Emma détestait ne rien faire. Rester les bras croisés, attendre, ce n’était pas pour elle. Ce n’était pas pour rien qu’elle était devenue chasseuse de primes. Elle avait besoin d’agir, d’aller au-devant des choses, de prendre les commandes. Elle tenait probablement ça de son père, mais contrairement à Mary-Margaret, elle avait du mal à réfléchir tête posée face à un problème : elle avait plutôt tendance à foncer. Hélas pour elle, la situation limitait grandement ses possibilités d’action. En vérité, elle ne pouvait pas faire grand-chose d’autre qu’attendre, et cela la rendait folle. Cora et Regina n’étaient nulle-part en vue, et dans un sens, c’était plutôt une bonne chose : tant qu’on n’entendait pas parler d’elles, c’était qu’elles faisaient profil bas, et même si c’était certainement une mauvaise nouvelle quant à ce qu’elles préparaient pour le futur, pour le moment, c’était un répit non négligeable. Elle aurait probablement pu tenter de partir à leur recherche, mais en considérant les bois environnants et toute la côte, Storybrooke n’était pas une si petite ville que ça, et puis, elle était lucide : si Cora et Regina ne souhaitaient pas être trouvées, elles ne le seraient pas. Evidemment, elle aurait pu demander de l’aide à Gold, mais elle estimait qu’elle lui devait bien assez de faveurs comme ça, et qu’aurait-elle fait face aux deux sorcières ? Elle n’était clairement pas encore de taille à lutter.

Quant à cette histoire de tremblement… et bien, l’incident semblait pour le moment isolé, laissant penser que c’était en vérité un tremblement de terre ordinaire, mais elle n’avait pas oublié les paroles du prêteur sur gages. L’ennui, une fois de plus, c’était qu’il était le seul à avoir en sa possession les moyens d’enquêter et même si c’était lui qui lui avait proposé de sonder les profondeurs de la ville, il avait semblé assez occupé de son côté pour que ce ne soit pas vraiment la première de ses préoccupations. Et Emma détestait demander de l’aide. Elle l’avait fait pour Ashley, pour Henry et pour Hook, et le referait sans hésiter, mais pour elle-même, hors de question. Encore qu’elle n’était pas la seule concernée par cette histoire, mais il était trop tôt pour dire s’il fallait réellement s’en inquiéter ou non. Elle s’était donc contentée de quelques excursions discrètes dans les mines, mais une bonne partie s’était effondrée avec le tremblement, et lorsqu’elle avait sentit la terre s’affaisser un peu plus, couvrant ses cheveux de poussière, elle avait jugé préférable de sortir avant de réitérer l’expérience Archie/Henry (qui semblait d’ailleurs remonter à des années lumières et ne s’était pourtant produite que quelques mois plus tôt). Ainsi donc, lorsqu’elle n’était pas en train d’exercer ses fonctions de mère et de shérif ou d’aider ses proches à retaper leur maison/café/bar/rayer la mention inutile, elle avait du temps libre pour réfléchir, ce qui jusqu’ici ne l’avait non seulement pas vraiment aidé, puisqu’aucune solution miracle ne s’imposait à elle, mais en plus la tirait franchement vers le bas, considérant que même les seules choses qui pouvaient lui redonner le sourire – à savoir, présentement, Henry et Hook – venaient avec leurs lots de doutes, de complications et d’inquiétudes auxquelles elle n’avait pas vraiment envie de faire face.

