était plus aventureuse encore que la précédente, et elle savait qu’il n’allait vraiment pas aimer ce qu’il allait entendre, surtout après leur conversation auprès du puits, quand elle avait avoué qu’elle devait encore une faveur à Gold.
Jouant nerveusement avec son pendentif, elle répondit tout en le jaugeant du regard :

« J’ai… passé une sorte… d’accord avec Gold. Rumplestiltskin. Peu importe son nom. Je me suis assurée qu’il se tiendrait loin de toi et en retour, je me suis engagée à te garder à l’œil. »

Elle n’avait pas vraiment envie qu’il laisse les conséquences de ses paroles imprégner son cerveau (oui, elle avait indirectement annoncé à Gold que le pirate était en ville, et oui, elle s’était interposée entre eux), aussi s’empressa-t-elle de descendre une bonne gorgée du rhum – cette fois sans grimacer, appréciant au contraire la douce chaleur qui se répandait dans son corps – et de rebondir très vite sur une question pour le distraire.
Elle en avait encore beaucoup sur le bout de la langue – comme celles qu’elle avait pu se poser sur ses actions dans la Forêt Enchantée, mais une part d’elle savait qu’elle n’avait peut-être pas envie de découvrir la réponse, de réaliser que si elle s’était toujours assurée qu’il ressortirait vivant de tout ce qu’elle avait pu lui imposer, lui n’en avait pas fait autant, et elle décida que parfois l’ignorance était bénie. Il y avait certaines vérités que l’on préférait ne pas connaître. Tant qu’elle s’aventurait dans le domaine des questions personnelles pour Hook, elle restait en dehors de ce qui pouvait la concerner, elle, et c’était bien mieux ainsi. Elle continua donc dans cette ligne de mire, misant cette fois sur quelque chose qui occupait les pensées du pirate sans qu’elle le sache :

« Que comptes-tu faire une fois ta vengeance atteinte ? »

Peut-être n’avait-il pas encore réellement réfléchi à la question, et si c’était le cas, peut-être cela provoquerait-il une prise de conscience (Emma arrête de te donner cette peine, tu te fais du mal) ; dans tous les cas, elle était curieuse de connaître sa vision des choses – il était, en apparence du moins, encore jeune, et de nombreuses années l’attendaient encore. Est-ce qu’il se sentirait alors capable de rebondir sur ses pattes, de s’offrir le nouveau départ qu’il s’était jusque là refusé ? Elle n’osait penser qu’il se suiciderait – il semblait trop tenir à la vie pour ça, et avec un égo pareil, cela lui semblait peu probable. Mais elle espérait au moins qu’il s’était posé la question et qu’il pourrait, tôt ou tard, trouver la tranquillité d’esprit.

Spoiler:

Les mots de la jeune femme, qui avait craint un instant d’avoir dépassé les limites, eurent fort heureusement l’effet escompté sur le pirate qui, l’air rêveur pendant un instant, se fendit d’un sourire qui semblait sincère. Le côté intimiste de la scène et le petit jeu qu’elle avait mis en place les incitait à s’exprimer librement sur des sujets pourtant très personnels, et il n’était pas difficile de voir que l’un comme l’autre ne s’était pas prêté à ce genre de confessions depuis un certain temps. Elle n’était pas même certaine de s’être jamais ouverte ainsi à qui que ce soit – ce n’était peut-être pas son premier jeu de beuverie (elle avait été jeune, elle avait fait ses preuves au « Je n’ai jamais… »), mais auprès d’inconnus elle ne s’était pas vraiment gênée pour désobéir à la consigne principale, à savoir : pas de mensonges. Elle s’était souvent inventée des vies qu’elle n’avait pas, transformant les rêves en souvenirs, et les possibles en réalités. Qu’importait, au fond. Ils n’étaient que des passagers dans la sienne. Ils n’avaient pas besoin de savoir. La finalité n’était pas dans les aveux, pas comme ici.

« Non, elle n'aurait rien changé. Elle te ressemblait un peu. »

A ces mots, elle écarquilla légèrement les yeux. Elle ne s’attendait pas vraiment à cette remarque, et elle ne savait pas bien pourquoi Hook lui disait cela non plus. Du peu qu’elle savait de Milah, elle devinait que celle-ci avait eu un cran et une force de caractère dans laquelle elle-même ne se reconnaissait pas. Emma n’était pas forte, elle se donnait l’illusion de l’être. La jeune femme n’avait pas réellement conscience qu’à se concentrer ainsi sur ses faiblesses, elle en négligeait ses aptitudes. Combattre un dragon, affronter un géant, briser une malédiction, tenir tête à une sorcière,… autant de choses qui, pour elle, pesaient bien peu à côté de la fragilité qu’elle voyait en elle. Aurait-elle été capable de tout quitter pour partir avec un quasi-inconnu, vivre une vie de pirate ? Evidemment, il fallait prendre en compte que, d’après les propos de Hook, Milah n’avait jamais aimé Rumplestiltskin et avait été malheureuse à ses côtés – elle-même ne pouvait pas vraiment dire qu’elle s’était épanouie dans sa vie passée, elle pouvait donc comprendre le désir de tourner la page, de tout recommencer, et nul doute qu’elle aurait tout donné pour cela… elle aussi avait rêvé d’aventures et de mystères, mais elle s’était rapidement rendue compte que dans la réalité, les choses étaient toutes autres et qu’il y avait peu de place pour les rêves. Dans un sens, son histoire avec Neal ressemblait un peu à celle de Milah, mais à l’envers… elle n’avait rien abandonné derrière elle en le rencontrant, car elle était déjà une voleuse et ils avaient pu, ensemble, vivre leur vie de pirates des temps modernes. Puis Neal l’avait trahie, et c’était là, après l’avoir perdu, qu’elle avait renoncé à son fils, et à tout ce qui constituait son mode de vie passé. Elle s’était retrouvée depuis enfermée dans une existence qui n’avait ni saveur, ni couleur, une existence qui n’était qu’une suite ininterrompue de jours, aussi semblables les uns que les autres, se surprenant à rêver d’un ailleurs où se battre et aller de l’avant aurait un sens, mais qu’elle savait ne pas exister… jusqu’à ce qu’Henry revienne dans sa vie.
La jeune Emma qui allait sur ses dix-sept ans n’avait pas eu une vie facile, mais celle-ci ne l’avait pas encore assez testée pour qu’elle rate une occasion de vivre une aventure, qu’elle quelle soit. La Emma enceinte que Neal avait abandonné ne croyait plus en rien, considérait que ne rien ressentir était une option préférable au risque que représentait le fait de s’ouvrir à nouveau quelqu’un si cela devait à nouveau se retourner contre elle, et se fichait bien de réaliser des rêves – des illusions qu’elle ne possédait plus. Cette Emma là aurait refusé tout net. Et maintenant ? Laisser entrer dans sa vie Henry, Mary Margaret, Graham, ses parents, et au final presque tout Storybrooke n’avait pas été un choix facile, et elle luttait contre ses instincts jour après jour, mais elle était encore là. La Emma d’aujourd’hui avait peut-être finalement trouvé ce qu’il faisait défaut, ce qui lui avait toujours manqué – elle n’avait plus de raisons de vouloir fuir. Quant à vivre une aventure ? Et bien, si elle n’en vivait pas déjà une, il lui fallait peut-être revoir la définition du mot dans le dictionnaire.

Le soudain changement d’atmosphère fut quasi palpable, mais Emma n’en fut pas surprise. Elle savait que dès le moment où elle lâcherait les mots, Hook verrait rouge. A vrai dire, sa réaction lui sembla même étonnement calme considérant l’éclat de violence auquel elle s’était attendue, mais peut-être parce qu’elle avait très vite rebondi sur la première question qui lui venait à l’esprit, intéressante ou non, il sembla intérioriser sa colère le temps au moins de lui répondre.

« Rien. Ma vengeance est une fin. Il n'y a rien après. En presque trois siècles, j'ai eu le temps d'y réfléchir et rien ne m'est apparu sinon une vie sans intérêt et sans but. Des projets passionnants, hein. »

Encore une fois, pas vraiment une surprise, et elle ne s’attendait pas vraiment à une autre réponse, mais dans la précipitation qui l’avait poussée à poser sa question, cela avait importé assez peu en vérité. Pas de brusque prise de conscience ou quoique ce soit – il s’était clairement plus pensé sur la question qu’elle ne l’avait imaginé (elle le pensait suffisamment borné quant à sa vengeance pour ne pas voir plus loin que le bout de son nez et ne réaliser la soudaine vacuité de son existence qu’après l’avoir exécutée, ou y avoir échoué de façon définitive, si Gold devait mourir des mains de quelqu’un d’autre, par exemple, aussi improbable que cela fut) et malgré l’amertume qui résultait de ce constat, il apparaissait évident que ce n’était pas ça qui le ferait changer d’avis.
Mais ce qui eut le plus d’impact sur elle dans cette réponse, ce fut l’aveu qu’il venait malgré lui de faire concernant son âge. Presque trois siècles, se répéta-t-elle avec un mélange d’incrédulité et de fascination. Evidemment, il n’en portait pas le poids sur ses traits – il semblait en vérité à peine plus âgé qu’elle, mais elle devait reconnaître qu’il y avait quelque chose dans ses yeux qui suggérait qu’il en avait vu plus que ce que son apparence ne le suggérait. Comment était-ce possible, elle l’ignorait. Mais surtout, cela la fit réaliser, plus que jamais, combien il était déterminé : trois cent ans à ruminer sa vengeance. Oui, il avait dû aimer follement cette Milah. Et elle avait cru le détourner de son but en quelques jours ? L’idée était risible.

