Mister Gold & Emma Swan

S’arrêtant devant la porte d’une boutique à l’ancienne qu’elle ne connaissait que trop bien, Emma carra les épaules, prit une profonde inspiration, et en poussa la porte pour entrer, son arrivée rapidement annoncée par le petit « ding-ling » de la clochette située de l’autre côté du seuil.

Si elle était une des seules habitantes de Storybrooke à ne pas craindre Mr. Gold – ou Rumplestiltskin – et à lui faire face sans ciller, ce n’était pas pour autant qu’elle considérait leurs entrevues comme une partie de plaisir. Elle ne se leurrait pas ; leurs visites, à l’un comme à l’autre, était rarement désintéressées, et il y avait toujours des motivations cachées derrière chacun de leurs échanges. Avec lui, il s’agissait toujours de réfléchir à deux fois avant de dire quoique ce soit, car chaque mot pouvait se retourner contre soi, et Emma l’avait bien compris. Elle avait peut-être fait l’erreur de le sous-estimer alors qu’elle ne croyait pas encore en la malédiction, mais ce n’était plus le cas aujourd’hui. Elle savait ce dont il était capable. Et elle n’oubliait pas qu’elle lui devait une faveur.

C’était en partie pour cette raison que la perspective de lui faire face avec une nouvelle requête ne l’enchantait guère, mais elle devait se rappeler que cette fois, elle venait en tant que Shérif, et non pas en tant qu’Emma. Quoiqu’il arrive, elle était chargée de protéger les habitants de la ville et comptait bien s’acquitter de sa tâche. Toute personne considérée comme une nuisance potentielle devait être surveillée, et toute personne considérée comme une cible potentielle devait être protégée. Et tandis que Cora entrait plutôt dans la première catégorie, Hook, lui, était à cheval entre les deux. Elle les avait à l’œil l’un autant que l’autre, mais elle devait également s’assurer que Rumplestiltskin ne tenterait rien contre le pirate – ce qui, bien sûr, allait dans les deux sens. Elle n’avait pas refusé de s’associer à Hook pour rien ; le prêteur sur gages était sous sa protection lui aussi, même s’il n’en avait pas vraiment besoin, sachant très bien se protéger tout seul. Et si Cora était dangereuse pour tout Storybrooke, Hook… Hook s’était jusque là montré être plus un danger pour lui-même que pour les autres. De toute manière, seul son Crocodile l’intéressait, ce qui signifiait en principe que les autres n’avaient pas vraiment à craindre quoique ce soit de lui, ce qui était déjà un ennui en moins pour la jeune femme qui commençait à sentir tous le poids de ses responsabilités peser sur ses épaules.

A naviguer entre les deux pour que tout cela ne dégénère pas en troisième guerre mondiale, Emma avait l’impression de manipuler des explosifs délicats qui pouvaient à tout moment lui exploser à la figure. Le moindre faux pas pouvait lui coûter cher, et si elle faisait une erreur ce serait probablement sa dernière. Elle se tenait entre deux ennemis jurés qui n’attendaient qu’un signal pour se battre comme des vautours. Ce qui n’arriverait pas si elle pouvait l’empêcher. Ici, elle représentait la justice, et avait bien l’intention d’être aussi inflexible que possible. Elle savait d’expérience que les règlements de compte n’apportaient jamais rien de bon, et elle avait vraiment espoir que Gold change grâce à Belle – l’amour n’était-il pas censé être la plus puissante des magies ? Elle réprima un rictus à cette pensée. L’amour. Elle était le fruit d’un amour véritable, elle plus que quiconque aurait dû y croire, mais c’était difficile, quand on considérait ce que Neal lui avait fait. Mais peut-être pouvait-il revenir du bon côté. Et s’il le pouvait, alors Hook le pouvait aussi. Peut-être. Grâce à elle ? Difficile à dire, elle ne se sentait certainement pas de taille pour la tâche, toute insignifiante qu’elle était, mais si ce n’était pas elle, alors qui ? De ce qu’elle en savait, elle était l’une des seules – avec Cora – à pouvoir approcher le pirate, et son petit doigt lui disait que ce n’était pas Cora qui le remettrait sur le droit chemin. Elle-même l’avait probablement perdu de vue depuis longtemps.

Elle soupira légèrement, puis se dirigea jusqu’au comptoir où le propriétaire de la boutique se trouvait, comme s’il l’attendait, ce qui semblait souvent être le cas.

« Gold », murmura-t-elle en guise de bonjour.

Presque sans s’en rendre compte, elle se mit à jouer avec l’une des nombreuses babioles de la boutique, une sorte de petit manège en bois. Bel objet, apparemment assez ancien. Puis, reportant son regard sur son interlocuteur, elle reprit :

« Vu les récents événements » - et à ces mots il n’était pas difficile de comprendre qu’elle faisait référence à l’arrivée en ville de Cora et Hook - « Je crois qu’il faut qu’on mette certaines choses au point. »

Tout diplomate et poli fut-il, Emma lisait dans le sourire affable de Gold quelque chose qui ne lui inspirait guère confiance. Il avait beau être patient et à l’écoute, ne montrer aucun signe d’agressivité, elle trouvait ce silence patient plus inquiétant qu’une réelle crise de colère. Elle était habituée aux crises de colère, elle savait les gérer. Elle-même était quelqu’un d’impulsif, et rechercher des hommes qui avaient délibérément fuit la justice alors qu’ils étaient en liberté sous caution ne l’avait pas amené à faire que des rencontres amicales. Mais elle ne serait pas devenue chasseuse de primes si elle cherchait à avoir une vie simple, après tout.

« Vraiment ma chérie ? Et de quoi voulez vous parlez ? »

La question de Gold la prit par surprise. Il aurait pu la poser avec une ignorance feinte, mais Emma pouvait très bien lire son expression tandis qu’il l’observait patiemment, son sourire poli toujours sur les lèvres, attendant qu’elle en dise plus, et savait que ce n’était pas le cas. Il ne savait réellement pas de quoi elle voulait parler, ce qui la désarma quelque peu. Elle n’aurait pas pensé qu’un jour viendrait où elle serait mieux renseignée que Rumplestiltskin sur ce qui se passait à Storybrooke. Cela la fit soudain réfléchir sur le motif de sa visite. Du moins, l’un d’entre eux, car si Hook la préoccupait, elle n’oubliait pas cette histoire de tremblement de terre pour autant.
Aucun blessé constaté, plus de dégâts matériels qu’autre chose, mais Emma ne croyait pas – ou plus – au hasard, et les choses étaient peut-être plus liées qu’il n’y paraissait. L’arrivée de Cora coïncidait étrangement avec l’incident. Elle avait espéré que Gold pourrait l’éclairer sur la question, n’ayant pas vraiment eu le temps de se poser pour en discuter lorsqu’il était survenu, même si elle avait trouvé son intervention suspicieuse. Mais c’était un peu le cas de toutes ses interventions, en vérité. Elle l’avait même soupçonné en être à l’origine, mais à présent cela lui semblait assez improbable. Ce qui ne signifiait pas qu’il n’ait pas sa petite idée sur la question. Chaque chose en son temps cependant, elle avait d’autres priorités en tête.