Hook… leur dernière entrevue s’était produite une semaine plus tôt. Elle n’avait eu d’autres choix que de se glisser en catimini hors de sa cabine aux premières lueurs de l’aube afin que ses parents ne remarquent pas qu’elle n’était pas rentrée de la nuit et ne commencent à poser des questions auxquelles elle n’avait vraiment pas envie de répondre. Il fallait d'ailleurs qu’elle fasse quelque chose à ce sujet au plus vite. Elle approchait de la trentaine, et elle avait un enfant, elle ne pouvait pas commencer à vivre avec des parents dont elle avait dû se passer jusque là, même si ceux-ci semblaient ravis par le petit cocon familial qu’ils formaient à eux quatre. Elle l’avait donc longuement regardé dormir, puis l’avait embrassé sur la tempe avant d’enfiler ses bottes, sa veste et de disparaître. Elle avait détesté cela. Cela lui avait cruellement rappelé ses aventures d’une nuit où elle s’arrangeait toujours pour fuir sans laisser de traces, alors qu’elle n’aurait rien aimé tant que de rester blottie dans sa chaleur, d'autant que tout était différent : il ne s’était rien passé (pas sur ce plan là, en tout cas), et Hook n’était pas qu’un beau visage qu’elle oublierait aussitôt la porte de la chambre refermée derrière elle. Il méritait mieux que ce départ en douce, et elle aussi, mais ni l’un ni l’autre ne pouvaient s’offrir ce luxe. A regrets, elle avait quitté le bateau, accueillie par l’air frais matinal particulièrement mordant en bord de mer, et un ciel qui se couvrait paresseusement d’or et de bronze tandis que les premiers rayons du soleil s’y frayaient un chemin. Une part d’elle se sentait plus légère, mais l’autre avait le cœur lourd, et si, un peu plus tard, sa mère avait deviné à sa mine qu’il se passait quelque chose, elle jugea préférable de ne rien en dire, ce dont Emma la remercia.

La jeune femme savait qu’ils ne pourraient pas se voir comme ils l’entendraient ; pas avec ses responsabilités à elle et ses occupations à lui (qui se résumaient probablement à surveiller son Crocodile et faire profil bas), et certainement pas s’ils souhaitaient garder tout cela secret, ce qui, hors de l’inévitable discussion que cela entraînerait avec son père et qu’elle ne souhaitait pas franchement avoir, ne pourrait leur apporter que des ennuis. Ils étaient la force l’un de l’autre, mais ils étaient aussi leur faiblesse respective. Quiconque découvrait ce qu’il se tramait entre eux pourrait s’en servir contre eux. Elle ne pouvait permettre cela. En dépit de tout, une semaine, après avoir confessé ses sentiments… c’était long. Très long. Elle ne pouvait nier que ses pensées s’orientaient vers lui plus que de raison, et qu’il lui arrivait d’ouvrir le tiroir du bas de son bureau juste pour en extirper l’écharpe qu’il avait noué autour de sa main blessée rien que pour la sentir sous ses doigts. Elle avait eu plus d’une fois envie de tout laisser en plan et de courir le retrouver à bord du Jolly Roger, mais elle n’avait pas le droit d’être égoïste. Le moindre faux pas pouvait leur coûter, et elle restait donc prudente.

Tandis que ses yeux parcouraient pour la énième fois sans les voir toutes les informations qu’elle avait pu tirer du tremblement de terre (largeur, longueur, profondeur, dégâts estimés, terrains dangereux, risques d’effondrement et toute une masse de chiffres et de calculs auxquels elle ne comprenait pas grand-chose), menton appuyé sur ses avant-bras croisés sur la table, luttant pour ne pas bailler, elle fut soudain tirée de ses réflexions par le bruit de pas approchant dans le couloir qui ne pouvaient signifier qu’une chose : elle allait recevoir de la visite très bientôt, et étant à son poste de shérif, c’était très probablement le genre de visite dont elle se serait volontiers passée. Son téléphone n’avait pas sonné, donc même si c’était une mauvaise nouvelle, ce n’était probablement rien d’urgent. Elle ferma les yeux, pestant mentalement contre celui qui venait troubler son semblant de repos jusqu’ici. Elle avait une chance sur deux pour qu’il s’agisse d’une énième plainte concernant des activités étranges aux docks, ou un quelconque problème lié au tremblement de terre – et si c’était une histoire de vol, Matthys allait en prendre pour son grade.

Rien de tout cela.

« Emma, on a un problème je crois... »

Ding ding ding vous avez gagné le gros lot ! Si ses sens réagirent aussitôt à la voix grave, teintée d’un accent irlandais irrésistible, qui était parvenu à ses oreilles, les paroles, eux la refroidirent aussitôt, et elle étouffa un grognement.

« On a un problème ? » répéta-t-elle avec contrariété, sans même lever la tête.