Avant même qu’elle ne puisse rétorquer – s’il y avait quoique ce soit à rétorquer – Hook reprit, posant non pas une, mais trois questions, et étalant l’agacement et l’incompréhension qu’il avait refoulé le temps de sa réponse :

« Pourquoi t'assurer que je ne puisse pas tuer ce Crocodile alors que tu m'avais dit comprendre ma vengeance ? Tu crois quoi ? Que ça va m'arrêter aussi facilement ?! »

Ce soudain éclat de colère à retardement ressemblait un peu plus à ce à quoi elle s’était attendue de sa part. Visiblement énervé, il se redressa brusquement pour s’appuyer au bastingage, probablement dans l’espoir que l’air frais l’aiderait à se calmer, et elle le suivit des yeux se faisant, sentant son propre sang commencer à bouillonner dans ses veines. Qu’elle se soit attendue à cette réaction ne signifiait pas qu’elle était préparée à ces mots, à son irritation à son égard, alors que tout ce qu’elle faisait, elle le faisait dans son intérêt, et les montagnes russes de sentiments qu’elle traversait depuis son arrivée sur ce navire, mélange indistinct d’émotions complexes qu’elle ne parvenait pas toujours à analyser, la rendait particulièrement fébrile en cet instant.
A son tour agacée, elle serra les dents, sans bouger, sans même le regarder, les mains appuyées de part et d’autres sur le bord du marche pied, avant de lâcher avec force, sans réfléchir :

« Pourquoi ? Parce que je ne veux pas que tu meures, voilà pourquoi ! »

Cette fois, elle se tourna vers lui, une lueur de défi dans les yeux, et reprit d’un ton accusateur :

« Tu ne vois vraiment que ce que tu veux voir, hein ? Je ne m’assure pas que tu ne tueras pas Gold, je m’assure que toi, tu ne te feras pas tuer. Tu crois vraiment que ça m’amuse de me mêler de vos histoires ? Que je le fais par plaisir, peut-être ? Tout ce que tu vois depuis le départ, c’est que j’essaie de contrecarrer tes plans, mais tu ne réalises pas qu’en attendant, il te faut être vivant pour accomplir quoique ce soit ! Et pendant que tu attends l’aide de Cora, qui, soit dit en passant, se fiche probablement de ta vengeance comme de sa dernière paire de chaussettes et vaque on ne sait où à faire on ne sait quoi, Gold, lui, possède à nouveau ses pouvoirs et absolument rien ne le retient de te rendre une petite visite. Tu crois vraiment qu’il aurait ignoré ta présence longtemps ? Que c’est grâce à ce voile d’invisibilité que tu es encore en vie ?! » Elle eut un rire sarcastique. « Si moi je suis capable de te trouver, crois-moi, ce n’est pas ça qui l’en empêchera, lui. Je ne le connais peut-être pas aussi bien que toi, mais j’en sais suffisamment pour comprendre que lorsqu’il veut quelque chose, il l’obtient. Et là ? Ce n’est pas grâce à Cora que tu es encore en vie. Alors je crois qu’en fait un peu de gratitude ne te ferait pas de mal. »

Elle allait probablement un peu loin, mais emportée dans sa tirade enflammée (elle réalisa qu’à un moment durant celle-ci, elle avait dû se lever, car elle était à présent debout sur les marches, poings serrés à ses côtés), elle n’avait pas vraiment réfléchi à ce qu’elle disait et il était trop tard pour faire marche arrière. Oh, elle connaissait suffisamment l’égo masculin pour ne pas en attendre tant de lui, d’autant qu’il lui rétorquerait probablement qu’elle ne rachèterait pas ainsi sa trahison, mais il restait qu’elle l’avait fait de façon désintéressée et qu’elle n’avait jamais fait quoique ce soit qui puisse lui coûter la vie. Elle aurait très bien pu laisser Gold se charger de lui, et exit le pirate et les ennuis qu’il avait emmené avec lui, un souci de moins à se faire. Mais non. Ce n’était pas elle. Elle n’était pas comme ça.

Elle s’approcha du pirate juste assez pour lui prendre la bouteille des mains, reculant aussitôt d’un pas comme si elle craignait une quelconque réaction, et s’autorisa cette fois à boire trois gorgées de la bouteille – ce n’était peut-être pas dans les règles, mais il avait posé trois questions, et même si la réponse était la même, elle estimait qu’elle était dans son droit. Et tandis qu’elle s’appuyait sur le bastingage à son tour, tournée vers lui mais respectant une distance de sécurité, elle reprit :

« Tu dis que personne ne s’est montré là pour toi depuis des années, mais tu veux que je te dise ce que je pense ? Je pense qu’en fait tu refuses de voir qu’il y a quelqu’un qui se soucie de toi, parce que c’est tellement plus simple pour toi de te dire qu’il n’y a rien d’autre qui t’attend, que ta vengeance est la seule chose pour laquelle tu vis, de te convaincre que tu n’as pas passé trois cent ans à la préparer pour rien, mais pas de bol, l’ami, parce que tu te fous le doigt dans l’œil jusqu’au coude et tant que je serai là, il te faudra te faire à l’idée que quelqu’un veille sur tes intérêts, et si pour ça je dois passer un marché avec Gold, et bien, pas de problèmes, je suis prête à lui céder mon poumon droit si c’est ce qu’il veut ! »

Le rhum et l’emportement aidant, elle en disait peut-être plus qu’elle ne l’aurait dû, et il était évident que derrière sa propre irritation se cachait en vérité l’inquiétude qu’elle nourrissait à son égard, c’était flagrant dans chacun de ses mots, mais à ce stade, elle se fichait bien de ça, et si elle avait pu secouer Hook sans prendre le risque qu’il ne se retourne physiquement contre elle, elle ne se serait pas privée. Elle avait comme dans l’idée que personne ne lui avait donné ce genre de gifles depuis longtemps et il avait clairement besoin qu’on lui remette les idées en place s’il ne pouvait pas voir qu’elle agissait dans son intérêt, et non pas contre.

Sans le lâcher des yeux, elle ajouta d’une voix un peu plus calme, mais toujours aussi ferme :

« Je me trompe ? »

Oui, c’était sa question pour cette fois ; elle voulait savoir si elle avait visé juste lors de sa petite analyse. Est-ce qu’elle était réellement loin de la vérité, est-ce qu’il se mentait à lui-même ? Elle le saurait très vite – à condition bien sûr qu’il se retourne. S’il refusait de lui faire face, elle ne pourrait pas différencier vérité et mensonge – sans même prendre en compte la façon dont l’alcool et ses propres émotions pouvaient influencer son jugement s'il se retournait. Mais après tout, pas de mensonges, cela faisait partie des règles. S’ils ne devaient en respecter qu’une seule, Emma espérait bien que ce serait celle-ci.

Ce qu’elle venait de lui dire ne lui plaisait pas, et c’était aussi évident qu’attendu. Si elle avait cherché à le caresser dans le sens du poil, elle s’y serait prise d’une autre façon, mais ce n’était pas vraiment sa marque de fabrique. Emma était brute de décoffrage : il était toujours plus facile d’être honnête avec les autres qu’avec elle-même. C’était cependant, en partie du moins, un coup à l’aveugle ; elle devinait beaucoup de Hook, entre ce qu’il lui avait dit et ce qu’il ne disait pas, les multiples parallèles entre leurs existences et leurs caractères respectifs, mais ce n’était pas pour rien qu’elle lui avait demandé si elle avait vu juste. Elle était une piètre psychologue, elle pensait avoir mis le doigt sur certaines choses, mais ne pouvait en être certaine. Pas qu’elle laissât entrevoir un seul de ses doutes, cependant.

Hook s’éloigna du bastingage avec un grognement, faisant les cent pas sur les planchers de son navire comme s’il tentait de se retenir de passer ses nerfs sur elle (nul doute qu’elle l’avait cherché ; mais il n'était pas le seul à être tendu), et elle l’observa avec un mélange d’intérêt et de nervosité. Elle se sentait elle-même toujours comme une boule de nerfs, le cœur battant et son sang palpitant dans les veines, mais à présent qu’elle avait dit ce qu’elle avait sur le cœur et qu’elle attendait sa réaction, il lui était plus facile de retrouver son calme.

Lorsqu’il lui répondit, sa voix était froide et cassante, mais il continua cependant à jouer le jeu :

« Tu as tort de croire que j'ignore que Rumple... Gold a récupéré ses pouvoirs, je savais ça. Je savais aussi parfaitement qu'en venant ici je risquerais ma vie comme ça a toujours été le cas, et je savais qu'il apprendrait tôt ou tard ma venue et qu'il tenterait de me trouver. J'attends qu'il me trouve ! C'est ça que tu ne sais pas Emma ! Je sais très bien que Cora se fiche de moi, et je compte me débrouiller sans elle comme je l'ai toujours fait. Je n'ai jamais demandé l'aide de personne. Alors non, tu n'auras pas de remerciement de ma part pour des choses que je savais déjà et que j'attendais. Tu crois peut-être que tu peux porter les problèmes de tout le monde sur tes épaules, mais ce n'est pas forcément ce que les gens veulent ! »

Le risque, lorsqu’on décidait de déballer à quelqu’un ses quatre vérités comme elle venait de le faire, c’était qu’on vous retourne la politesse. Elle lui tint tête tout le long de sa tirade, mais ne put s’empêcher de ciller à sa dernière remarque, et pendant quelques secondes, une ombre passa sur son visage, mais elle se ferma aussitôt, maintenant sur son visage une expression parfaitement neutre. Elle ne savait pas ce qui la blessait le plus : le fait qu’il semblait accepter avec tant de facilité un face à face où il était quasiment certain de perdre la vie (ce n’était pas qu’elle ne lui accordait aucun crédit, mais l’un possédait une puissante magie qui le rendait immortel, l’autre non ; la conclusion s’imposait donc d’elle-même, et à moins que le pirate n’ait miraculeusement mit la main sur la dague que Gold avait dû s’empresser de cacher à nouveau dans un endroit où personne ne la trouverait, ce dont elle doutait, les chances n’étaient pas en sa faveur), ou le fait qu’il ait touché une corde sensible, à savoir son besoin impérieux d’aider tout le monde, y comprit les personnes qui ne voulaient pas de son aide. Elle ne savait pas d’où ça lui venait ; elle avait passé dix ans sans soucier de qui que ce soit, pas même d’elle, et à présent elle ne pouvait plus faire un pas sans ressentir le besoin de sauver quelqu’un. Ou plutôt, si, elle savait parfaitement d’où cela venait. Elle était la Sauveuse, et si elle avait longtemps lutté contre cette idée parce qu’elle ne voulait pas de ces responsabilités, et qu’elle avait bien assez de mal à se venir en aide à elle-même sans parler de venir à celle des autres, elle avait fini par l’accepter, et par prendre son rôle à cœur. Elle n’avait pas voulu de ça, mais elle n’avait pas eu le choix, et à présent elle avait bien l’intention de répondre aux attentes qu’on avait placées en elle. Qu’elle soit damnée s’il devait en être autrement.

Le pirate, de son côté, reprit :

« Mais tu as raison, je préfère refuser de voir que quelqu'un tienne à moi, je suis mieux seul, faire attention à ma propre vie est déjà assez difficile. Et il est plus simple de ne pas compter sur les autres, je ne veux pas que des gens à qui je pourrais tenir prennent à ma place ! Oui, ça faisait longtemps que personne n'avait fait attention à moi, mais à quoi bon s'attacher si c'est pour que cette personne disparaisse par ma faute ! Tu ne comprends pas Emma, tu essaies mais tu ne peux pas, tu ne sais pas ! »

Oh, elle comprenait très bien. Ne te soucie pas des autres, ne t’attache pas, et personne ne pourra t’atteindre, cela avait été son leitmotiv durant les dix dernières années de sa vie. Peut-être qu’une décennie n’était rien en comparaison de trois siècles, et qu’être trahie n’était pas comparable au fait de voir sa moitié mourir sous ses yeux impuissants (Graham était-il sa moitié ? Elle ne le saurait probablement jamais), et elle était prête à accepter que toute tragédie était personnelle et vécue différemment d’une personne à l’autre, mais il pouvait lui épargner tout l’acte « personne ne peut me comprendre » : elle l’avait joué suffisamment longtemps pour savoir qu’en général il signifiait plutôt « je ne veux pas être compris », ce qui faisait une grosse différence. Et elle n’était pas dupe.