Mais elle hésitait à présent à révéler ce qu’elle savait au prêteur sur gages. D’un côté, lui demander de se tenir éloigné de Hook tandis qu’elle-même s’assurerait que le pirate en ferait autant pouvait paraître vain si elle venait elle-même lui annoncer sa présence en ville alors que Gold n’en savait encore rien – contreproductif, même. De l’autre, il le découvrirait tôt ou tard, et elle préférait que, lorsque ce moment viendrait, il ait déjà reçu son avertissement et sache à quoi s’en tenir. Non pas qu’elle eut grand pouvoir sur lui en vérité, mais elle pouvait certainement lui rendre la vie aussi difficile qu’il rendrait la sienne s’il décidait de ne pas respecter un pacte de guerre froide entre lui et Hook en attendant qu’elle trouve une autre solution – de préférence, les expédier chacun dans les deux dimensions les plus opposées possibles tandis qu’elle-même irait s’exiler sur les plages d’Honolulu, siroter des cocktails et profiter d’une tranquillité bien méritée auprès de son fils.
Oh, elle ne se leurrait pas, elle savait que cela n’avait aucune chance d’arriver, mais c’était beau de rêver, non ?

Sa décision prise, elle cessa de jouer avec le manège qu’elle faisait distraitement tourner d’un doigt et répondit :

« Cora et Hook sont arrivés en ville. »

Sans le quitter des yeux, observant sa réaction, elle reprit :

« Et j’aimerais m’assurer que tout ça ne finira pas en gigantesque carnage, si vous me suivez... »

Une façon comme une autre de lui faire comprendre qu’elle attendait de lui à ce qu’il se comporte en homme civilisé et ne rejoigne pas les docks au plus vite pour défigurer Hook à coups de canne – dans le meilleur des cas, car elle le savait capable de bien pire. Une manœuvre délicate, car il ne lui devait rien, et elle en avait parfaitement conscience. C’était même plutôt le contraire. Mais ils avaient probablement un ennemi commun en la personne de Cora, du moins était-ce ce qu’elle pensait, ignorant tout du passé qui le liait à la vieille sorcière. Et il avait à présent lui aussi quelqu’un à protéger : Belle. Elle avait bien l’intention d’exploiter cette faiblesse si cela lui permettait de se joindre à eux pour se débarrasser de Cora. Dans un monde où les choses étaient plus simples, il lui aurait suffit de la mettre derrière des barreaux, mais bien évidemment, si les choses étaient plus simples, Storybrooke n’aurait pas existé en premier lieu.

« Je pense que nous avons de plus gros problèmes présents que ces histoires de vendettas personnelles ; ce tremblement de terre, par exemple. »

Elle lui jeta un regard entendu, passant ses doigts fins sur la surface lisse du comptoir, le laissant retracer le raisonnement qu’elle souhaitait qu’il se fasse : Hook n’était pas la priorité.

Haussant un sourcil, elle ajouta :

« Tremblement de terre sur lequel vous ne savez rien, je présume ? »

Emma ne connaissait pas vraiment les détails du ressentiment (un bel euphémisme) que Hook et Gold entretenaient l’un pour l’autre. Elle avait deviné que Milah avait été la femme que Hook avait aimé, et il n’en avait pas fallu beaucoup plus, quand il lui avait dit qu’elle n’était plus là, pour lier cette information à sa quête de vengeance qui l’avait poussé en premier lieu à vouloir rejoindre Storybrooke. Il connaissait peut-être le regard qu’avaient les orphelins, mais elle connaissait le regard de ceux qui avaient eu le cœur brisé : elle avait eu à l’affronter chaque matin dans son miroir pendant de longues années. Il était encore là, parfois, quand personne ne la regardait et qu’elle se sentait tout particulièrement fragile ou exposée, et elle savait que d’une façon ou d’une autre, il ne la quitterait jamais totalement. Ce que Neal lui avait fait laisserait pour toujours ses traces en elle. Mais au-delà de cela, elle ne connaissait pas les circonstances qui avaient poussé Gold à tuer Milah – elle ne doutait pas des propos de Hook, mais il devait bien y avoir une raison derrière ce geste, Rumple ne tuait tout de même pas les gens sans raison, si ? Ce n’était pas qu’elle ne l’en pensait pas capable, mais de ce qu’elle savait du personnage, il agissait toujours avec une idée derrière la tête, même si le plus souvent il était bien le seul à savoir laquelle. Elle ne pouvait nier qu’elle aurait eu envie d’en savoir plus sur l’origine de ce contentieux, mais elle également avait conscience que cela ne la regardait pas. Son rôle se limitait à protéger les gens de cette ville, pas à fouiller dans leur passé. D’autant que Hook n’avait pas semblé très enclin à lui révéler quoique ce soit.

Quoiqu’il en fût, si la réaction de Gold lorsqu’elle avait laissé s’échapper le nom du pirate semblait décevante, voire presque inexistante, elle ne se laissa pas berner par son air affable, elle croyait pouvoir lire dans ses sombres prunelles un feu ardent qui s’était réveillé en l’entendant, et sa réponse, venimeuse, ne permettait pas le doute :

« Je vois que le pirate est trop lâche pour venir me voir afin de tenter de sauver sa propre peau … Soit, Miss Swan, je m’occuperais pas de cet homme. Pour le moment, prenez ça comme une faveur ma chérie. »

Son animosité aussi bien que sa concession en disaient long sur la rancune que lui aussi semblait porter à Hook. Elle avait clairement bien fait de venir devancer toute catastrophe. Dieu seul savait ce dont ces deux là étaient capables.
Si elle était venue plaider la cause du pirate, elle ne considérait cependant pas cela comme demander une faveur au prêteur sur gages ; elle n’en disait peut-être rien, mais elle veillait sur ses intérêts autant que ceux de Hook. Si elle lui demandait de se tenir éloigné de lui, c’était aussi parce que c’était la seule façon pour elle de les protéger, l’un comme l’autre. Peut-être que Gold savait très bien se protéger tout seul, mais il n’était pas immortel pour autant. Et Hook ruminait sa vengeance depuis plus de trois cent ans, il avait certainement plus d’un tour dans son sac. Elle venait donc pour s’assurer que de son côté il saurait se tenir à carreaux – de son côté, elle se portait garante de Hook. Essayait, en tout cas.

« Je crois que vous ne comprenez pas bien, Gold. Il ne cherche pas à sauver sa peau, mais à trouer la vôtre. S’il ne vous a pas encore rendu visite, c’est sûrement moins par lâcheté que parce qu’il prépare quelque chose… je peux garder un œil sur Hook, mais cela m’aiderait grandement si vous pouviez éviter de le provoquer. Je ne tiens pas à tout ce que cela finisse en bain de sang. »

S'ils pouvaient tous s'unir d'un commun effort pour commencer par se débarrasser de Cora, ce serait déjà pas mal. Encore que Hook étant son allié, il risquait peut-être de leur opposer un peu de résistance. Emma espérait que non. Elle ne savait pas encore bien de quoi était capable la sorcière, ni quelles étaient réellement ses intentions, mais depuis son arrivée, c'était tout Storybrooke qui était en danger, et pas juste une seule personne. Elle ne pouvait pas permettre ça. Ce qui les amenait au second point de sa visite...