La shérif se redressa sur sa chaise, puis soupira en se pinçant l’arrête du nez. Elle avait plus d’un problème. Il en faisait partie. Et visiblement, il en avait apporté d’autres avec lui. Elle avait beau avoir accepté le fait qu’elle ressentait un peu plus qu’une simple attraction pour lui, il était évident que ce pirate était un véritable nid à ennuis et que maintenant plus que jamais, ces ennuis finiraient par avoir un impact sur elle également. Mais il était un peu tard pour reculer et très franchement, il lui en faudrait plus que ça pour renoncer à lui. Sa vie n’avait pas attendu Killian Jones pour être un bordel sans nom.

Elle leva enfin les yeux pour voir son petit sourire cynique – bien, au moins s’il était encore capable de sourire c’était que la situation n’était pas si catastrophique que ça, pensa-t-elle – et, remontant toujours plus son regard, elle finit par noter, les yeux écarquillés, sa coupure à l’arcade sourcilière. Aussitôt inquiète, elle se releva d’un bond :

« Hook ! Est-ce que ça va ? Que s’est-il passé ? C’est Gold qui t’a fait ça ? Si c’est lui, je te jure qu’il va entendre parler de moi, nous avions un accord ! »

Elle s’interrompit lorsqu’elle fut assez proche pour tâter la plaie de ses doigts, pressant gentiment pour examiner les dégâts. Elle ne semblait pas très profonde, mais il y avait un peu de sang séché qui avait coulé de la blessure, et elle avait connu le pirate avec une meilleure mine. Une rapide inspection du regard lui confirma qu’il ne semblait pas être blessé ailleurs, mais elle ne pouvait pas en jurer. En tout cas, il tenait debout et ne semblait pas vraiment sur le point de s’effondrer ; rien de grave, donc. Elle se figea pendant quelques secondes en croisant son regard, ressentant malgré elle une attraction immédiate, presque magnétique, face au pirate, comme s’il avait son propre centre de gravité et qu’elle s’était malgré elle trouvée prise dedans. Ce qui était un peu le cas, au fond. Mais malgré l’inquiétude du moment, une part d’elle ressentait un soulagement évident à sa présence, un apaisement qu’elle ne devait qu’à lui, un sentiment de complétude étrange, mais pas désagréable, qui rendait son absence a contrario étonnement douloureuse. Pour Emma, qui se considérait comme une femme indépendante, c’était difficile à accepter, et plus difficile encore à vivre. Elle soupira une nouvelle fois, réprimant l'envie qu'elle avait d'ignorer ce qu'il venait de dire pour simplement profiter de sa présence, et le prit par le bras.

« Viens, je vais m’occuper de ça et tu vas pouvoir me raconter ce qu’il s’est passé. J’espère que tu n’as pas d’autres blessures plus sérieuses, parce que je suis nulle en couture, et Whale préfère les patients aux longues jambes et fortes poitrines. »

Le sarcasme était souvent pour Emma un ressort inconscient qui l’aidait à gérer les situations de crise, et en l’occurrence, elle savait qu'elle était quelque peu injuste envers le docteur (encore que ce n’était probablement pas totalement faux), mais c’était avant tout une façon comme une autre de dire qu’il ne recevrait sûrement pas la venue du capitaine Crochet dans son établissement aussi bien qu’elle. Pour la plupart, l’arrivée de Cora et Hook restait un secret bien gardé, d’autant plus facile à dissimuler que le tremblement de terre leur avait largement volé la vedette et si les mouettes avaient un comportement étrange du côté des docks, ce n’était qu’un élément de plus dans toute cette ville où absolument rien n’était normal. Elle n’était donc pas certaine que le docteur accepterait de soigner le pirate qui avait amené Cora et manqué de la laisser croupir dans une prison (non pas qu’il fut obligé de le savoir), sans oublier qu’il avait semblé assez… égaré la dernière fois qu’elle l’avait vu. Et, pour être honnête, elle avait un peu du mal à faire confiance à un homme qui avait reçu son brevet de médecin grâce à une malédiction… surtout si, à en croire son fils, il s’agissait en vérité de Frankenstein.