Hook se tourna vers le mât pour le frapper dans un excès de rage, et elle se remémora malgré elle Jefferson qui en avait fait autant sur un tronc d’arbre quelques jours auparavant. Les hommes et leurs manies de frapper tout ce qui leur tombait sous la main lorsqu’ils étaient énervés… enfin, une fois de plus : mieux valait le mât qu’elle.

Elle se tourna quant à elle vers l’horizon, répondant d’une voix en apparence plus calme, mais vibrante d’émotions :

« Je ne peux en effet pas comprendre si tu ne me laisses aucune une chance. Et non, je ne crois pas être capable de porter tout le poids du monde sur mes épaules, j’aimerais bien, mais je sais que ce n’est pas le cas. Le truc, tu vois, c’est qu’on ne m’a pas demandé mon avis. Apparemment, ici, je suis la Sauveuse, et je suis censée aider les gens. Alors c’est ce que je fais – c’est ce que j’essaie de faire. Ce n’est pas ce que tu veux ? Pas de bol, ce n’est pas ce que je voulais non plus. Mais, devine quoi ? On n’obtient pas toujours ce qu’on veut. Apparemment c’est une loi qui ne vaut pas que dans ce monde. »

Elle eut un petit rire sans joie, puis se tourna vers lui. En un sens, il avait vu juste, mais il était hypocrite s’il pensait vraiment qu’il avait le droit de la reprendre sur le fait qu’elle décidait à sa place de ce qu’il voulait, car il faisait exactement la même chose. Elle s’était interposée sans lui donner son avis, dans le but de le protéger, et il venait clairement de lui faire comprendre que s’il tenait les gens à distance, c’était par crainte qu’il ne leur arrive quelque chose par sa faute. C’était sa façon à lui de la protéger, sans lui demander son avis non plus.

« Et peut-être que de mon côté, je ne veux pas que tu me tiennes à l’écart, peut-être que j'estime être assez grande pour décider toute seule si je suis prête à prendre ce risque ou non. »

S’il n’y avait vraiment aucune chance pour qu’elle le convainque d’accepter son aide, elle pouvait au moins lui faire comprendre qu’elle, de son côté, n’appréciait pas plus que lui le fait que l’on décide pour elle.

Il s’approcha d’elle, et fut bientôt si proche d’elle qu’elle pouvait sentir les effluves épicées du rhum émanant de lui, lui donnant presque l’impression de le goûter sur ses lèvres. Réalisant que son regard était tombé sur celles-ci, elle releva rapidement les yeux, affrontant son regard alors qu’il posait sa question :

« Pourquoi ma vie a-t-elle autant d'importance pour toi ? »

Pourquoi en a-t-elle si peu pour toi ? fut-elle tentée de contre-attaquer, mais elle savait pourquoi, s’il ne l’avait pas dit clairement, c’était suffisamment évident dans ses propos. Non, peut-être qu’il n’avait pas l’intention de se suicider, mais cette façon de chercher une confrontation dont il ne pouvait sortir gagnant ? De rejeter toute forme d’attaches, d’admettre sa vengeance comme une fin en soi ? C’était du suicide passif, ou elle ne s’y connaissait pas (et elle avait été trop longtemps dans la même situation pour ne pas s’y connaître). Vivre ne signifiait pas forcément être vivant, et la différence en lui était flagrante : la seule chose qui tenait Hook vivant était sa vengeance, mais ce n’était pas grâce à elle qu’il irait de l’avant s’il refusait de laisser le passé où il était.

Tout en réfléchissant à la façon dont elle allait lui répondre, elle réalisa que la réponse était en fait dans la question. Elle était consciente que c’était le moment où elle en dirait trop ou pas assez, et aucun cas de figure ne lui semblait réellement enviable. Si elle répondait, elle prenait le risque de s’ouvrir à lui d’une façon qu’elle avait relativement évité de faire durant tout leur entretien, de façon à peine consciente. Si elle passait la question, elle risquait de le blesser plus que ce n’était déjà le cas. Et elle avait envie de lui répondre. Elle ne savait juste pas comment. Elle s’était déjà attachée malgré elle, même si elle refusait de le voir et plus encore, de l’admettre. Elle voyait trop en lui d’elle-même pour ne pas se sentir liée au pirate d’une façon qu’elle n’aurait pu expliquer.

Elle haussa finalement les épaules, et les mots lui échappèrent avec une étonnante facilité, qui ne semblait pas due au rhum :

« Parce que comme toi, j’ai passé des années à me convaincre qu’il valait mieux ne rien ressentir du tout plutôt que de prendre le risque de s’attacher. Qu’il valait mieux que je reste seule. Je me suis persuadée que c’était pour le mieux, mais depuis que je suis arrivée ici, je n’en suis plus certaine. Je crois que c’est une forme de lâcheté. On ne prend pas de risques, mais en se fermant, on ne se ferme pas qu’aux mauvaises choses, on se ferme aussi aux bonnes. Et peut-être que ressentir des choses peut apporter le meilleur comme le pire, mais au final, c’est ce qui fait que nous sommes humains, non ? Alors je crois que j’ai envie de prendre le risque. Je le prends en ce moment même, en fait. »

Elle ne savait pas elle-même pourquoi, pourquoi de toute les personnes qui l’entouraient c’était à lui qu’elle choisissait de s’ouvrir, dieu savait qu’il était arrogant, imbu de sa personne et qu'il pouvait être insupportable (sans oublier, dangereux), mais c’était vrai. Et puis, il n’était pas que ça, et elle le savait. Il était un tissu de contradictions, ce n’était pas Jekyll et Hyde, c’était Jones et Hook, et elle avait vu assez d’une des deux facettes pour avoir envie de découvrir l’autre.

« Ta vie a de l’importance pour moi parce que tu as de l’importance pour moi, Killian Jones - ou, plus que ça, parce que je t'ai laissé avoir de l'importance pour moi, et dieu sait que j'ai tout fait pour que ça n'arrive pas, mais... »

Elle s'interrompit, hésita, ne sachant comment expliquer son sentiment, le lien entre eux qui n'avait cessé de se solidifier tout ce temps, la petite voix qui lui chuchotait que peut-être, elle devait lui donner sa chance, que peut-être, il la méritait.

Elle avait au passage appuyé sur son véritable nom de façon volontaire – c’était la première fois qu’elle l’utilisait, mais elle décida que ce ne serait pas la dernière. Il était peut-être temps pour elle de voir l’homme derrière le crochet : elle ne pouvait l’aider si elle le ramenait sans cesse à l’homme que Rumplestiltskin avait créé.
Elle reprit enfin, après un court silence :

« Je ne sais pas pourquoi, mais je ressens une sorte de... de connexion entre nous deux, et j'ai... j'ai envie de te faire confiance. C’est peut-être une erreur, mais ce ne sera pas la première, et sûrement pas la dernière. » Elle fit une pause, puis reprit avec plus de légèreté, mais tout en pesant ses mots : « Et puis, il faut bien que quelqu’un se soucie de toi, ce n’est clairement pas toi qui va t'en charger. »

Elle marqua une pause cette fois plus longue avant de relever le menton vers lui, sans le quitter des yeux, tentant d’ignorer combien il était proche d’elle, ce qui était quasiment impossible :

« Laisse-moi t’aider. »

Elle formula ces quelques mots comme une question, sa question. Ce qu’elle disait c’était : ne me rejette pas, pas toi, pas maintenant, pas comme ça.
Elle venait de faire un pas vers lui, un pas qui lui coûtait beaucoup, et elle se sentait prise d'un vertige immense, comme si elle venait de courir jusqu'au bord d'un précipice, et c’était à présent à lui d’en faire un vers elle… ou de lui tourner le dos. Elle voulait l'aider, oui, mais pas à se venger, non. Elle voulait l'aider à aller de l'avant, et peut-être que ce faisant, elle-même pourrait en faire autant.

Spoiler:

« Il semblerait oui... »

De la façon dont il répondit – du bout des lèvres, presque à contrecœur -, Emma comprit qu’il détestait cela autant qu’elle. Personne, bien sûr, n’aimait se voir retirer le plus élémentaire de nos droits, qui était celui de choisir. Le libre-arbitre. On pouvait préférer croire au Destin, qui nous offrait une voie déjà toute tracée, ou à une quelconque entité supérieure aux doigts de laquelle chaque être humain n’était qu’une marionnette, un pantin articulé dont on couperait les fils un jour ou l’autre pour qu’il obtienne la seule réelle liberté qui semblait exister ici bas ; celle qu'offrait la Mort, mais au bout du compte, même toutes ces convictions se dérobaient face à la plus implacable des souveraines : la volonté humaine. La vie était faite de choix, de possibilités, de routes sinueuses et changeantes, et la leur n’avait jamais été de tout repos – elle était certaine que Hook sentait aussi bien qu’elle qu’ils venaient, ensemble, d’en emprunter une nouvelle, et ce avant même d’avoir pris le temps de se demander s’ils étaient prêts à s’y aventurer. Elle s’était simplement dérobée sous leurs pas et il n’y avait pas de retour en arrière possible ; seule la suite leur dirait s’ils avaient eu raison de s’y engager. Elle acceptait de faire avec ce genre d’imprévus, car la vie était ainsi faite et qu’il était inutile de lutter. Elle acceptait de ne pas avoir le choix, de ne pas avoir son mot à dire quant à ce que l’avenir lui réservait. Personne ne l’avait. Mais en revanche elle détestait avec force que d’autres décident pour elle de ce qu’elle avait à faire. Peut-être était-ce dû à l’absence de figure parentale dans son enfance, mais elle avait toujours mal réagi à toute tentative d’autorité sur sa personne, remettant souvent les gens à leur place, et leur rappelant volontiers qu’elle était une adulte parfaitement capable de prendre ses propres décisions et de les assumer seule, qu’elles s’avèrent bonnes ou mauvaises.
Hook devait comprendre quel était le problème qu’elle pointait du doigt et si clairement, cela ne lui faisait pas plaisir, cela ne changeait cependant rien à sa décision. Elle avait de plus une certaine légitimité dans sa démarche : elle était shérif, et elle devait reconnaître que dans ce genre de situation, sortir le passe-partout du « je suis représentante de la loi » était bien pratique, même si cela ne signifiait probablement que peu de choses pour le pirate qui ne connaissait pas les règles et lois de son monde (et ne s’y serait de toute façon pas conformé), sans oublier que même pour elle-même ce n’était jamais qu’une excuse confortable, un mensonge dans lequel elle aurait pu se réfugier ; pas d’attachements d’aucune sorte, une simple conscience professionnelle. Et bien, au diable la conscience professionnelle. Elle n’était peut-être pas prête à admettre certaines choses, et préférait ne pas se pencher sur certaines autres, mais une telle évidence, elle ne pouvait pas la nier. Elle n’agissait pas – ou pas que – par devoir.