« On va dire que j’ai déjà quelques idées sur la question, Emma… »

Pas vraiment surprise, Emma resta muette, attendant patiemment qu’il ait la bonté de lui en faire part, ses ongles cliquetant légèrement sur le comptoir qu’elle pianotait nerveusement. Elle fut sur le point de le relancer, persuadée qu’il n’en dirait pas plus, quand il reprit la parole après quelques secondes de silence :

« Je ne crois pas que notre amie commune, notre chère Cora, soit en cause … Disons, que cela requiert une certaine puissante de provoquer un tel incident, peut être devrions nous envoyer quelqu’un dans les abîmes pour y voir ce qu’il s’y trame. Ne croyez vous pas ? »

Voilà qui était plus inattendu. Dès le moment où il lui était apparu que ce n’était pas Gold, et probablement pas Regina (la maire, en dépit de tous ses actes malveillants, n’avait aucune raison de vouloir détruire la ville), la solution qui lui était apparue était bien évidemment : Cora. Fraîchement débarquée (la coïncidence était tout de même étrange), avec des intentions peu louables en tête, elle aurait tout à fait pu vouloir causer la destruction de Storybrooke. Mais si ce n’était pas elle, alors qui ? Et surtout, pourquoi ?
Cette histoire de puissance ne lui plaisait guère, pas plus que l’idée d’envoyer quelqu’un dans la crevasse : pour y trouver quoi, d’abord ?

« Qu’est-ce qui vous dit qu’on y trouvera quoique ce soit ? Gold, si vous savez quelque chose, pour le bien de la ville, j’apprécierai que vous parliez. »

Qu’avaient-ils tous, en ce moment, à nécessiter qu’on leur arrachât les vers du nez pour obtenir de simples réponses à ses questions ? Ils s'étaient donnés le mot, ou bien...? Ce n’était pourtant pas bien compliqué, si ? Si on lui avait dit dans quoi elle se lançait lorsqu'elle avait accepté le poste de shérif de la ville, elle y aurait peut-être réfléchi à deux fois. Oh, et puis, de qui se moquait-elle ? Bien sûr qu'elle aurait accepté. Parce qu'elle était Emma, et que c'était ce qu'elle faisait de mieux : elle prenait les choses en main. Ce qu'elle était incapable de faire dans sa vie, elle le réussissait avec un étonnant talent dans celles des autres.

Visiblement, l’avertissement de la jeune femme concernant Hook passait au-dessus de la tête de Gold. Probable que durant sa longue existence, ses mauvais penchants l’avait conduit à s’attirer plus d’un ennemi. Le pirate semblait plus acharné que les autres, mais un de plus, un de moins, pour lui ça ne faisait probablement aucune différence. Il ne doutait certainement pas de sa capacité à l’éliminer, tandis que l’inverse se présentait un peu plus mal pour le pirate, qui en avait conscience, puisqu’il s’était jusqu’ici tenu à carreau, un comportement qu’Emma ne pouvait expliquer d’une seule façon : il n’avait pas encore trouvé de moyen sûr et efficace pour détruire son ennemi. A présent que la magie était revenue, il n’était plus aussi faible qu’il avait pu l’être durant la malédiction. Briser cette dernière n’avait clairement pas apporté que des bonnes choses et la jeune femme se demandait parfois s’ils ne s’en sortaient pas mieux du temps où elle n’avait pas encore été levée. Leurs ennuis s’étaient multipliés à vue d’œil, depuis.

Le tremblement de terre n’était qu’une conséquence de plus. Assez inoffensive, au bout du compte, mais sa trace restait là comme un perpétuel souvenir de ce qui s’était passé, et de ce qui aurait pu se passer. Tant de choses, en vérité. Pour Emma, cela sonnait comme un avertissement. Il n’y avait eu que des dégâts matériels, cette fois ci. Mais justement, et s’il y avait une autre fois ? Le Maine n’était pas connu pour être une région à tremblements de terre, et ses investigations lui avaient au moins permis de découvrir une chose : la fissure ne s’étendait pas au-delà de la ville. Seule Storybrooke avait été touchée. Ce n’était pas une coïncidence. Quelque chose se tramait. Quelque chose de puissant. Quelque chose qui, franchement, et en dépit de l’expression sereine de Gold, l’inquiétait. Peut-être que si elle avait su, comme Gold, Regina ou encore Cora, se servir de sa magie, oui, peut-être alors se serait-elle senti un peu plus à la hauteur, un peu plus apte à protéger Henry, sa famille, et les autres. En l’occurrence, elle se sentait bien plus capable de contribuer malgré à elle à détruire la ville qu’à la sauver.

Elle suivit des yeux les déplacements de Gold sans bouger de l’endroit où elle se tenait.

« Miss Swan, j'ai envie de dire qu'il existe d'autres force dans cette ville, autre que moi ou les deux sorcières, nous ne sommes pas les seuls à manipuler la magie. Maintenant que la magie est présente dans la ville, beaucoup de probabilités s'offrent à nous, peut être est-ce un sorcier venant de notre vieille terre ? Du monde merveilleux ? Ou d'ailleurs ? Le fond de ce gouffre pourrait apporter les réponses, vous ne désirez pas y envoyer un explorateur, soit Shérif Swan, néanmoins, je persiste à croire que c'est la seule manière d'en avoir le cœur net… A moins que... »

Elle avait soudain plus d’informations qu’elle n’en avait demandé, et en même temps, toujours pas assez. Tandis que son cerveau analysait à toute vitesse les dires de Gold, elle avait l’impression que chaque nouvelle possibilité, chaque nouvelle réponse, appelait un abysse sans fond de nouvelles questions. D’autres forces, bien, soit, elle pouvait le concevoir. Un sorcier venu d’ici ? Non, improbable, la magie n’existait pas sur Terre, pas ailleurs qu’à Storybrooke en tout cas, c’était bien ce qu’on lui avait fait comprendre, non ? Quelqu'un de la Forêt Enchanté ? Mais comment serait-il venu, les portails n’étaient-ils pas tous détruits ? Son berceau, le chapeau de Jefferson, et maintenant les haricots. Il ne restait plus rien. D’encore ailleurs ? Bien, soit, c’était une possibilité qu’elle ne pouvait réfuter. Mais d’où, qui, et surtout pourquoi ? Trop d’interrogations, et si peu de certitudes. Elle se frotta la tempe avec une légère grimace, confuse. Elle n’avait pas totalement repoussé l’idée d’envoyer quelqu’un au fond du gouffre – bon sang, elle était prête à y aller elle-même, s’il le fallait, mais elle n’était pas prête à le faire sans raison. Gold semblait convaincu qu’elle en trouverait une, mais visiblement, il n’en savait pas suffisamment pour lui dire quoi, ou ne semblait pas juger utile de partager cette information, comme bien souvent. Mais il y avait autre chose.

