Elle parcourait les rues du village avec tranquillité, ici elle était assez loin du reste du groupe qu’elle formait avec les autres voleurs, cet ensemble hétérogène de personnalités qui étaient devenus petit à petit au fil du temps comme une famille pour la jeune femme. Oh bien sûr, cela ne voulait pas dire qu’ils étaient forcément doux les uns entre les autres, ils restaient des voleurs et pour vivre il fallait savoir s’imposer face aux autres. Quand on avait fait son trou, qu’on avait prouvé notre valeur, il y avait pratiquement cent pour cent de chance de rester en vie. Dans le cas contraire, on éliminait rapidement l’élément, trop gênant, il suffisait qu’il se détourne du groupe pour risquer de révéler la planque aux autorités et quand on connaissait la reine, on n’avait réellement pas envie de tenter le diable. Mettre un peu de distance entre elle et eux lui faisait un bien fou. Elle n’aimait pas cette vie basée entièrement sur le mensonge, la trahison et le vol. Elle n’avait pas entamé son périple à travers le royaume juste pour en ressortir avec quelques babioles à valeur d’argent qu’elle pourrait vendre sur les marchés.

Caressant la gourmette qui se trouvait à son poignet, elle y jeta un bref coup d’œil avant de remonter sa manche dessus et le cacher aux yeux de ceux qui seraient sans doute tenté de la voler à son tour. Elle se souvenait parfaitement du moment où elle l’avait chapardé quelques jours plus tôt. La soirée s’annonçait assez tranquille, comme chaque fois, elle rentrait dans une taverne, essayant de changer souvent d’endroit pour que les victimes ne puissent pas la retrouver facilement. Les badauds qui se pressaient dans l’établissement étaient pratiquement tous déjà sous l’effet de l’alcool et il n’avait pas fallu de beaucoup de choses pour qu’elle se fasse payer un verre. La chaleur procurée par le feu de cheminé réchauffait toute la pièce et surtout la réchauffait elle, qui avait vagabondé plusieurs heures dans le froid. Il n’y avait personne qui lui avait tapé dans l’œil, jusqu’au moment où elle avait vu le jeune homme. Jack. Elle n’avait aucune mauvaise intention en venant le rejoindre et en entamant la conversation avec lui. Elle avait besoin de se changer les idées et elle avait trouvé sa compagnie tout à fait agréable. Ce n’est que pendant la conversation qu’elle avait aperçu le bijou et que le vice du métier était revenu aussi vivement que l’éclair, elle avait donc posé aussi discrètement que possible sa main sur celle de Jack et elle lui avait retiré le bijou avant de le glisser dans sa poche. Elle avait rougis de ce contact avant de reprendre la parole d’une voix un peu plus timide.

Sa présence aujourd’hui en ville signifiait tout simplement qu’elle avait l’intention de vendre son bien. Pourtant elle était fatiguée de tout ça, et finalement elle aimait plutôt la sensation de la gourmette autour du poignet. C’est dommage qu’elle ait gâché cette rencontre avec le jeune homme, elle avait apprécié l’échange et cela lui avait fait du bien de parler à quelqu’un qui ne faisait pas parti de son milieu. Elle prit une petite rue sur le côté, loin du regard des passants et des commerçants. C’est à ce moment-là qu’elle sentit quelqu’un l’attraper vivement à son poignet. Sans comprendre ce qu’il se passait, elle s’est retrouvée plaquer contre le mur alors qu’on plaçait un poignard sous sa gorge. Aussi vive que l’éclair, elle avait récupéré son propre poignard qu’elle avait mis de façon menaçante sur le flanc du jeune homme. « Salut chéri ! » Finalement cette petite rencontre lui faisait monter l’adrénaline.

© charney

Alors que la pointe de sa lame venait piquer doucement le flanc de Jack, elle observa la réaction du jeune homme à cet instant. Son sourire de victoire qu’il présentait s’effaça légèrement et elle put le voir prendre un cours instant pour évaluer la situation et vérifier si la sensation de contact entre le poignard et lui était bel et bien réel. Elle put même observer une petite grimace, qui la rendit encore plus fière de son petit coup. L’orgueil était finalement quelque chose dont elle pouvait se complaire parfois. Elle était un petit renard, sous des abords de douce jeune fille inoffensive, elle était terriblement rusée et elle s’avait parfaitement amadouée les gens qu’elle rencontrait. Elle était jeune et elle avait réellement envie de s’amuser. Son regard profondément plongé dans celui du jeune homme, elle se sentait totalement électrifié, il donnait un peu de vitalité à sa vie morose de ses derniers temps, alors qu’elle était prête à tout arrêter dans les jours voir au pire dans les semaines à venir.

Malgré cette profonde assurance dont elle semblait faire preuve, sentir une lame sur son cou, prête à l’égorger d’un moment à l’autre, n’était jamais quelque chose d’agréable. Elle s’était retrouvée rarement dans cette situation de conflit, rencontrant une des victimes de ses petits emprunts souvent précieux. Elle avait rencontré quelques gaillards bien plus balaises que lui. Pour autant, elle se sentit respirer un peu mieux quand il se décida à baisser les armes. Pour lui rendre cet honneur, elle retira également son poignard de ses côtes et elle replaça son poignard dans son fourreau, laissant cependant la main sur celui-ci pour pouvoir agir au plus vite s’il venait à l’attaquer. Gerda savait combien la vie pouvait être difficile, la confiance n’était pas quelque chose qu’elle accordait facilement. Encore moins quand c’était pour quelqu’un qui cherchait à l’attraper et récupérer son bien.