Hook la chercha du regard, comme pour s’assurer qu’elle n’essayait pas de lui cacher quoique ce soit, et elle prit sur elle pour ne pas détourner le visage, pour qu’il voie sur ses traits qu’elle était aussi sincère qu’elle pouvait l’être. Elle lui prit des mains la bouteille de rhum puis la posa distraitement sur la caisse en bois la plus proche sans le lâcher des yeux – il n’était plus question de jeu (en avait-il jamais été question, en vérité ?), et si elle estimait qu’elle ne serait probablement jamais assez ivre pour avoir cette conversation, c’était aussi, et paradoxalement, l’une de celles qu’elle souhaitait avoir l’esprit suffisamment clair pour bien répondre, car les enjeux en étaient importants, et elle en avait conscience. Pas question de rater son coup, de dire la phrase de trop, de prendre le risque que Hook ne la repousse définitivement alors qu’elle pouvait – voulait – lui venir en aide, juste parce que l’alcool parlait à sa place (et elle pouvait devenir particulièrement bavarde, et particulièrement cinglante aussi lorsqu’elle dépassait quelques verres).

Son « mais… ? » murmuré lui suggéra cependant que s’il n’était rien d’autre, il était au moins curieux, curieux d’entendre ce qu’elle avait à dire, et cela ne signifiait-il pas que ses paroles avaient, d’une certaine façon au moins, de l’importance pour lui ? Qu’elle ne parlait pas totalement dans le vent ? Après tout, il ne l’avait pas encore forcée à quitter son navire. Un espoir, probablement vain mais bien présent, naquit en elle. C’était ridicule combien c’était important pour elle ; elle n’avait rien à se prouver (du moins c’était ce dont elle se convainquait) et cela ne la mènerait nulle-part (pensait-elle encore une fois), mais elle s’y accrochait avec force, et cela allait au-delà du parallèle qui tissait leurs vies, elle en avait conscience. Comme pour prouver qu’il accordait en effet un certain poids à ses paroles, plutôt que de répondre aussitôt, il médita sa proposition pendant un instant durant lequel elle n’émit pas un son, s’autorisant à peine à respirer, attendant, se préparant, à l’inévitable rejet qui suivrait.

« Emma... Je sais ce que tu me demandes là... et... »

Elle serra les dents. Et voilà, il venait, il était là, suspendu à ses lèvres, retenu avec hésitation, mais bien présent. Elle ferma les yeux brièvement. A quoi d’autre pouvait-elle bien s’attendre ? Lorsqu’elle les rouvrit, rencontrant à nouveau son regard, elle fut tentée de le faire taire avant qu’il ne puisse reprendre la parole, ou même de s’en aller sur-le-champ, mais ni sa bouche ni ses pieds n’acceptèrent de lui obéir et elle resta figée, attendant la suite, une faible lueur d’espoir encore brûlante dans sa poitrine. Il y avait quelque chose dans ses yeux d’indéfinissable, qu’elle n’y avait jamais vu, et il semblait aussi perdu qu’elle en cet instant. Ne bougeant pas d’un centimètre, elle prit une fois de plus conscience de leur proximité, de son souffle brûlant sur sa peau, aux arômes épicés et suaves de rhum, et du picotement léger mais pas désagréable qui parcourait son corps.

« Aide-moi Emma... »

Prononcés dans un chuchotement à peine audible, elle crut un instant avoir imaginé ces mots, mais sa main s’était soudain posée sur sa joue – chaude, étonnamment douce pour une main de pirate – et le contact la fit frissonner, anticipant quelque chose sans savoir exactement quoi, à la fois anxieuse, désireuse, et curieuse. Ses cils fins papillonnèrent légèrement avec surprise, exprimant sa totale incompréhension quant à ce qui se passait, son cerveau tournant soudain au ralenti alors qu’elle voyait son visage s’approcher, ses yeux se fermant instinctivement et…

Et la chose la plus inattendue au monde se produisit. Hook posa ses lèvres sur les siennes. Capitaine Killian « Hook » Jones l’embrassait. Son corps réagit instantanément à la soudaine intrusion en se crispant instinctivement, mais il y avait quelque chose dans ce contact de quasi électrique, comme si soudain tout convergeait vers ce baiser, qui était presque… exaltant ? enivrant ? Qui l’empêcha en tout cas de le repousser. Elle n’avait rien ressenti de tel depuis le baiser échangé avec Graham (le second, pas le premier) et encore, ce n’était pas vraiment comparable. Ce baiser était étonnamment doux, d’une tendresse qu’elle n’aurait pas imaginée de la part du pirate, et ses lèvres… ses lèvres étaient une véritable invitation.

Son cerveau peinait encore à assimiler ce qu’il se passait que son corps semblait déjà décidé à prendre le relai, et à répondre au baiser malgré elle, mais celui-ci fut bien trop court pour lui en laisser l’occasion, et à peine Hook s’était-il détaché d’elle qu’elle exhala malgré elle un léger soupir – de déception ? de soulagement ? difficile à dire – et elle réalisa qu’elle tremblait légèrement. Défaillir après un baiser c’était une première qu’elle refusait de céder à Hook – ou à qui que ce soit d’ailleurs - ; son ego n’en avait réellement pas besoin, et bon sang, c’était ridicule, elle n’était plus une adolescente en proie à ses hormones. Elle eut envie de se gifler elle-même de succomber si facilement pour quelqu’un qui prenait la séduction comme un jeu, mais l’air décomposé, presque penaud du pirate qu’elle aperçut alors qu’il s’éloignait lui fit violemment prendre conscience qu’il n’avait absolument pas planifié ça et qu’il était aussi dérouté qu’elle. Ce n’était pas une de ses tentatives de charme peu subtiles, non. Il avait agit sous une impulsion.

Encore trop sous le choc pour le gifler ou lui crier dessus comme elle l’avait fait avec Graham (qu’avaient-ils tous à l’embrasser sans son consentement, aussi ? Enfin, si elle était tout à fait honnête avec elle-même, elle l’avait vu venir, elle avait eu le temps de… oh, non, non-,non-non, stop, Emma, on n’avait dit pas dans cette voie là.), ou même pour demander des explications ou quoique ce soit d’autre, il lui fallut attendre que son cœur, qui semblait vouloir jaillir hors de sa poitrine, se calme, afin qu’elle analyse clairement ce qu’il venait de se passer. Si elle avait écouté son instinct, et si elle n’avait pas craint que ses jambes ne se dérobent sous elle, elle aurait franchit la distance qui les séparait à nouveau et l’aurait saisi par le col pour…

« Excuse moi Swan, je me suis laissé emporter... »

Heureusement, elle ne s’écoutait pas toujours. Elle lui décocha un regard incrédule, autant pour la formulation qui était un peu faiblarde, que le « Swan » solennel et distant qui était soudain revenu et lui fit l’effet d’une douche froide, la laissant arborer un air blessé pendant quelques secondes. Il était décidément difficile à suivre, même pour elle. Regrettait-il ? Difficile à dire. Probablement. Il avait en effet la mine de quelqu’un qui réalise avec effroi qu’il a fait une grosse erreur, mais en y repensant, presque la même scène avait manqué se jouer lors de leur dernière entrevue, sauf que les rôles étaient inversés et qu’elle n’était pas allée jusqu’au bout. Mais elle aurait certainement eu la même réaction que lui, si elle ne s’était pas enfouie sous terre avant. Et si elle s’était refermée aussitôt avant de s’enfuir, nul doute que lui aussi pouvait faire machine arrière rapidement.

Elle ouvrit la bouche pour lui répondre, portant une main fébrile à une mèche de cheveux qu’elle replaça derrière son oreille machinalement pour se donner une contenance, mais le choc la rendait encore muette, et elle ne put que se racler maladroitement la gorge. S’il avait jamais douté de la qualité de ses baisers, il n’en avait plus aucune raison désormais : il avait réduit Emma Swan au silence. Se fustigeant mentalement, elle retenta, mais sans plus de succès. Emma, reprends-toi ma fille. S’impatientant, elle fit un pas en avant, s’emparant du poignet du pirate, le tirant vers elle pour le forcer à la regarder et finalement lorsqu’elle ouvrit une nouvelle fois la bouche, les mots s’en échappèrent tous seuls :

« Ne fais pas ça », murmura-t-elle dans un souffle précipité, les yeux grands ouverts, l’air à la fois terrifié et suppliant. « Ne te referme pas, pas maintenant. Killian », ajouta-t-elle avec un effet d’insistance, sa poigne se refermant un peu plus étroitement sur son bras de façon inconsciente.

Il venait de lui demander de l’aide, à elle, et elle serait damnée avant de le laisser faire marche arrière juste parce qu’il s’était laissé emporter ou qu’il avait eu un moment d’égarement, s’il fallait qu’elle aille le chercher, elle irait, sans hésiter, qu’importait si elle-même naviguait en territoires inconnus.