Elle le guida sans attendre de réponse à sa chaise de bureau, le faisant s’asseoir de force, et fouilla dans un placard pour en tirer un kit de premiers secours qu’elle posa sur la table avant de tirer une autre chaise face à lui et d’y prendre place. Piochant dans le kit, elle en extirpa du coton qu’elle imbiba de désinfectant, et força le pirate à immobiliser son visage en s’en emparant d’une main.

« Tiens-toi tranquille, ça risque de piquer. »

Et, sans plus prévenir, elle tamponna sa plaie à l’aide du coton, tout en s’efforçant de rester délicate – mais après tout, il avait connu pire et il ne semblait pas être une petite nature. Les yeux fixés sur sa tâche, essuyant la trace de sang séchée, elle reprit avec calme :

« Alors, ce problème ? »

La plus grande partie d’elle-même était ravie de voir Killian – plus que ravie, soulagée. Mais l’autre partie, celle qui l’avait empêché de courir se jeter dans ses bras en entendant sa voix (en plus de ses paroles qui ne sonnaient pas exactement comme un « Chérie, je suis de retour »), continuait à se demander si elle avait pris la bonne décision, si elle n’aurait pas dû, sinon le repousser, au moins lui demander d’attendre, que toute cette situation ridicule se tasse, qu’ils puissent prendre le temps de se découvrir et de se connaître, sans avoir à s’éviter, à faire comme si, à prétendre qu’ils n’éprouvaient rien l’un pour l’autre, qu’ils n’étaient que deux éléments perturbateurs dans leurs plans respectifs. Mais elle avait fait ce qu’elle n’avait pas fait depuis longtemps : elle avait écouté son cœur… et voilà où cela l’avait mené. Une fois de plus, et même dans les meilleures des circonstances, il semblait que le bonheur lui était interdit, qu’elle ne pouvait que l’entrevoir, jamais l’atteindre. Leur situation était plus que délicate et compliquée, elle était précaire, les mettait en danger et ne leur promettait aucune certitude quant à l’avenir. Et cette part d’elle tentait encore de l’en préserver, de se protéger. Oui, elle l’aimait, et ne s’en cachait plus. Mais peut-être pouvait-elle encore éviter de s’y donner à corps perdu. Ce n’était ni le bon moment, ni la bonne chose à faire. Aussi leurs retrouvailles avait un goût d’inchangé, lui ayant débarqué comme un cheveu sur la soupe sans même un « Hey beautiful » pour lui annoncer un problème qu’elle n’avait pas envie de découvrir, elle l’ignorant et grommelant dans sa barbe que c’était un véritable nid à ennuis… tels les Hook et Emma d’avant. Mais bien sûr, cela aussi, n’était qu’une illusion, qui était tombée bien vite, qui plus est. Comment pouvait-elle prétendre qu’il n’était rien pour elle quand il arrivait couvert de blessures ? Trois fois rien, oui, peut-être. Mais sa tête fourmillait de « et si » où Hook n’arrivait pas avec une plaie à l’arcade sourcilière, mais une lame plantée dans le ventre. Où ce n’était même pas Hook qui arrivait. Où Whale ne pouvait rien pour lui. Il s’était fait l’ennemi du personnage le plus puissant de Storybrooke et la seule chose qui se tenait entre eux, c’était elle. Emma Swan, 28 ans, shérif de son état. Pas une héroïne de contes, ni une super-guerrière, juste une femme banale. Presque, se corrigea-t-elle mentalement en repensant à ses pouvoirs ; une idée à laquelle elle n’était pas prête de se faire. Ce n’était pas ça qui lui permettrait de stopper l’un ou l’autre une fois lancé.

« Oui, on. »

Qu’il y eut un « on » était une source de réconfort permanente pour la jeune femme. Mais pas vraiment dans ce contexte là, il fallait l’admettre. Elle aurait aimé qu’ils partagent autre chose que des problèmes. Enfin, ne disait-on pas, lors d’un mariage « pour le meilleur et pour le pire » ? La jeune femme secoua la tête à ces pensées, incrédule. A quoi pensait-elle ? Ils n’étaient pas mariés, n’étaient même pas officiellement ensemble.

