Ce que je sais de Regin, je ne le tiens que de son fils adoptif, un garçon bien plus malin et intelligent que ce père qui n’était pas le sien. Siegfried n’était pas n’importe qui, le jour où nous nous sommes rencontrés, j’ai tout de suite reconnu en lui l’ascendance divine qui pesait sur son âme. Fils d’Odin, tu le crois ça humain ? Ce maudit vieillard des Ases n’en avait pas fini de me causer du mal. Car Siegfried n’était pas venu sans mauvaises intentions vers moi, non, crois le bien, il était venu pour le trésor sur lequel je régnais. Regin l’avait envoyé à moi, lui révélant les biens sombres secrets pour venir à bout de ma peau de diamant et de mon cœur ardent. La force de ce garçon issu des dieux n’était pas négligeable, et je l’avoue, ce jour-là je crus bien voir venir mon dernier souffle. Écoute humain, le combat entre Fafnir et Siegfried.

J’ai entendu sa voix résonner jusqu’aux entrailles de la montagne où je me cachais, j’ai entendu son appelle impertinent, la moquerie et l’orgueil de son ton, j’ai vu qu’il n’était pas homme de peur, et que l’attrait de la richesse l’avait lui aussi perverti comme il m’avait perverti pendant des siècles. Il a crié longtemps avant que je ne décide de prendre le pas vers la sortie. Je ne sortais que très rarement de ma grotte, terrifié à l’idée que mes richesses un jour ne disparaisse. Mais lorsque je posais mes griffes sur le sol d’été, je vis le soleil m’éblouir pour la première fois depuis longtemps. J’ai grogné mon mécontentement auprès de ce jeune homme éclatant, avec ces mots tels que je te les répète : « Pour qui se prend Siegfried en réveillant ainsi la colère du dragon ? » C’est Regin qui l’envoyait, m’avait-il dit, mais je voyais en son regard qu’il n’avait pour son père que mépris, le même que j’avais eu pour ce frère instable et incapable. Je compris alors rapidement qu’il m’était peut être possible de tourner cette malchance à mon avantage. « Fafnir le grand dragon sait-il qu’en ce jour il va mourir ? » « Le Fils d’Odin est bien prétentieux de croire ainsi pouvoir me tuer, mais ainsi soit-il. Viens-tu pour l’or que je garde ? » « L’or n’est pas le seul trésor que tu caches, pas vrai ? » « On dit bien des choses sur ce que je caches. Mais… viens-tu pour ça ? » J’ai alors repris cette forme humaine que j’avais tout fait pour oublier, ce corps si petit, si faible comparé à la puissance qui pulsait dans les veines du dragon. Mais j’ai repris cette forme oui, pour lui montrer ma main droite, celle où à mon doigt saignait un anneau doré dont l’éclat n’avait pas perdu de sa splendeur avec les années. J’ai vu alors le regard de Siegfried se nimber d’un désir non feint, ses yeux obsédés par ce bijou que j’avais toujours porté, celui qui apporterait la mort sur ma personne. Serait-ce le jour où la malédiction d’Andvari s’abattrait sur moi ?

Comme tu le vois humain, il n’y eu pas de bataille entre moi et ce jeune homme, ni de mort à déplorer. Je ne dévorais pas Siegfried, il n’arracha pas mon cœur comme l’aurait voulu la prophétie. Lui et moi avions échappé au Destin. Mais vois-tu humain, il se passa plus encore. Écoute comment Siegfried devint le fils de Fafnir.

J’ai promis à l’enfant bien plus qu’il ne pouvait rêver. Il désirait puissance et grandeur, je lui ai donné l’un et l’autre. De mon sang de dragon dans lequel il se baigna, il obtint la dureté de ma peau sur la sienne ; de mon souffle de souffre que je lui fis respirer, il obtint le chant magique qui régnait en mon propre cœur, ce chant qui me permettait de lire en notre mère la terre, bénie soit-elle. Je rendis à Siegfried la puissance des dragons sous forme humaine. Enfin, je m’arrachais le doigt où régnait l’anneau pour le lui donner, le mettant en garde de la malédiction qui pesait sur ce bijou dangereux, malédiction qui je le savais continuerais de me poursuivre. Je ne pourrais éternellement y échapper humain, j’en ai conscience, et j’ai laissé ce garçon se maudire lui-même, de son plein gré. Siegfried et moi étions désormais liés, et pour tout ce que je lui avais donné, j’obtenais en récompense ma vie et celle de mon frère Regin. Le lendemain, je retrouvais la tête de cette imbécile sur un piquet devant ma grotte. Oui humain, j’ai eu satisfaction de voir la tête de cet idiot plantée là, débarrassé à jamais de ce fardeau que j’avais épargné et qui avait quand même tenté de me faire tuer. Ce lâche n’avait eu que ce qu’il méritait, et je m’amusais de le savoir trahi par son propre fils qui était devenu le mien. Pour ce garçon, je prétendais n'avoir nulle affection, et pourtant j’avais fait le choix de me séparer de mon plus grand trésor. Mais aussi maudit soit l’anneau d’Andvari, il restait le mien, et je comptais bien un jour le reprendre, lorsque enfin le cadavre de ce garçon pourrirait dans les fosses d’un champ de bataille.