Son intérêt piqué, elle regarda Gold farfouilla parmi ses milles et unes babioles insolites dont elle ignorait l’utilité de la grande majorité, gardant le silence. Elle ne s’autorisait pas à penser qu’il les aiderait ; influence de Belle ou non, elle ne croyait pas que l’on pouvait changer en profondeur la nature d’un être. Gold, en l’occurrence… et bien elle ne l’aurait pas exactement défini comme quelqu’un d’altruiste ou de généreux.

« Il est possible que je puisse trouver un moyen d'y aller sans danger, un moyen magique pour chercher un indice dans toute cette obscurité. Je suis certain que Cora n'est pas en cause dans cette histoire, néanmoins, cela ne veut pas dire qu'elle ne sache pas un peu, la trouver serait une bonne chose, vous savez, Miss Swan… »

Emma écarquilla légèrement les yeux. Elle avait bien entendu ? Il voulait qu’elle aille trouver Cora ? Vraiment ? Oh, ce n’était pas que l’idée ne lui avait pas traversé l’esprit, mais si elle retrouvait la sorcière, ce ne serait certainement pas pour lui poser des questions. Cora était une nuisance, et si elle s’était faite silencieuse depuis sa récente arrivée, ce n’était, elle le savait, qu’une affaire de temps avant qu’elle ne fasse parler d’elle. Elle ne connaissait peut-être pas le personnage comme Gold ou les autres, mais elle avait retenu une chose : Cora était pire que Regina, et c’était déjà dire beaucoup. Elle ne venait pas ici en paix.

Elle repoussa la suggestion en balayant l’air de sa main, cette fois déterminée et pas vraiment prête à négocier, laissant s’échapper un petit rire sans joie.

« La dernière fois que j’ai rencontré Cora, elle tentait de m’arracher le cœur. Croyez-moi, ce n’est pas une expérience que j’ai envie de retenter. »

Ce n’était peut-être pas son cœur qu’elle avait visé, mais cela ne l’avait pas dissuadée de tenter de l’arracher de sa poitrine. Et puis si elle en voulait à Snow, cela revenait à lui en vouloir, à elle, personnellement. Mary Margaret était sa mère. Mais Gold n’était pas censé savoir, après tout, quelles étaient les intentions exactes de Cora, ni qu’elle-même avait trouvé des ressources insoupçonnées qui lui avaient permis de repousser Cora. Et elle n’avait pas vraiment l’intention d’en dire plus sur la question. Pour lui, elle avait survécu, et c’était tout ce qu’il y avait à en retenir.

Puis le prêteur sur gages dévoila un objet à la fois étrange et banal, de forme sphérique, produisant une lumière qui lui était propre et qu’il fit d’un geste léviter au-dessus de leurs têtes, un large sourire aux lèvres. Le regard d’Emma suivit les mouvements de l’orbe jusqu’à ce qu’elle retourne entre les mains de son propriétaire qui eut un petit rire.

« C'est votre jour de chance on dirait ! »

Emma fronça les sourcils, pas certaine de comprendre. Qu’était-ce, et surtout à quoi cela servait-il ? De ce qu’elle en voyait, c’était une lampe sympathique, mais rien de plus. Et puis, que voulait-il dire par chance ? Allait-il l’aider ? Ou ne faisait-il que la provoquer ? Etait-ce le moyen dont il avait parlé, qui leur permettrait d'explorer cette fissure sans danger ? Et si oui, comment ? Difficile à dire, et il ne semblait pas disposé à ajouter quoique ce soit pour le moment. Elle ne perdait de plus pas de vue que la magie, surtout avec lui, avait toujours un prix. Elle reprit donc la parole :

« A moins qu’une panne de courant ne succède au tremblement, je ne vois pas bien en quoi cette chose peut nous être utile, Gold. Vous pourriez être plus explicite ? »

Emma était dotée d’une personnalité assez franche, qui n’aimait guère tourner autour du pot. Le prêteur sur gages, quant à lui, aimait au contraire parler par énigmes, quand il ne s’appliquait pas à jouer sur les mots, une manie qui n’était pas vraiment à son goût. Sa demande se faisait pressante car elle avait l’impression qu’il se jouait d’elle, et détestait cela. Ne pouvait-il pas, pour une fois, s’exprimer clairement, comme tout le monde ?

Il était vrai qu’Emma ne possédait pas une grande patience – ou disons plutôt qu’elle n’aimait pas tourner autour du pot, et elle tenait effectivement cela de son père. Ce n’était pas Mary-Margaret qui éprouvait des difficultés à se montrer calme et tolérante – en cela elle avait bien les attributs d’une reine ; le tact, la douceur et la compréhension, la capacité à se faire aimer sans même avoir à essayer, ce qu’Emma lui aurait presque envié si elle avait pensé un seul instant qu’elle avait besoin d’être aimée (et qui n’en a pas besoin, en vérité ?). Elle savait trouver les mots, et plus que ça, elle savait écouter, et malgré sa gentillesse, elle ne manquait pas de caractère. Oui, Emma l’admirait à bien des égards. Elle-même tenait plus de son père ; elle était impulsive et lorsqu’elle voulait dire quelque chose, elle n’y allait pas par quatre chemins. Elle n’avait souvent même pas conscience de son côté expéditif. Mais face à Gold, qui gardait un calme surhumain en toutes circonstances, le fossé entre les deux était évident tellement tout les opposait. Il y avait quelque chose, dans cette façon qu’il avait de n’être atteint par rien de ce qui se passait qui l’exaspérait et lui donnait envie de le secouer. Un tremblement de terre ? No big deal. Cora et Hook en ville ? Quelle importance ? Y avait-il une chose au monde qui puisse le faire réagir ? Comment faisait-il pour rester aussi stoïque ? Peut-être parce qu’il ne se souciait de rien. Elle était affectée parce qu’elle s’inquiétait pour Strorybrooke et ses habitants, mais Gold ? Elle ne l’avait jamais vu s’intéresser à autre chose que lui-même. Mais ce n’était pas tout à fait vrai, et elle le savait. Il y avait Belle. Et pourtant… il n’avait pas semblé si inquiet pour elle lors du tremblement de terre. Peut-être parce qu’il savait qu’il n’avait pas de raisons de l’être. Dans tous les cas, elle lui enviait son assurance.

Toujours en gardant ses distances – une habitude qu’il semblait entretenir avec tout le monde avait-elle remarqué, comme s’il craignait une quelconque contagion en restant trop près de ses interlocuteurs, contrairement à son ennemi, Hook, qui lui envahissait en permanence son espace personnel – il glissa l’orbe lumineuse dans sa poche, ne lui laissant pas l’occasion de s’en approcher ou de mettre la main dessus. Tandis qu’elle le surveillait d’un regard méfiant, il lui répondit, sur le ton de l’évidence :

« Voyons, Miss Swan, vous ne comprenez pas ? Cette sphère pourrait très bien éclairer cette faille, peut être jusqu’au fond, je pourrais tout simplement la diriger… Ou vous pourrez le faire ! N’est ce pas, ma chérie ? »

Emma haussa un sourcil incrédule. C’était donc bien ce qu’il lui proposait, une boule de lumière. Pas totalement inutile d’accord, mais elle avait espéré quelque chose d’un peu plus… agressif ? Elle pourrait peut-être sonder les profondeurs sans avoir à faire descendre quelqu’un en rappel, mais selon ce qu’ils y trouveraient, cela pouvait bien n’être que la première partie de leur problème. Enfin, il avait accepté de l’aider, et elle ne pouvait trop en demander, elle avait conscience que ce genre d’acte de bonté restaient exceptionnels pour le prêteur sur gages, et il n’était pas question de le faire regretter son geste.