« Tu as ressenti la même chose que moi, à l’instant, n’est-ce pas ? » le pressa-t-elle. « Je ne sais pas ce que c’était, mais c’était là, et je sais que tu l’as senti aussi, et je refuse que tu fasses marche arrière maintenant et que tu me donnes du "Swan" – bon sang, tu viens de m’embrasser ! » Dans son énervement, elle s’empara de sa main libre du col de son manteau en cuir, se hissant légèrement pour être à sa hauteur. « J’étais à deux doigt d’en faire autant la dernière fois qu’on s’est parlés, et nous savons tous les deux que ce n’est pas juste parce que tu es extrêmement bien conservé pour quelqu’un qui fait dix fois mon âge, alors je t’interdis de prendre tes distances maintenant, tu entends ? Je ferai comme si rien ne s’était passé si c’est ce que tu veux, mais il est hors de question que tu changes d’avis maintenant, compris ? »

Sa voix faiblit peu à peu, réalisant que comme souvent lorsqu’elle était sur les nerfs, elle divaguait, énonçant tout ce qui lui passait par la tête, y compris des absurdités : faire comme si de rien ne s’était passé, vraiment ? En était-elle seulement capable ? Elle avait encore l’impression d’avoir le corps un feu après un simple, fichu baiser, alors faire comme si de rien n’était ? Ce ne serait pas chose aisée, mais si c’était ce qu’il lui en coûtait, elle décida qu’elle était prête à essayer. Le cherchant du regard, elle attendit quelque chose, une confirmation, un signe qu’il avait compris, qu’il ne la repousserait pas. Cette crainte du rejet était toujours là, présente, pire qu’un poison dans ses veines, n’attendant qu’un instant de faiblesse pour l’attaquer. Elle relâcha sa prise doucement, et sa main glissa sur la lame du crochet, acérée, qu’elle retint cependant entre ses doigts, avant d’ajouter faiblement :

« Ne fais pas ce que je ferais, moi. Tu vaux mieux que ça. »

Du moment où elle avait posé le premier pied sur le navire du pirate jusqu’en cet instant, rien, absolument rien, ne s’était déroulé comme elle l’avait prévu. Pire que ça ; les choses lui avaient échappées un peu plus à chaque instant. Mais étrangement, ce n’était peut-être pas entièrement une mauvaise chose. Le face à face avait démarré plein d’une tension à peine contenue des deux côtés, tension qui s’était faite de plus en plus palpable au fur et à mesure que leur échange, lui, se faisait plus enflammé, pour finalement exulter sous la forme la plus inattendue qui soit : celle d’un baiser. Mais à présent que la colère était retombée, il ne restait plus que deux âmes désœuvrées, et finalement, la plus perdue des deux n’était pas forcément celle qu’on aurait pu penser. Oh, Emma ne se leurrait pas. Il aurait suffit d’un rien pour que les rôles soient inversés et pour que ce soit elle qui craque et voie son masque s’effriter peu à peu et tomber devant Hook, mais les choses avaient fait qu’il avait donné plus de sa personne qu’elle lors de cet échange, et que ses façades étaient tombées une à une pour ne plus laisser rien d’autre que le cœur meurtri qu’était Killian Jones.
Elle découvrait ainsi une facette de l’homme qu’elle avait jusque là tout au plus soupçonné, mais qu’elle n’avait jamais pensé voir, et qui faisait douloureusement écho à ses propres doutes. Hook, qui semblait toujours tellement sûr de lui, confiant et charmeur, comme s’il avait la conviction intime que rien ne pouvait l’atteindre, ce même Hook était à présent face à elle, les yeux baissés, l’air soudain… brisé. Etait-ce cette impression qu’elle donnait aux autres, elle aussi ? Celle d’une femme en apparence forte et sûre d’elle, capable de maîtriser toute situation qui se présenterait à elle, mais qui en vérité, pour peu que l’on découvre ses faiblesses, se sentait perdue et vulnérable ? Peut-être bien.

Mais étrangement, la faiblesse dévoilée du pirate révélait des forces insoupçonnées en elle. Tant qu’elle se concentrait sur les failles de quelqu’un d’autre, elle pouvait oublier les siennes. Elle n’était peut-être pas assez forte pour elle-même, mais elle pouvait essayer de l’être pour lui. Elle connaissait ses démons. Et s’il était pris dans des sables mouvants, elle était prête à s’y risquer elle aussi, à l’y rejoindre, pour mieux l’en sortir. Au risque de sombrer avec lui.

Il prononça son prénom d’un ton bas, presque suppliant, levant vers elle des yeux emplis d’une telle tristesse qu’elle sentit son cœur se serrer, tentant de deviner ce qu’il essayait d’exprimer dans ce simple mot. Un appel à l’aide, oui, mais de quel genre ? Lisant l’incertitude dans son regard, elle eut peur qu’il ne la repousse malgré sa demande ; elle voulait l’aider, mais elle ne pouvait pas le forcer à accepter son aide. S’il lui demandait de partir et qu’elle lisait dans ses yeux que c’était vraiment ce qu’il souhaitait, si elle pensait, ne serait-ce qu’un instant, que c’était réellement ce qu’il y avait de mieux pour lui, elle s’exécuterait, sur-le-champ, sans un mot, sans un regard en arrière - mais même si la demande muette était là, planant entre eux, il ne l’énonça pas, et ses yeux étaient, quant à eux, une invitation à rester. Car qui mieux qu’elle pouvait lire entre les lignes d’un « va-t-en » un « reste » ? Même lorsqu’on passait sa vie à se bâtir des murs, il était humain de souhaiter secrètement que quelqu’un, un jour, parviendrait à passer au-dessus. Ils venaient de découvrir respectivement qu’ils pouvaient, l’un pour l’autre, être cette personne. L’idée était aussi enivrante que vertigineuse. Le pirate se dérobait, oui, mais il ne le faisait pas avec une conviction absolue, et elle le voyait. Il n’en fallait pas plus pour la convaincre de ne pas baisser les bras.

Ce n’était pourtant pas plus facile pour elle que ça ne l’était pour lui. Elle était celle qui avait fait un pas dans sa direction, qui avait tendu la main, mais ce geste lui coûtait, car elle avait beaucoup à y perdre elle aussi. Les pirates n’étaient pas réputés pour être dignes de confiance, et elle s’était placée dans un paradoxe inévitable mais inconfortable où elle n’essayait pas de le faire renoncer à sa vengeance (cela devait être, ultimement, la conséquence d’un changement auquel il aurait acquiescé, mais pas la raison de ce changement – plus rien, en bien ou en mal, ne devait être motivé par cette vengeance), mais où elle se compromettait en s’y interposant malgré tout. Ses doigts, retenant toujours le crochet métallique de Hook, glacial contre sa peau, était une parfaite illustration de ce qu’elle était en train de faire : elle lui faisait confiance, assez pour s’exposer, mais c’était un risque, et tandis que ces doigts glissaient sur l’extrémité acérée de l’arme qui lui servait de main gauche, elle lui faisait comprendre qu’elle avait conscience du danger mais qu’elle était là malgré tout. Tout comme elle aurait aimé que quelqu’un soit là dans les heures les plus sombres de sa vie – et dieu savait qu’il y en avait eu, même si trente ans pâlissaient en comparaison des trois siècles que le pirate avait, lui, traversé, rongé de l’intérieur.

« Et qu'est-ce que je vaux vraiment ? »

Méditant la question, Emma ne répondit pas tout de suite. Elle n’était pas certaine d’être la mieux placée pour répondre. Après tout, elle avait l’impression que Hook et elle se comprenaient, mais malgré tout elle ne savait que peu de choses de lui et elle commençait à peine à découvrir l’homme derrière le crochet. Que pouvait-elle de savoir de ce qu’il valait, de la personne qu’il pouvait être, sinon ce que lui disait son instinct – une réponse qui n’avait sûrement rien de satisfaisant pour lui. Et plutôt que de se lancer dans des grands discours sur ce qu’elle voyait en lui, ou croyait voir, paroles qui sonneraient probablement creux, elle préféra répondre honnêtement.

« Je ne sais pas. Pas encore. Mais je pense… je sais que tu es plus que ce que Rumplestiltskin a fait de toi. »

Elle suréleva légèrement le crochet pour illustrer ces propos. Ce crochet n’était pas que le symbole d’une défaite, le cadeau involontaire que lui avait laissé Gold, le permanent rappel de la quête de vengeance qu’il menait ; il avait fini par devenir son identité. Il s’était construit une réputation dessus. Peut-être avait-il fini par se convaincre qu’il n’était que Hook, ou peut-être qu’on ne lui avait jamais donné sa chance d’être plus ; et elle plaidait coupable, elle ne lui avait pas fait confiance non plus au départ, et même si c’était toujours pour Emma quelque chose d’incroyablement difficile à accorder, elle ne ferait pas l’erreur deux fois.

« Je t'ai embrassé Emma... et j'ai eu tort... Il y a là quelque chose qui a brulé quand je t'ai embrassé. Et ce n'est pas... normal. Je... je ne veux pas à nouveau souffrir Emma. »

Tout en parlant, il avait pris sa main libre pour la poser sur son cœur – sous le tissu sombre de sa chemise, elle pouvait sentir un battement, faible mais bien présent, dont le rythme précipité semblait être calqué sur le sien. Elle sentit sa prise sur son poignet se refermer un peu plus, mais ne fit rien pour retirer sa main. Elle sentait sous ses doigts une douce chaleur qui émanait du pirate, et elle réalisa combien elle n’était plus habituée à la proximité physique d’une autre personne, combien ses contacts humains semblaient être passés de faibles à inexistants. Un long frisson parcourut son dos lorsqu’il s’approcha un peu plus pour poser son front contre le sien, et son souffle se bloqua dans sa poitrine. Là, de si près, elle pouvait voir parfaitement chaque ligne de son visage, et la douleur qui se peignait sur chacune d’entre elles.

« Et pourtant... j'ai besoin de ton aide Emma, mais... j'ignore comment. »

Sa voix était rauque, à peine audible mais elle comprit sans peine ce qu’il disait, moins grâce à ses mots que son expression – pour une fois, c’était lui le livre ouvert, et il en avait conscience. Mais ses émotions étaient un parfait reflet des siennes : un mélange paradoxal de crainte et d’espoir, de joie et de peine, de passion et de détresse, quelque chose d’à la fois agréable et douloureux, oui, comme cette brûlure qu’elle aussi avait ressenti un peu plus tôt dans sa poitrine.
Elle relâcha doucement son crochet pour porter sa main à son visage, ses doigts effleurant à peine son menton, la barbe naissante sur ses joues, d’une façon si légère qu’elle avait l’impression d’imaginer le contact, comme si elle n’était qu’un fantôme qui passerait au travers de sa peau. Le fourmillement se réveilla à nouveau en elle.

« Si tu as eu tort, pourquoi est-ce que ça semblait si… juste ? »

Ses doigts glissèrent sur ses lèvres qu’elle survola avec l’envie presque lancinante de les sceller aux siennes à nouveau, sa tête s’inclinant presque imperceptiblement dans ce but, mais elle ne pouvait pas simplement céder à l’impulsion pour être mieux confrontée aux conséquences de ses gestes plus tard ; elle voulait savoir dans quoi elle se lançait, s’assurer qu’il la suivait, et si c’était le cas, découvrir jusqu’où il était prêt à la suivre avant de faire quoique ce soit de plus.
Plantant à nouveau son regard dans le sien, elle reprit avec douceur :

« Je n’ai pas de solution miracles, ni pour toi, ni pour moi. Je ne peux pas te promettre que tu ne souffriras pas, parce qu’il y a toujours un risque et… ça me terrifie aussi », admit-elle d’une petite voix. « Mais pour la première fois depuis longtemps, j’ai l’impression que je suis en train de prendre la bonne décision, et je ne veux pas renoncer à ça. »

Sa main remonta à sa nuque où elle se posa comme pour l’empêcher de partir, l’autre toujours appuyée contre son cœur, et elle ferma les yeux à son tour. Elle se sentait complètement électrisée par sa proximité et son souffle était irrégulier, mais surtout, elle se sentait en confiance. Elle se sentait bien. Comme si elle était parfaitement là où elle devait être. L’idée lui donna des papillons dans l’estomac et elle s’accrocha un peu plus à lui.