Le laissant reprendre la parole, elle se mit à rire, d’un rire cristallin qui se répercuta contre les murs de la petite ruelle où les deux jeunes gens étaient cachés. D’un geste candide, elle porta une main à ses lèvres, comme pour faire taire son amusement puis elle se mit à mordiller sa lèvre inférieure alors qu’elle l’observait d’un regard pétillant de malice. Un des hommes qui était présent, dans un état lamentable à quelques mètres d’eux, porta soudainement un peu plus d’attention sur le duo que Gerda formait avec Jack. Si elle avait quelqu’un donc elle devait s’inquiéter, c’était plutôt de lui que de celui avec qui elle était en train de s’amuser. Elle se reconcentra sur Jack et s’approcha doucement de lui. Elle passa une main dans le creux de sa nuque, elle se mit sur la pointe des pieds et porta ses lèvres à son oreille avant de murmurer doucement. « Oui je sais ce que tu veux, je sais pourquoi tu es là. Mais je n’ai pas prévu de te le rendre. » Elle posa un doigt sur ses lèvres pour lui intimer le silence. « Finalement je l’aime bien. Soit certain qu’au moins de je ne le vendrais pas. » Elle le fit basculer d’une légère pression sur son corps pour qu’il se retrouve coincer entre le mur et elle. Elle caressa un instant sa joue avant de reculer. « Ce n’est nullement contre toi, l’autre soir s’était vraiment agréable. On dira que c’est la force de l’habitude qui m’a fait faire une telle folie. »

© charney

Elle haussa un sourcil en le voyant lui rire au nez. Non mais il se prenait pour qui c’était elle qui avait la situation en main et pas lui. Elle eut un instant envie de croiser les bras et de faire une mine boudeuse mais elle ne voulait surtout pas lui montrer qu’elle pouvait avoir une quelconque faiblesse. Gerda ne put par contre s’empêcher de grimacer quand il captura son poignet, l’enserrant avec force de sa main. Elle comprenait parfaitement que la gourmette semblait avoir pour lui une réelle valeur sentimentale mais parfois, il fallait savoir abandonner les choses qui nous tenaient le plus à cœur. La vie était faite ainsi, une suite de concessions. Sa remarque par compte, ne fit que faire rire une nouvelle fois. « Faire appel aux soldats présents dans la ville ? Oh oui ça peut être une bonne idée … » Elle se mit à tousser un instant avant de prendre une nouvelle voix, plus douce, plus charmeuse encore, jouant la comédienne, plongeant son regard profond dans celui de Jack. « Alors je leur dirais tout de notre première rencontre alors que nous n’étions que des enfants … Cette amour qui a grandis entre nous deux au fil des ans … » Elle se rapprocha de lui, collant légèrement son corps au sien. « Je dirais ensuite qu’on n’a échangé notre premier baiser sous le pin juste à côté de la rivière ou on jouait ensemble. Tes lèvres sont si douces. » Elle caressa sa lèvre inférieure du bout de son doigt. « On s’est marié, en plein hiver pour changer des traditions, sous un soleil parfait. Nous étions trop pauvres pour nous payer des alliances alors tu m’as offert ce bracelet, portant ton nom dessus, un souvenir de ton enfance, me promettant un amour éternel. » Elle glissa ses lèvres sur les siennes un court instant. « Puis après un dernier baiser, tu m’as quitté, souhaitant à tout prix devenir un corsaire. Et tu m’as abandonné moussaillon. » Elle effaça une larme du bout du doigt avant de sourire.

« Je te jure que je peux encore en rajouter. » Le contact de ses lèvres avec les siennes l’avait électrisé et elle se retrouva avec une petite rougeur au niveau des joues. Elle sentit la pression de sa main se refermer un peu plus sur son poignet et elle secoua la tête. « S’il y a bien une chose que je déteste encore plus que les requêtes ce sont les ordres. » Elle pencha la tête et sourit malicieusement à son partenaire de jeu. « Et si … En acceptant de garder ce bijou pour le moment, je pourrais voir ce que tu peux m’offrir de plus. Je suis certaine qu’on pourrait trouver un parfait compromis tous les deux. » Il était réellement hypnotique et elle se sentait de plus en plus troubler par le jeune homme.

Le vieil homme bien entamé se releva un peu plus, s’accrochant au mur pour pouvoir tenir droit sur ses jambes tremblantes. Il frappa aussi fortement qu’il pouvait sur la porte à côté de lui, avant d’émettre un sifflement qui se termina par une toux engorgé. Un homme de haute stature finit par sortir de là. L’homme pointa alors Gerda du doigt avant de dire d’une voix enraillée. « Je crois que c’est la gamine que tu recherches. » La renarde vit alors le visage du second homme et elle se figea. L’homme pour qui elle avait travaillé ses dernières années, celui qu’elle venait de planter, venant justement dans cette ville pour vendre les dernières babioles qu’elle avait volé et ainsi commencer une nouvelle vie. Elle débloqua son poignet de la prise de Jack mais elle prit aussitôt sa main. « Suis-moi, ne pose pas de question et surtout cours ! » Elle l’entraina à sa suite dans les allées du marché.

© charney