Ce qui l’amena à la seconde chose qui la fit tiquer : elle pourrait le faire ? Qu’entendait-il par là ? Faisait-il mention de ses pouvoirs ? Et si oui, comment diable pensait-il qu’elle pouvait faire ça ? Elle avait à peine découvert qu’elle en avait ! Cela n’avait peut-être pas semblé le surprendre, puisque c’était lui qui avait créé la malédiction, lui qui s’était appuyé sur ce qu’elle était – le fruit d’un amour véritable – pour en faire la Sauveuse, celle qui briserait le sort qui entourait la ville, mais en ce qui la concernait, c’était encore tout sauf une évidence. Elle ne savait pas ce dont elle était capable, combien elle était puissante, et surtout, elle ne savait pas s’en servir.

Elle ouvrit la bouche pour lui répondre, mais aucun mot n’en sortit. Son regard tomba sur la bague avec laquelle Gold jouait, qui émettait une étrange couleur violette, assez semblable à celle dont le nuage qui avait recouvert la ville lorsqu’elle avait levé la malédiction était fait. La magie. Etait-elle réellement capable des mêmes choses que lui ? Et comment apprendrait-elle à s’en servir ? Elle ne connaissait que deux personnes à Storybrooke qui pouvaient l’aider, et demander à Regina semblait assez impensable, d’autant que la maire avait complètement disparu depuis quelques jours – depuis l’arrivée de Cora, en vérité. Quant à Gold… et bien, elle lui devait bien assez de faveurs comme ça, et c’était encore miser sur le fait qu’il était prêt à l’aider. Seulement… qu’elle apprenne à se servir de ses pouvoirs pouvait jouer un rôle décisif dans l’avenir. Elle n’était pas de taille à lutter contre Cora, ou cette nouvelle puissance qui semblait vouloir rayer Storybrooke de la surface de la terre, pas en l’état en tout cas. Mais si elle apprenait à s’en servir, si elle pouvait en faire quelque chose… Cela posait cependant une autre question : y’aurait-il un prix à payer, et si oui, lequel ? Elle n’était pas certaine de vouloir de la magie si elle devait devenir comme Regina, ou comme Gold, vendre son âme au Ténébreux. Si elle ne savait pas s'en servir, cela signifiait aussi qu'il y avait des risques pour qu'elle fasse le mal plutôt que le bien.

« Je… je ne suis pas sûre d’en être capable, Gold. Je ne sais absolument pas comment faire. Avec Cora… c’était instinctif. Je ne contrôle pas mes pouvoirs », admit-elle enfin en baissant légèrement la voix.

Elle détestait avouer ainsi ses faiblesses, reconnaître son ignorance, mais il devait bien s’en douter. Elle avait grandi dans un monde sans magie, et n’avait commencé à croire en toute cette histoire de contes et de malédiction que quelques semaines plus tôt, quelques mois tout au plus, et dans tous les cas cela lui semblait encore bien trop récent, encore bien trop dément pour qu’elle accepte les choses aussi facilement. C’était un combat quotidien pour elle : à chaque fois qu’elle se réveillait, elle devait à nouveau se convaincre qu’elle n’avait pas simplement rêvé, que tout cela était vrai, et chaque jour cela lui demandait toute sa force de caractère pour accepter cette idée. Elle replaça une mèche derrière son oreille, l’air soudain un peu moins sûre d’elle avant d’ajouter :

« Je ne crois pas que me confier ce genre de tâche soit une bonne idée en l'état. Je ne sais pas ce dont je suis capable, dans le bon sens... comme dans le mauvais. »

Emma n’avait pas vraiment besoin d’être clairvoyante pour constater que ses doutes et insécurités, à présent révélées, amusaient son interlocuteur, qui se retenait probablement de rire. Il y avait sûrement de quoi. Elle était entrée telle une tornade dans sa boutique et s’était empressée de le harceler de questions et de requêtes, endossant son rôle de shérif avec une certaine assurance, pour mieux faire marche arrière lorsqu’il la forçait à faire tomber le masque et à n’être plus qu’Emma. Mais il avait touché l’un de ses points faibles, celui qui lui rappelait que même si elle ne venait pas de ce monde sans magie, elle y avait grandi, et cela ne l’avait jamais autant frappée que lorsqu’elle s’était retrouvée dans la Forêt Enchantée, et qu’elle avait pu constater l’inutilité de son arme à feu face à des ogres. Elle s’était sentie soudain impuissante, d’autant plus que sa mère, en revanche, semblait parfaitement à l’aise avec un arc dans la main – une facette qu’elle ne lui connaissait pas encore – sans même parler de Mulan, qui semblait sortir tout droit du dernier opus de Street Fighter (une version moins dévêtue de Chun Li, peut-être). Elle avait très vite réalisé que dans ce monde là, elle n’était qu’une étrangère, et ce n’était pas vraiment un endroit qui incitait au tourisme. Elle ne connaissait pas les règles qui régissaient ce royaume, et même si elle s’était adaptée aussi rapidement que possible, elle avait été forcée de toujours s’appuyer sur quelqu’un d’autre, qu’il s’agisse de sa mère, de Hook ou même d’Anton, et elle détestait cela. Ici, à Storybrooke, elle était dans un entre-deux. Ni tout à fait son monde ni tout à fait celui de ses parents. Lorsqu’elle restait du bon côté de la ligne, celui qu’elle connaissait, elle se sentait assez sûre d’elle-même pour garder son sang-froid en toutes circonstances et garder une bonne prise sur la situation. Quand elle basculait de l’autre côté, en revanche, celui où contes et magie s’en mêlaient, c’était une autre paire de manches.
Mais elle ne se laissa pas décontenancer par son sourire, et attendit qu’il reprenne la parole.

« Voyons Miss Swan, je suis certain que tout se passera bien, après tout je ne vous demande pas de faire des miracles… Vous savez, la magie n'est pas une science, elle demande certes des connaissances particulières mais, la magie est surtout une question d'émotions ! Il faut vous demander pourquoi faites-vous cela ? Pour qui ? Pensez même aux gens que vous voulez protéger, l'amour est la plus puissante des magies et vous êtes le fruit de cet amour ! »

Une question d’émotions. De mieux en mieux. S’il y avait bien un domaine qu’Emma appréhendait avec plus de difficultés que la foi, c’était celui des émotions. Elle les avait fermées si longtemps qu’elle était encore un peu rouillée, et qu’elle avait souvent du mal à les laisser s’exprimer par-dessus sa logique et sa raison. Lui demander de les apprivoiser pour contrôler ses pouvoirs… et bien, si, pour elle, ça relevait du miracle. Mais il toucha une corde sensible en lui demandant « pour qui ? ». Penser aux gens qu’elle voulait protéger… ce n’était pas difficile. Henry. C’était Henry qui lui avait réappris à aimer, et à croire. C’était pour lui qu’elle était restée, pour lui qu’elle se battait. Pour lui qu’elle voulait se montrer forte. Elle hocha de la tête, brièvement, juste une fois, pour faire comprendre à Gold qu’elle avait compris, et qu’elle était prête à essayer.