« Tu as dit que nous formions une bonne équipe, tu te souviens ? Tu avais raison, mais je n’avais pas envie de te croire. C’était plus facile de fuir. Mais je suis fatiguée de fuir, et je suis fatiguée d’être seule, de me fermer à tout, j’ai envie de vivre, de ressentir… Et là, maintenant, je ressens. Grâce à toi. »

Et ça me donne envie de plus, pensa-t-elle sans l’ajouter.

« Merci... »

Emma haussa légèrement les sourcils à cette soudaine preuve de gratitude. De quoi la remerciait-il donc ? Elle n’avait rien fait qui méritait sa reconnaissance. Elle était simplement… là. Mais en y réfléchissait bien, c’était probablement déjà quelque chose en soit, surtout quand toutes les fibres de son corps lui criaient de partir avant de commettre l’irréparable, d’atteindre le point de non retour (ne l’avaient-ils pas déjà atteints ?) et si elle n’avait pas été si occupée à retenir Hook, c’était probablement elle qui aurait tenté de s’échapper. Mais plus le temps passait et moins elle en avait envie ; sa raison affolée se voyait réduite au silence par ses élans du cœur, ce qui ne lui était pas arrivé depuis bien longtemps.

Un sourire fin et sincère se dessina sur ses lèvres en guise de réponse. Elle ne faisait jamais rien avec l’idée en tête qu’ainsi on lui en serait reconnaissant, ou même redevable : elle n’était pas Gold, elle n’exigeait rien en retour. Mais elle ne pouvait nier qu’un « merci » n’était jamais déplaisant, et en vérité, elle ne se souvenait pas de la dernière fois que quelqu’un l’avait remerciée ainsi. Que Hook soit, d’entre tous, le premier à le faire, était aussi inattendu que réconfortant. Elle n’avait peut-être pas l’impression d’avoir fait quoique ce soit qui méritât cette gratitude, mais grâce à lui, elle ne se sentait pas complètement vaine. Il avait une façon de la faire se sentir… peut-être pas importante, mais en tout cas utile, et c’était sans même parler des compliments qu’il avait pu lui faire, lorsqu’ils étaient encore dans la Forêt Enchantée. Elle n’était pas dupe : c’était un charmeur, et elle se doutait qu’il avait probablement l’habitude de courtiser toutes les femmes pas complètement désagréables à regarder qui se présentaient sous ses yeux. Mais si ses flatteries concernant sa beauté l’avaient laissée de marbre, la façon dont il l’avait félicité après avoir déjoué le géant, ou encore le compliment déguisé qu’il lui avait fait en disant qu’elle ferait une parfaite pirate lui avaient fait chaud au cœur d’une façon qu’elle avait alors préféré ignorer. Personne ne l’avait jamais fait se sentir ainsi. Emma avait très vite compris que la fierté qu’on pouvait tirer d’un bulletin scolaire honorable, d’un repas compliqué réussi ou d’un succès professionnel pouvait devenir très amère lorsqu’il n’y avait personne avec qui la partager. Elle avait été seule dans ses réussites comme dans ses échecs ; elle s’était construite ainsi. Ce n’était pas quelque chose d’aisé à défaire, et malgré tous leurs efforts, Mary Margaret et David avaient du pain sur la planche avant de pouvoir rattraper vingt-huit années de doutes et d’isolement.

La jeune femme pouvait sentir le regard du pirate sur elle, intense, presque brûlant, comme si elle était une tentation à laquelle il résistait tant bien que mal et si cela avait été son genre, pour peu, elle en aurait rougi. Elle avait bien des fois reçus des regards intéressés, parfois franchement lubriques, de la part de parfaits inconnus, qui n’avaient eu guère d’autres effets que de l’énerver, mais c’était là différent. Il s’agissait de Hook et il y avait une sorte de douceur indéfinissable dans son regard qui la touchait inexplicablement, l’attendrissait et l’enivrait tout à la fois, et c’était sans même parler de ses battements de cœur sous ses doigts – l’idée qu’il s’emballe ainsi à cause de l’effet qu’elle avait sur lui avait quelque chose de proprement grisant, même si l’inverse fonctionnait également.

La main de Hook caressa une nouvelle fois sa joue, effleurant ses lèvres avant de se poser sur son cou, imitant ses propres gestes quelques instants plus tôt.

« Comment appelles tu ce que tu ressens Emma ? Je crois que j'ai fui cette sensation trop longtemps. J'ai toujours eu peur de perdre ce qu'il me restait de M... Je t'ai embrassé, et j'ai la désagréable impression que je vais tout gâcher. Je ne voulais pas de ce... sentiment, Emma, mais il est bien présent, vivace. Et plus je reste là avec toi, plus il se fait fort, et... je ne peux pas le repousser éternellement. Je ne veux plus. Je ressens à nouveau aussi, et ça me tue car je ne sais pas si je fais bien de suivre cette voie ou non. Et j'ai pourtant envie de suivre cette voie... »

Elle avait l’impression qu’à quelques détails près, cette tirade aurait pu être la sienne. Elle mordit presque inconsciemment sa lèvre au prénom non prononcé de Milah. Elle savait qu’elle n’avait aucune chance de jamais faire oublier la jeune femme à Hook (et ce n’était pas son but), mais craignait que son fantôme ne cesse jamais tout à fait de le hanter, et son estomac se noua à la réalisation que c’était en fait ce qu’il recherchait, la raison pour laquelle il n’avait pas baissé les bras en trois siècle. Perdre ce qu’il lui restait d’elle…  il craignait qu’elle ne lui fasse oublier Milah. Qu’elle ne la remplace.

Elle ouvrit aussitôt la bouche, tous ses doutes et ses insécurités l’assaillant aussitôt à nouveau, mais avant de pouvoir dire quoique ce soit, il s’appropria à nouveau ses lèvres, et cette fois elle répondit aussitôt à son baiser avec ferveur, s’accrochant à lui avec quelque chose proche du désespoir, et pas seulement parce que ce baiser semblait transformer ses jambes en coton et qu’elle avait l’impression que sans son appui elle aurait été incapable de rester debout. Elle laissa sa main remonter juste assez pour plonger dans ses cheveux sombres, un peu trop consciente de la façon dont leurs corps étaient plaqués l’un contre l’autre, de sa main qui avait glissé progressivement pour se poser sur ses hanches, et de ses lèvres... ses lèvres. Elle murmura un petit « Killian » étouffé contre celles-ci, comme une prière, presque une supplication, puis le baiser s’arrêta trop vite, trop tôt, et elle dut soudain lutter pour retrouver son souffle, sa respiration erratique et irrégulière, tandis que le pirate s’éloignait légèrement, la laissant presque étourdie, toujours accrochée à lui, avant de murmurer :

« Que ressentons nous Emma ? »

C’était la même question que celle qu’il venait de lui poser un peu plus tôt et à laquelle elle n’avait pas eu le temps de répondre, mais avec une différence majeure : le « tu » était devenu un « nous ». Les yeux clairs d’Emma s’agrandirent légèrement, son cœur martelant toujours sa poitrine. Elle ne savait pas quoi répondre à cette question. La réponse tenait probablement de l’évidence, et elle le savait, mais enfouie dans sa crainte du rejet et le traumatisme qu’avaient été ses précédentes expériences amoureuses, elle ne pouvait trouver la forcer d’y faire face, encore moins de lui répondre. Elle était prête à l’aider, à lui faire confiance, à accepter qu’ils étaient liés et qu’elle avait besoin de lui, qu’elle le désirait même, mais ça… ça, c’était un pas qu’elle ne pouvait pas encore franchir et elle se sentit soudain vulnérable et pathétique. Elle était venue ici sur ses grands sabots, pleine d’idéaux et de beaux discours, et elle se voyait soudain réduite au silence par une simple question qu’il lui posait, sans piège ni malveillance.

« Je… C’est… »

Incapable de trouver les mots, elle détourna le regard, repoussant furieusement les larmes qui menaçaient soudain de couler, sans grand succès. Elle en essuya l’une du revers de la main d’un geste rageur, notant à peine qu’elle tremblait.

« Tu crois que c’est toi qui risque de tout gâcher, mais si tu savais à quoi ressemblaient mes précédentes relations, tu ne dirais pas ça. J’ai essayé, j’ai vraiment essayé, mais je ne suis jamais à la hauteur, et ils finissent tous, toujours par me repousser. Ou par mourir entre mes bras... »

Elle eut un rire sans joie, amer. Elle venait de révéler une similitude de plus entre eux : Graham n’était peut-être pas été son véritable amour comme Milah l’avait été pour Hook (elle ne le saurait en tout cas jamais), mais la douleur de sa perte n’avait pas moins été cruelle et mordante.
Elle se sentit soudain terriblement fragile. Elle détestait se comporter ainsi. Elle détestait exposer ses faiblesses. Mais, après tout, Hook lui avait fait part des siennes, ce n’était qu’un juste retour des choses, non ? Elle lui devait bien ça. Elle n’avait pas le droit de lui proposer son aide sans lui rappeler combien elle-même était brisée. Il fallait qu’il sache ce qui l’attendait s’il ne la repoussait pas.

« Et tu vois, je ne peux même pas répondre à ta question, parce que même si je suis là, je suis terrifiée… et j’ai envie d’y croire, mais parfois j’ai l’impression que je n’ai simplement pas le droit d’être heureuse, que ma destinée ce n’est pas de trouver l’amour ni le bonheur, mais simplement d’assumer ce fardeau dont je ne veux pas et n’ai jamais voulu, celui de la Sauveuse, et je ne sais même pas si je suis réellement capable de t’aider… »

Elle parlait à toute vitesse, tandis que les doigts qui avaient plongés dans ses cheveux étaient descendus, glissant le long de son col où ils retenaient à présent les pendentifs suspendus au bout d’une chaînette qu’il portait toujours à son cou, avec une telle force qu’elle en avait presque mal et que ses jointures étaient blanches.