« La magie fait partie de vous, tenez, essayez ici, tentez de faire quelque chose, n'importe quoi … ! »

Elle ne comprenait pas bien pourquoi il l’aidait ainsi, et n’excluait pas l’idée qu’il la percevait comme une bête curieuse qu’il pourrait peut-être manipuler, ou en tout cas, qu’il tirerait quelque chose de ses pouvoirs – ne serait-ce que la connaissance de leur nature, et ce qu’ils lui permettaient de faire – mais pour le moment, cela lui importait peu, s’il pouvait réellement l’aider à les apprivoiser, peut-être qu’elle n’aurait même pas à craindre le Ténébreux. C’était peut-être beaucoup en demander, surtout en si peu de temps (il lui faudrait probablement un moment avant d’être capable des mêmes choses que lui – si ce jour arrivait jamais, ce dont elle n’était pas encore vraiment convaincue), et encore plus considérant combien ses émotions pouvaient être instables, sans même parler du fait que la magie fonctionnait différemment ici, mais elle était décidée, et elle avait bien l’intention de mettre en pratique ses pouvoirs, quitte à y passer des nuits blanches.

« Ne craignez pas le prix à payer, parfois ce n'est que peut de chose, parfois le prix en vaut la peine ! »

Elle n’était pas entièrement convaincue de ça : jusqu’ici, le prix à payer lui avait toujours semblé plus élevé que la magie qu’il devait dédommager, mais elle n’en dit rien. La magie dont elle avait été témoin avait toujours été celle de Regina, Gold ou Cora, et elle avait rarement été utilisée dans le but de faire le bien – les conséquences étaient peut-être à la hauteur du mal qu’elle causait. Si elle se servait de ses pouvoirs d’une bonne façon, elle n’aurait peut-être pas à payer un prix aussi lourd. Cela valait toujours le coup d’essayer, en tout cas.
Elle hocha une fois de plus la tête, les mains appuyées sur le comptoir, l’air résolu.

« D’accord. »

Elle ne savait pas bien ce qu’elle allait faire, mais décida de se concentrer sur la boule lumineuse que Gold avait rangé dans sa poche. Si elle pouvait l’en sortir de la même façon qu’il l’avait faite voler, elle pourrait la contrôler, comme il l’avait suggéré. C’était un début.
Elle prit une profonde inspiration, puis se concentra intensément. Pendant quelques secondes, elle resta silencieuse, focalisée sur sa tâche, retenant son souffle, sans qu’il ne se passe rien du tout. Elle ne ressentait rien. Pas une once de magie en elle, pas un frémissement, rien de comparable à ce qui s’était passé avec Cora où elle s’était soudain sentie dotée d’une puissance qu’elle parvenait à peine à retenir et que tout son corps semblait émettre. Une mèche glissa de son oreille, retombant sur ses yeux et la distrayant de son objectif. Elle soupira, la replaça rapidement.

« Ça ne marche pas », marmonna-t-elle, perdant rapidement patience.

Avant même d’attendre une réponse de la part de Gold – qui sans nul doute l’inciterait à prendre son temps et à mieux se concentrer -, elle retenta. Cette fois, elle pensa à Henry. Henry. C’était pour lui qu’elle faisait ça. Elle n’avait pas le droit de baisser les bras. Elle ne baisserait pas les bras. Elle se concentra sur lui et la joie qu’il lui apportait, l’amour qu’elle avait pour lui et l’envie de le protéger de tout, de lui offrir une enfance heureuse, de se racheter pour ce qu’elle avait fait, de ne pas l’abandonner, jamais…

Quelque chose s’éveilla en elle. Comme un fourmillement étrange qui la parcourait, se répandait peu à peu en elle. Pas du tout comparable à ce qu’elle avait ressenti lorsqu’elle s’était protégé de Cora, qui avait été une véritable onde de choc, mais c’était quelque chose. Elle s’accrocha à cette sensation, et tout en gardant Henry dans un coin de sa tête, se concentra sur l’orbe. Fais la sortir. Allez, tu peux le faire. Il suffit de…
Dans son dos, il y eut un bruit d'explosion qui la fit sursauter. Puis un autre. Il y eut le son de verre brisé et elle eut à peine le temps de se retourner pour voir plusieurs objets disposés sur les étagères de Gold – fioles, globes, horloges, figurines, et autres raretés diverses et variées – se briser d’eux-mêmes un à un sans qu’elle ne contrôle rien.

« Stop ! » cria-t-elle en désespoir de cause, et à ces mots, le spectacle cessa abruptement.

Les morceaux de bois et de verres brisés s’amoncelaient à présent sur le sol, jonchaient les étagères dans un désordre qui donnait l’impression qu’une tornade était passée par là. Pas grand-chose ne semblait avoir survécu, pas même les objets qui semblaient les plus résistants. Emma se mordit la lèvre, l’air contrit.

« Je… je suis désolée, ce n’était pas vraiment ce que je cherchais à faire. Je vais ranger ça. »

Ce qui était assez inutile puisqu’il n’y avait en vérité plus grand-chose à ranger ; elle était bonne pour tout jeter, elle ne pouvait pas, comme Gold, réparer ce qu’elle venait de faire et tout remettre dans l’ordre. Elle s’avança, se penchant pour ramasser ce qui semblait être un morceau de porcelaine.

« Expérience pas très concluante, on dirait », soupira-t-elle tout en collectant un autre morceau.

Visiblement, la partie n’était pas encore gagnée et semblait même plus mal engagée encore qu’elle ne l’avait pensé. Du bon côté des choses, elle n’aurait visiblement plus jamais besoin de broyeur. A croire qu’avec la magie comme dans la vraie vie, casser était plus facile que réparer. Peut-être fallait-il qu’elle commence par collecter ses propres morceaux à elle avant de tenter d’en ressouder des autres. Si c’était le cas, il y avait encore du chemin à faire. Un long chemin.

Les yeux posés sur le sol jonché de débris en tout genre, Emma se fit la remarque que la boutique en cet instant devait être une parfaite représentation de ce qu’elle ressentait et de ce qu’elle pensait être : solide de l’extérieur, mais brisée de l’intérieur. Une vague de découragement s’écrasa sur elle tandis qu’elle tenait le bout de porcelaine entre ses doigts fins, prenant garde à ne pas se couper avec ; elle avait déjà une cicatrice à la paume, et elle ne s’imaginait pas vraiment faire un remake de la scène avec Hook au sommet du haricot avec Gold. Encore que, il semblait tellement être dans un bon jour qu’il l’aurait peut-être guérie d’un claquement de doigts. La magie pouvait guérir la chair, mais pouvait-elle guérir les cœurs ? L’âme ? La jeune femme secoua légèrement la tête. Toute cette expérience était ridicule. Le fait même qu’elle soit capable d’une quelconque magie était ridicule. Et si la question était prévisible, presque clichée, elle ne pouvait s’empêcher de tourner dans sa tête avec force : pourquoi elle ? Pourquoi ? De tous les mondes existants, de toutes les créatures vivantes, pourquoi avait-il fallu qu’elle soit l’élue d’une quelconque prophétie ? Pourquoi ils n’avaient pas choisis August à la place ?! Encore que… tout bien considéré, ça n’aurait peut-être pas été la meilleure idée qu’ils pussent avoir.

Elle souffla légèrement tandis que Gold, de sa démarche tranquille, s’avançait au milieu du champ de bataille et d’une main, fit apparaître un nuage de fumée bleu dont les volutes s’enroulèrent autour des débris qui se reconstituèrent aussitôt, le morceau de porcelaine quittant sa main pour redevenir le précieux vase qu’il était avant qu’elle ne détruise tout. C’était déconcertant de voir à quel point chez lui cela semblait facile, c’était presque naturel, comme de respirer. Cela ne lui coûtait aucun effort, sinon peut-être quelques secondes de concentration. Evidemment, elle ne pouvait pas s’attendre à être capable des mêmes choses que lui dès la première tentative mais elle ne pouvait s’empêcher de se dire qu’elle était très, très loin du résultat et bon sang, elle était la Sauveuse, pourquoi ne pouvait-elle pas être l’une de ses héroïnes de roman qui maîtrisent tout en un tour de main ?! Mais elle savait que ça ne marchait pas ainsi, et aucune bonne histoire ne présentait jamais un personnage principal infaillible – elle connaissait suffisamment de contes pour savoir que bien souvent, le message était le même : lorsqu’on voulait quelque chose, il fallait se battre pour, et ne pas se décourager au premier obstacle. Et à présent, ces contes étaient plus réels pour elle qu’ils ne l’avaient jamais été de toute sa vie : cela devait forcément signifier quelque chose.

« Bien… Ce n’était pas tout à fait ce que j’espérais mais c’était un début, en réalité, je ne vous voyais même pas allumé une bougie… Quoique faire ça demande une certaine précision. A qui pensiez-vous ? Henry ? Si c’était votre fils, je pense qu’il serait judicieux de penser aux moments heureux passer en sa compagnie, des moments qui pourraient vous apaiser, cela donnerait des résultats moins… Explosif je dirais ! »

Emma leva les yeux d’un air étonné vers Gold puis se redressa lentement. Il semblait réellement surpris dans le bon sens, même si le test avait été un échec, il s’était clairement attendu à ce que premier essai soit en vérité ce soit un coup d’épée dans l’eau (et c’était ce qu’elle avait pensé elle aussi), c’était donc plutôt encourageant… non ?
Elle hocha la tête – aussi bien en guise de réponse à sa question, car bien sûr qu’il s’agissait d’Henry, que pour lui faire comprendre qu’elle avait bien assimilé ses conseils, tandis que le prêteur sur gages s’esclaffait légèrement, comme s’il s’était souvenu d’une blague qu’il était le seul à connaître. La jeune femme fronça les sourcils d’un air perplexe, ne parvenant à déterminer s’il se fichait d’elle ou s’il trouvait vraiment la situation amusante. Et, pour être honnête, elle l’était – ou, à tout le moins, franchement cocasse. Elle, dans la boutique de Rumplestiltskin, le Ténébreux, qui lui apprenait à se servir de ses pouvoirs, non sans quelques difficultés. Elle s’autorisa un léger sourire malgré elle ; la situation était peut-être absurde, mais elle préférait voir cette facette du personnage, patient et même pédagogue, à celle, plus sombre et inquiétante, à laquelle elle avait été plus souvent exposée jusqu’ici. Cela lui donnait l’envie de croire qu’il pouvait changer, qu’il pouvait s’allier définitivement à eux, qu’il pouvait épargner Hook, et c’étaient autant de fardeaux qu’elle n’aurait plus sur ses épaules si réellement le miracle se produisait.

Le petit homme reprit de sa voix posée :

« Veillez à rester calme, ceci est important, quelqu’un qui se laisse trop emporter par un sentiment quelconque devient trop vite submergé et on vient de voir les résultats que ça donne. Eh bien, peut être qu’il vous faudra plus d’entraînement, après tout on ne maîtrise pas la magie aussi facilement. Voulez vous réessayer ? »

Il lui donnait une nouvelle chance, et Emma eut le sentiment inexplicable que ce n’était pas une offre qu’il aurait faite à n’importe qui. Il semblait cette fois prêt à parer une éventuelle nouvelle catastrophe, sans exprimer aucune trace d’inquiétude, et la jeune femme décida que si elle voulait un jour arborer la même assurance posée, il n’y avait pas trente-six façon de s’y prendre.

« Oui. Je vais réessayer », répondit-elle d’une voix ferme, l’air décidé.

Elle allait réessayer, autant de fois qu’il le faudrait, autant de fois que Gold l’autoriserait, et même bien après, elle continuerait à essayer. La magie était en elle. Elle n’avait en théorie besoin de rien, elle devait être capable de s’exercer toute seule – même si évidemment ses conseils et ses connaissances n’étaient pas quelque chose de négligeable face à une donnée aussi inconnue pour elle qu’était celle de la magie. Il pensait qu’elle pouvait le faire, et elle avait été capable de protéger son cœur des mains de Cora sans même avoir à y penser – elle devait bien être capable de pratiquer un peu de télékinésie, non ? Se préparant mentalement, elle garda en tête les paroles de Gold.

Première chose : ne pas se laisser emporter par ses émotions. Plus facile à dire qu’à faire bien sûr : Emma était une tempête d’émotions, certaines plus vives que d’autres, mais toutes faisaient d’elle la jeune femme dotée d’une personnalité fougueuse qu’elle était. Elle était une éponge. Elle absorbait tout, jusqu’à ce que le trop plein arrive et qu’elle craque. Elle ne savait pas faire autrement ; elle se préservait comme elle pouvait, mais même ses murs les plus solides possédaient des fissures. Elle respira plusieurs fois lentement, pour se calmer, ne pensant à rien de particulier, se concentrant simplement sur sa respiration. Lorsqu’elle se sentit prête, elle passa à la phase deux.

Penser à des souvenirs heureux. Elle n’en avait pas tant que ça, mais de tous ceux qu’elle avait, la plupart concernaient Henry. Elle repensa au jour où il avait frappé à sa porte, à Boston, de l’aplomb avec lequel il avait déclaré être son fils, et de la façon dont sa vie avait changé après ça. Elle repensa à leur Opération Cobra et à leur lieu de rendez-vous secret sur la plage. Aux chocolats chauds à la chantilly saupoudrés de cannelle chez Granny’s et à la façon dont il avait couru se réfugier dans ses bras quand elle était revenue de la Forêt Enchantée. A leurs échanges au talkie-walkie et au sourire malicieux qu’il avait lorsqu’il savait quelque chose qu’elle ignorait. Il était la meilleure part d’elle-même.