« Je m’étais jurée de ne plus jamais m’ouvrir à qui que ce soit, de ne plus jamais laisser à personne assez de prise sur mon cœur pour me faire du mal… »

Réalisant à peine que chaque nouveau mot qu’elle énonçait était en vérité une réponse en soit, formulée d’une façon détournée mais pourtant pas moins efficace, qui révélait ce qu’elle ressentait pour qui savait lire entre les lignes, elle reprit :

« Mais même avant aujourd'hui, je n’arrivais pas à te sortir de ma tête et j’ai pourtant essayé, mais je sais reconnaître un combat perdu d’avance quand j’en vois un et au fond, je n’ai pas envie de me battre contre ça, contre toi… »

Les dents serrées, sentant deux larmes brûlantes couler malgré elle au coin de ses joues, elle ajouta d’une toute petite voix, les yeux baissés :

« La vérité, c’est que moi aussi j’ai besoin d’aide. Mais j’ai appris à ne pas demander. »

C’était bien la seule chose à faire quand il n’y avait personne pour répondre.

L’amour est une force.

C’était ce qu’elle avait dit à Cora. C’était ce qu’elle avait réappris à croire, après tant d’années à penser, comme la sorcière, que c’était une faiblesse, à s’en rappeler, voire à s’en convaincre chaque fois qu’elle se surprenait à errer dans une direction qu’elle avait peur d’emprunter – comme là. Mais Henry lui avait ouvert les yeux, Henry et son indéfectible optimisme, sa foi aveugle en le Bien, son affection immédiate et sans réserves… il était passé à travers ses barrières sans efforts, sans même réellement avoir à essayer, juste par sa présence. Et c’était l’amour qu’elle avait pour lui qui l’avait sauvé sur son lit d’hôpital, ce même amour qui l’avait protégée de Cora… tout ce qu’elle avait fait depuis son arrivée à Storybrooke, elle l’avait fait pour lui. Comment pouvait-elle encore penser que ce qui lui avait permis d’affronter un dragon, un géant, une sorcière et des ogres et d’en sortir vivante était une faiblesse ?

Malgré tout, les peurs et les doutes restaient là, à la surface, embrouillant son jugement. Sans même parler de toutes les craintes – justifiées ou non – qu’elle pouvait avoir en cet instant, il y avait toutes ces interrogations que le futur, incertain, laissait planer au-dessus de leurs têtes. S’ils voulaient vraiment que ça marche, s’ils voulaient se relever ensemble, s’appuyant l’un sur l’autre, ils allaient devoir se battre et elle le savait. Ce ne serait pas facile. Quelle place avaient-ils vraiment dans tout ça ? Cora et Regina, bien décidées à se venger de sa famille d’un côté, cette histoire de tremblement de terre étrange et de puissance mystérieuse de l’autre, sans même parler de tout le reste – avec en tête le retour de Neal dans sa vie et la priorité qui semblait être celle pour ses parents de retourner dans le monde des contes, idée qu’elle n’était pas sûre d’approuver… sans oublier la vengeance du pirate, qui la laissait toujours dans cet entre-deux inconfortable. Et puis… comment réagiraient ses parents ? Et Henry, qu’en penserait-il ? Y’avait-il vraiment une seconde chance pour eux, quelque part dans ce chaos ? Avaient-ils un avenir ensemble ? Et si oui, lequel ?

Toutes ces questions qui tourbillonnaient dans sa tête l’effrayaient d’autant plus que le fait même qu’elle se les posât montrait combien elle était sérieuse à ce sujet. Ce quelque chose qu’il y avait entre eux, quoique ce fût, ce n’était pas une simple passade – bien évidemment, si elle avait pensé un instant que c’était le cas, elle ne se serait pas ouverte à Hook, mais la prise de conscience restait aussi abrupte que douloureuse pour elle. Elle se surprenait presque à souhaiter que ce n’eut été qu’un flirt, une aventure sans conséquences… mais c’était un mensonge à elle-même, et elle le savait. Ce n’était pas ce qu’elle souhaitait. Elle avait eu son lot d’aventures d’une nuit, à s’éclipser aux premières lueurs du matin, récupérant ses vêtements épars pour partir en catimini, sans laisser un numéro de téléphone ni même un nom, pour retrouver la solitude de son appartement froid et impersonnel du moment. Et ce n’était pas vraiment quelque chose qui lui manquait. Elle voulait quelqu’un aux côtés de qui elle pourrait se réveiller sans avoir à prendre la poudre d’escampette. Elle ne voulait pas simplement se perdre dans l’étreinte d’un moment, noyer la solitude le temps d’une soirée. Elle voulait… plus. Beaucoup plus. Il était peut-être temps qu’elle tourne la page Neal. Qu’elle renonce à Tallahassee, qu’elle se construise un nouveau rêve, avec quelqu’un d’autre. Elle en avait envie. Et elle pensait que Hook pouvait être cette personne.

Sentant sa détresse, le pirate l’attira un peu plus contre lui et elle se détesta pour cela, se sentant plus vulnérable que jamais, mais elle s’abandonna sans difficultés dans cette étreinte étonnamment tendre et réconfortante. Elle n’était pas… elle n’était plus seule, il était là, avec elle. La chaleur corporelle qui se dégageait de lui et l’entourait avec douceur était réelle, presque protectrice, et elle inspira profondément son odeur, un mélange enivrant de cuir, d’océan, de rhum et de quelque chose d’indescriptible, d’indéniablement mâle, d’inexplicablement lui. Elle sentit son pouce balayer une larme de son visage, et la douceur de ce geste la bouleversa un peu plus. Si elle avait jamais douté jusqu’ici de l’honnêteté de ses sentiments, ce doute n’était plus permis. Il se souciait d’elle. Il se souciait réellement d’elle.

« La question n'était que rhétorique. Emma, je ne sais pas si tu te rends compte à quel point tu m'aides déjà... et c'est... quelque chose de totalement nouveau pour moi. J'ai vécu une vie de vengeance pendant très longtemps, et toi tu as réussi à me faire... réfléchir sur des choses que j'avais déjà depuis des années mis au clair. Je ne crois pas que c'est parce que tu sois la Sauveuse. C'est simplement toi. Tu es pour ainsi dire la seule à avoir réussi à voir au delà de ce que je suis. Et c'est une prise que tu as aussi sur mon cœur, crois moi. Tu n'es plus seule, tu as le droit de demander... »

La jeune femme avait relevé ses yeux encore brillants pour le regarder avec un mélange d’espoir et d’incrédulité, comme si elle ne parvenait pas à croire ce qu’elle entendait, mais en avait désespérément envie. La main du pirate était serrée sur la sienne, telle une prise sur la réalité, une réalité dont il faisait dorénavant partie. Ses mots étaient comme un baume sur ses plaies ouvertes : une à une, il les soignait en trouvant les mots justes, comme s’il savait parfaitement tout ce qu’elle avait besoin d’entendre. Elle voyait l’homme derrière la vengeance dont il avait fait son seul but, et il voyait la femme derrière la prophétie qu’elle portait comme un fardeau sur ses épaules. Elle n’avait pas besoin de faire semblant avec lui. Elle n’était plus seule. Pour peu, elle en aurait versé de nouvelles larmes. De joie.

« Je vais te dire ce que je ressens Emma... »

La jeune femme n’eut pas vraiment le temps de se préparer pour la suite – si elle pouvait jamais se préparer pour ce genre de choses – se contentant de le fixer d’un air interrogateur tandis qu’il s’efforçait de trouver les mots :

« Je t'aime. »

Le choc se peignit sur ses traits dès que son cerveau fut en mesure d’enregistrer ce qu’il venait de dire, et elle scruta son visage pour vérifier qu’elle n’avait pas rêvé, ou qu’il ne se fichait pas d’elle, mais rien ne vint contredire ces trois simples mots qu’elle n’avait pas entendue depuis ses dix-sept ans. Elle se mit à trembler un peu plus, un mélange d’émotions l’assaillant avec une puissance qui la laissait presque étourdie – à moins que ce ne fût le rhum – et cette fois elle était certaine que ses jambes se dérobaient sous elle, mais elle était tout contre lui, et il la retenait et il… l’aimait. Il l’aimait. Quelque chose s’enflamma dans sa poitrine, quelque chose qu’elle n’avait pas ressenti depuis longtemps, peut-être même jamais, et qui la faisait se sentir incroyablement vivante. Elle avait posé le pied sur ce bateau avec la conviction absolue que le moindre faux pas auprès du capitaine lui coûterait la vie, et à présent… ça. Il la rendait plus vivante qu’elle ne l’avait été depuis longtemps. Autant dire qu’elle ne s’était pas attendue à cette réponse. C’était… précipité ? Si elle avait le sentiment que les choses allaient à toute vitesse, elle savait cependant que tout ce qui se passait là n’était que l’aboutissement de quelque chose qui avait commencé à germé bien plus tôt – depuis leur première rencontre, en vérité. Et puis, elle était la fille de Snow White et Charming. Elle avait lu le livre d’Henry. Leur coup de foudre avait été immédiat lui aussi. Surprenant ? Que le pirate fasse ainsi un tel aveu, qu’il prononce des mots qui, si elle l’en croyait, il n’avait pas prononcé depuis trois siècles, trois siècles dédiés à venger la dernière à les avoir entendus… oui, pour elle, c’était surprenant, malgré tout ce qui avait déjà pu se dire. Effrayant ? Oui, aussi, terriblement : il venait en quelque sorte d’officialiser ce qu’il se passait entre eux, et cette fois ils avaient dépassés depuis longtemps le point de non retour. Mais c’était surtout… exaltant. Emouvant. Enivrant. Excitant. Et bien d’autres choses.

Elle avait pensé être incapable de lui retourner ses mots. Etre forcée de lui faire, une fois de plus, défaut. Mais l’aveu du pirate avait en quelque sorte déclenché quelque chose en elle, et elle réalisa avec stupeur qu’ils étaient là, au bord de ses lèvres, et que rien ne les retenait sinon sa voix qui semblait avoir disparue, encore sous le choc de ce qui venait de se passer. Il avait peut-être fait le premier pas, pris les risques qu’elle n’avait pas osé prendre, mais à présent que le mot était lâché, elle reconnaissait ce même sentiment en elle, et elle ne pouvait plus le nier. Oui, elle l’aimait. C’était absurde, et fou, et inespéré, mais elle l’aimait. C’était parce qu’elle avait eu peur de ça qu’elle l’avait abandonné après avoir obtenu la boussole, mais à présent elle ne pouvait plus, ne voulait plus reculer. S’il plongeait, elle plongeait avec lui. Un sourire se dessina peu à peu sur ses lèvres tandis qu’elle prenait conscience du changement qui s’opérait peu à peu en elle, la confiance nouvelle qui naissait, peut-être même l’espoir. Et, sans prévenir, elle noua ses bras autour du cou de Hook, l’attirant à elle, pour lui donner un baiser – le premier qu’elle initiait. Un baiser à la fois tendre et doux, ardent et passionné, un baiser qui, espérait-elle, exprimait tout ce qu’elle ressentait en cet instant, un baiser qu’elle n’interrompit que le temps de souffler contre ses lèvres, avec un petit rire joyeux qu’elle ne pouvait contenir :

« Je t’aime aussi, Killian Jones. »

Entendre les mots de sa bouche lui laissa une impression étrange mais pas déplaisante, et son sourire s’élargit quelque peu. Elle sentait encore les traces humides de ses larmes sur ses joues, son cœur battait plus que jamais la chamade, et jamais ses émotions n’avaient fait de telles montagnes russes sur un si court laps de temps, mais à présent qu’elle ne portait plus ce lourd secret en elle, elle se sentait incroyablement… légère.