Le fourmillement qui avait parcouru son corps un peu plus tôt revint, chatouillant cette fois le bout de ses doigts, et il lui fallut un certain temps pour réaliser que dans sa main tendue flottait l’orbe lumineuse, émettant une lueur apaisante dont le rayonnement semblait suivre le rythme de ses propres battements de cœur. Elle écarquilla les yeux de stupeur, n’ayant même pas eu conscience du moment où elle avait avancé sa main à la rencontre de la sphère, ni de la façon dont celle-ci s’était échappée de la poche de Gold pour arriver jusque là.

« Gold… ça a marché », souffla-t-elle, l’air complètement incrédule, et les mots sonnèrent comme une interrogation, comme si elle voulait s’assurer que ce n’était pas lui qui lui avait joué un tour.

Puis, peu à peu, un sourire, fin mais sincère se dessina sur son visage ; l’un de ceux qui s’y frayaient rarement un chemin, et elle eut un sentiment d’accomplissement aussi satisfaisant qu’encourageant. Il y avait toujours du chemin à faire, mais elle était peut-être capable de quelque chose, enfin de compte.

Elle était encore sous le choc. Ce n’était pas un si grand accomplissement, et elle avait encore énormément de chemin à faire, elle en avait conscience (elle préférait ne pas penser à ce qu’il se passerait dans des circonstances plus pressantes, et avec plus d’enjeux, si elle retentait cette expérience, car il fallait avouer que le calme et les conseils de Gold l’avaient énormément aidée), mais c’était un début, et un début encourageant. Elle avait désormais la preuve qu’elle pouvait, en théorie au moins, contrôler ses pouvoirs. Qu’elle était capable de certaines choses, elle, et elle seule. Peut-être qu’elle finirait par être capable d’assumer le rôle qu’on lui avait donné. Il lui fallait « simplement » apprendre à contrôler ses émotions. Mais elle n’était plus seule pour ce faire, et elle s’en sentait soudain capable, peu importait le temps et l’énergie qu’elle dépenserait dans cette tâche. Elle était prête à sacrifier bien plus pour son fils.

« En effet, vous avez réussi ma chérie, vous pouvez être fière  de vous, voyez quand vous contrôlez vos émotions, la magie devient alors plus simple… »

Simple n’était peut-être pas le mot qu’elle-même aurait utilisé, mais elle avait en tout cas compris la leçon. Cela expliquait d’ailleurs certaines choses concernant Gold lui-même : elle n’avait jamais rencontré quelqu’un d’aussi (en apparence, tout du moins) distant et détaché de tout ce qui l’entourait. Ses mots étaient toujours parfaitement pensés, ses décisions, calculées, et ses émotions, sous contrôle. Il n’y avait en vérité pas grand-chose qu’il ne semblait pas contrôler et si Emma lui enviait son assurance, elle n’était pas certaine d’être jamais capable de la même maîtrise sur elle-même, ni même de le souhaiter. Elle était terriblement impulsive, c’était en grande partie ce qui la caractérisait. Que serait Emma Swan sans sa fougue ?

Elle crut pendant un instant qu’il allait lui proposer un nouveau défi, mais à son grand soulagement, il n’en fut rien. Une chose à la fois, elle n’avait pas non plus l’intention de se tuer la santé pour maîtriser des pouvoirs dont elle s’était parfaitement passée pendant vingt-huit ans (mais il était vrai aussi que le besoin ne s’était pas fait sentir jusque là). Et surtout, elle avait d’autres priorités sur le feu.

Gold récupéra la sphère pour la ranger derrière l’une de ses vitrines, probablement une façon de lui suggérer qu’ils en avaient finis pour aujourd’hui et qu’ils pourraient aller explorer les profondeurs de Storybrooke une autre fois, une idée qui en revanche l’enchantait moins car elle avait hâte de connaître le fin mot de l’histoire concernant cet évènement, mais elle n’était pas réellement en position de dire quoique ce soit, surtout pas après l’aide qu’il venait de lui prodiguer. Il lui faudrait prendre son mal en patience.

« Il serait intéressant que vous vous entraîniez chaque jour, à faire ce genre de petits exercices, histoire d’être vraiment prête le jour où ce sera utile et aussi pour vous préparer à réaliser de plus grands exploits ! »

Emma hocha la tête d’un air entendu. Elle ne savait pas bien quel genre de grand exploit elle pourrait jamais réaliser, mais il n’y avait bien qu’une seule façon de le découvrir, et même si elle conservait une certaine méfiance vis-à-vis de la magie qui ne leur avait pas apporté que des bonnes choses jusqu’ici, elle savait qu’elle ne reculerait devant aucune extrémité si cela pouvait lui permettre de protéger Henry.

Gold s’approcha d’elle avec une expression qu’elle n’avait aucun mal à déterminer comme étant celle d’un « nous en avons fini, merci de votre visite, au revoir » et ne fut donc pas surprise par les mots qui suivirent :

« Bien, Miss Swan, je pense que nous n’en avons fini, j’ose imaginer que vous avez d’autres affaires importantes à régler en dehors de venir faire un tour dans ma boutique. »

Ce qui était totalement vrai, bien sûr. Elle n’avait jamais été aussi occupée que depuis son arrivée à Storybrooke, mais les derniers jours avaient véritablement été une spirale infernale d’évènements imprévus avec lesquels elle devait faire.
Détournant le regard comme si elle n’était déjà plus digne de son intérêt, ce qui était probablement le cas, à nouveau silencieux pendant un cout instant, il conclut :

« Vous savez, ma chérie, je suis certain qu’il y a plus en vous que vous ne le pensez. Il suffit de croire ce que vous faites. »

Elle ne cacha pas sa surprise en recevant ce dernier conseil, mais bien évidemment, il savait pourquoi il lui disait ça. Il avait pu voir, aujourd’hui, même si ça n’avait été que pendant un bref instant, combien elle doutait d’elle. Puis elle acquiesça une nouvelle fois avec gravité, et murmura un simple :

« Merci. »

Un remerciement sincère qui s’adressait aussi bien à ses conseils qu’à son aide, d’autant qu’elle lui devait toujours une faveur. Relevant le menton tandis qu’elle reprenait son rôle de shérif, elle se dirigea calmement vers la porte qui tinta lorsqu’elle ouvrit. La main sur la poignée, elle s’immobilisa quelques secondes, hésitante, puis ajouta d’une voix douce mais ferme, sans se retourner :

« Gold… n’oubliez pas ce que vous m’avez promis. »

Il s’agissait là d’un dernier rappel quant à Hook, l’une des raisons pour lesquelles elle s’était déplacée en premier lieu. Elle lui était reconnaissante pour l’aide qu’il lui avait apporté, mais cela ne changeait rien à ce qu’elle lui avait demandé en arrivant : elle tâcherait de tenir le pirate à distance, mais il fallait que le prêteur sur gages joue le jeu également. Sur ces derniers mots, elle s’esquiva de la boutique et referma doucement la porte derrière elle, son regard se posant aussitôt sur la fissure qui déformait la rue – difficile de voir autre chose, en vérité, tant elle était impressionnante. Et bien que son regard s’assombrit légèrement, elle reprit sa route avec un peu plus d’assurance et de détermination qu’elle n’en avait eu en arrivant.