« Je ne pensais pas redire ces mots un jour, mais c’est vrai, je t’aime, et j’ai été idiote de ne pas m’en rendre compte plus tôt, j’ai laissé mes doutes me guider et je t’ai trahi et je suis tellement désolée, mais je ne referai plus la même erreur… je te le promets. »

Elle déposa un nouveau, chaste baiser sur ses lèvres. Il était évident que ses doutes et ses craintes ne l’avaient pas quittée, ne la quitteraient peut-être jamais, mais elle était décidée à ne plus les laisser en travers de sa route. Pour lui, elle pouvait faire ça.

Il était trop tard pour regretter ce qui venait de se dire, ce qui venait de se passer entre eux, trop tard pour reculer et faire marche arrière, trop tard pour tout - mais si Emma était tout à fait honnête avec elle-même, il était déjà trop tard au moment où leurs regards s’étaient pour la première fois croisés. Elle n’avait fait que repousser l’inévitable, fuir, gagner du temps. Mais il y avait certaines choses desquelles on ne fuyait pas. Etait-ce le destin ? Peut-être. Elle n’avait jamais été très friande de cette idée, préférant croire au libre-arbitre, mais depuis qu’elle avait vu son nom écrit et répété sur une page de parchemin dans la cellule de Rumplestiltskin, elle re-questionnait ses convictions. Pendant vingt-huit ans, sa vie n’avait été que le long et pénible acheminement de ce qui était son Destin, celui de la Sauveuse. Tout ce qui s’était passé durant ces années, de l’abandon de ses parents et de Neal à la naissance d’Henry en passant par une solitude qui, elle le comprenait maintenant sans que cela allège le poids de cette souffrance, avait été nécessaire, tout, avait eu pour but de l’aiguiller dans l’accomplissement de cette destinée. Elle devait briser la malédiction. Et après ? La suite était-elle écrite, elle aussi ? Si c’était le cas, la Providence avait un drôle d’humour. Avoir été abandonnée de tous pour se retrouver dans les bras d’un vilain de conte pour enfants… C’était tellement risible et absurde qu’elle se demandait si elle ne rêvait pas toute la scène, et à vrai dire, cela ne l’aurait pas étonnée, surtout pas depuis que la magie était entrée dans Storybrooke et qu’à peu près tout était possible. Peut-être était-ce une hallucination. Et si la jeune femme savait au fond d’elle que tout cela était réel, elle était si peu habituée à recevoir un peu de bonheur dans sa vie qu’elle s’attendait au pire, comme si à tout moment, un rebondissement allait survenir et changer la donne, parce que la dernière fois qu’elle avait ouvert son cœur, un homme était mort dans ses bras, et en dépit d’elle-même, elle surveillait du coin de l’œil les environs, imaginant déjà toutes les manières les plus cruelles dont la scène pouvait se finir. Peut-être que Gold apparaîtrait de nulle-part pour tuer le pirate sous ses yeux impuissants. Ou bien qu’un nuage de fumée mauve entourerait Hook pour révéler soudain Cora. Ou peut-être même que son cœur lui avait été enlevé et que Regina le contrôlait, se servait de lui telle une marionnette, un pantin désarticulé, qui ne pouvait rien faire d’autre que subir cette situation, comme Aurora dans la forêt Enchantée. Les scénarios étaient multiples, infinis, certains plus grotesques que d’autres, mais tous avaient pour point commun une conclusion amère voire sinistre. Et pourtant, plus temps s’écoulait et moins elle pouvait douter de ce que son cœur savait déjà : tout était réel.

Le sourire de Hook provoqua des papillons dans son estomac, lui laissant une fois de plus la sensation assez désagréable qu’elle était encore une adolescente inexpérimentée qui se retrouvait face à son idole de toujours – et il fallait bien le dire, il avait sans aucun doute le potentiel pour déchaîner une masse de jeunes filles en furie avec son délicieux accent et son physique qui était une incitation au péché à part entière. C’était proprement injuste d’être encore aussi sexy après plus de trois cent ans tandis qu’elle devait batailler avec son fer à friser et son make-up lorsqu’elle voulait vraiment se montrer sous son meilleur jour. Nulle-part dans ses livres de contes ne se souvenait-elle avoir lu que le capitaine Crochet ressemblerait à ça, et pour toute l’admiration qu’elle portait à Dustin Hoffman, elle ne s’était pas encore surprise à le regarder de cette façon là. Elle réprima un nouveau frisson en sentant sa main se promener dans ses cheveux tandis qu’il la fixait de son regard perçant, celui-là même qui lui avait donné l’impression qu’elle était en effet un livre ouvert et qu’elle ne pouvait rien lui cacher, mais dans lequel elle lisait à présent tout un tas d’autres choses, qui la ravissaient autant qu’ils l’effrayaient.

« On fait tous des erreurs Emma. Tu n'as pas été la seule à repousser des sentiments. »

Il était vrai qu’en dépit de ses tentatives de flirts et autres sous-entendus qu’il prodiguait certainement à tout individu femelle pas trop désagréable à regarder, lui aussi s’était défié d’elle jusqu’ici, même si elle avait été la première à le déjouer. Et au fond, cela ne la surprenait pas : ils étaient réellement semblables à bien des aspects. Ils cherchaient tous deux à se protéger. Emma espéra qu’à défaut de pouvoir se protéger eux-mêmes ils pourraient se protéger l’un l’autre. Dans un sens, c’était déjà ce qu’elle n’avait cessé de faire jusqu’ici. En s’assurant qu’Anton ne le tuerait pas, puis en allant marchander avec Gold pour qu’il ne fasse pas de mal au pirate. S’il devait lui arriver quoique ce soit à présent, elle ne s’en remettrait pas. Elle n’avait plus qu’à espérer que l’amitié que Gold semblait avoir pour elle s’étendrait à ceux qu’elle aimait et qu’il tiendrait sa promesse, car autrement, même elle ne pourrait rien contre le prêteur sur gages et elle le savait.

« Je n'ai pas dit à quelqu'un que je l'aimais depuis longtemps. Et je ne pensais pas les redire non plus honnêtement. Je t'aime, et je suis là, avec toi. »

Les mots la touchèrent, faisant écho à ce qu'elle-même ressentait, même si elle lisait dans tout ce qu'il disait, ce qu'il ne disait pas : pas de promesses qu'il serait celui qui resterait tandis que les autres l'avaient abandonnée, qu'il renoncerait à sa vengeance pour elle ou qu'il serait toujours là. Non, un simple présent dont elle devrait se contenter et pour tout dire, l'idée ne lui serait même jamais venue de demander plus. Elle était habituée à ce qu'on ne soit pas là pour là, c'était d'être là qui la surprenait, et c'était déjà beaucoup, cela lui suffisait, même si cela n'aurait peut-être pas dû. Ils avaient, après tout, encore du chemin à faire, et à ce stade là, rien ne lui semblait impossible. Elle préférait en tout cas quelques mots honnêtes à des promesses non tenues. Elle avait trop cru à celles de Neal, elle ne ferait pas l'erreur deux fois.

Son regard s’attardant sur les lèvres de Hook qui s'étiraient légèrement, Emma se surprit à penser qu’elle ne l’avait jamais vu adresser un tel sourire à qui que ce soit d’autre et espéra secrètement qu’en effet, il ne les réservait qu’à elle, car ce n’était pas un de ses sourires moqueurs ou narquois, ni son sourire de séducteur, non, c’était un sourire sincère, qui avait quelque chose d’innocent et lui laissait plus que jamais entrevoir l’homme qu’il avait été, ou celui qu’il pourrait devenir.
Mais la nature du pirate n’était jamais loin, et il s’écarta soudain d’elle pour s’emparer de la bouteille entamée qu’il brandit en lui demandant :

« Un dernier verre ? »

Emma pencha la tête d’un air amusé. Le rhum qui avait été quelques instants plus tôt une façon de se dérober, une échappatoire tandis qu’elle craignait de s’enfoncer dans une conversation qu’elle n’avait pas vraiment envie d’avoir devenait à présent une façon de célébrer la dite conversation et sa conclusion et l’ironie de ce soudain renversement ne lui échappa pas. Elle acquiesça, rétorquant sans hésiter et non sans une pointe de malice :

« Un si bon rhum... je m’en voudrais de le gâcher. »

Dérobant aussitôt la bouteille au pirate, elle la porta à ses lèvres pour en boire une longue gorgée, appréciant la chaleur de l’alcool dans son gosier. Mais le soir commençait peu à peu à tomber – était-elle réellement sur ce bateau depuis si longtemps ? Elle devait perdre la notion du temps, elle n’avait pas du tout réalisé que le soleil déclinait peu à peu durant leur conversation, mais il fallait aussi avouer qu’elle n’avait pas vu grand-chose d’autre que Hook – et avec lui, le vent se rafraichit considérablement. La jeune femme resserra les pans de sa veste autour d’elle avant d’ajouter, pointant du goulot de la bouteille les appartements de Hook :

« Je propose qu’on continuer de trinquer ailleurs, cela dit. Je n’ai pas encore fait le tour complet de ton navire, et je suis sûre que tu meurs d’envie de me montrer tes quartiers », proposa-t-elle sur un ton espiègle.

Ils pouvaient être deux à faire des sous entendus après tout, et même si Emma n’avait réellement aucune idée derrière la tête (oh, pas qu’elle n’en eût pas du tout, bien au contraire), elle savait elle aussi flirter, avec la bonne personne et dans les bonnes conditions (ce qui, pour le dire autrement, n’était encore jamais arrivé qu’avec Neal). Mais pour ce soir, elle n’en demanderait pas plus, elle avait eu son quota d’émotions fortes pour la journée, et un pas à la fois était bien suffisant : celui qu’ils venaient de faire ensemble aurait fait pâlir d’envie le Petit Poucet malgré ses bottes des sept lieux.

« Après vous, capitaine », ajouta-t-elle avec la même malice, ouvrant la voie d’un geste de la main afin qu’il la guide.

Elle avait à peine conscience qu’un sourire léger ne quittait pas ses lèvres tandis qu’elle s’autorisait à tomber dans une complicité qu’elle n’avait pas partagé avec qui que ce soit pendant plusieurs années et, peut-être même, jamais.