« C'est rien du tout. Non, ce n'est pas lui. Sinon crois moi, j'aurais plus qu'un simple bleu et une arcade entaillée. Disons que c'est... un accident stupide. »

Il avait raison bien sûr, et elle le savait. A présent qu’elle était face à la blessure, elle aurait plutôt misé sur une bagarre de comptoir qui avait mal tournée. Gold n’aurait pas raté son coup, et même s’il avait simplement voulu lui donner un avertissement, il s’y serait pris autrement. Avec sa canne, par exemple. L’ « accident stupide » semblait favoriser sa nouvelle théorie, mais elle avait comme dans l’idée que le « problème » y était lié et que s’il avait s’agit de quelque chose d’aussi simple il ne serait pas venu la trouver. Non, il y avait autre chose. De vrais ennuis. Oh, comme elle n’avait pas hâte de connaître la suite… mais il fallait bien.

« Rien d'autre non. »

Elle acquiesça avec soulagement. Elle n’avait pas des doigts de fées, mais elle pouvait gérer ce genre de plaies. En y repensant, peut-être même aurait-elle pu le guérir… si elle avait su comment faire. Comme s’il lisait dans ses pensées, le pirate afficha un sourire moqueur, ajoutant :

« J'ai vu pire ma belle. »

Emma haussa un sourcil, peu impressionnée par cette démonstration de fierté toute virile et se retint de faire une quelconque remarque cinglante sur cet élan de machisme, se doutant que d’une part, il ne disait pas vraiment ça par vantardise, et que d’autre part, c’était sans aucun doute vrai. Sans oublier que son ego ne l’aurait sûrement pas supporté et que oui, elle avait peut-être bien eu une réaction excessive, mais vu les circonstances, elle pouvait difficilement réagir autrement. Elle se contenta d’appuyer un peu plus férocement sur le coton sans avoir l’air de le faire exprès, attendant patiemment la suite de ses explications. Le sang nettoyé, la plaie ne paraissait plus si vilaine – en vérité, aussi injuste cela fut-il, elle ajoutait en quelque sorte au charme du pirate, ce qui fit soupirer Emma mentalement. Elle avait toujours trouvé le charme des bad boy complètement over-rated, et voilà qu’elle tombait dans le piège à son tour. Il fallait dire qu’elle faisait les choses au grand : ce n’était pas qu’un bad boy, c’était un pirate, et rien de moins que le capitaine Crochet avec ça. On ne pourrait pas lui reprocher de faire cliché. Elle fronça les sourcils en réalisant qu’elle s’était interrompue pour le regarder avec intensité, et détourna le regard, retournant son attention sur la plaie. Au moins, elle ne semblait pas être assez profonde pour requérir des points de suture, mais elle n’était pas mécontente d’avoir pris l’initiative de la traiter ; mieux valait éviter tout risque d’infection.

La suite des explications, elle, ne tarda pas à venir :

« Pour faire simple... un géant réduit à taille humaine s'est échappé de mon navire et parcourt Storybrooke légèrement énervé. Pour la version plus longue, Cora et moi l'avons capturé pour nous assurer un retour dans la forêt enchantée. Seulement, j'ai manqué de vigilance et il m'a roulé. Si tu voulais savoir d'où vient cette blessure, tu le sais maintenant. »

La shérif suspendit son geste, les yeux posés sur Hook dans un mélange d’incrédulité et de furibonderie toute Emma-ienne, tandis que les paroles du pirate se frayaient un chemin jusqu’à son cerveau qui refusait de croire ce qu’elle entendait. Son bras retomba à ses côtés, et elle recula d’un pas.
Elle ne connaissait qu’un géant qui avait survécu à l’attaque des humains, un seul que Hook et Cora auraient pu emmener de force à Storybrooke.

« Tu as… kidnappé et retenu Anton de force ? Et il était quoi, prisonnier sur ton navire ? Oh, mon dieu… »

Tout ce temps, qu’elle avait passé à flirter sur son fichu bateau, il avait été là, prisonnier à quelques mètres d’elle, sans qu’elle le sache, et elle n’avait rien trouvé de mieux à faire que de boire du rhum et se réfugier dans les bras d’un pirate. Elle se sentait en colère, contre le pirate bien sûr, mais aussi elle-même, même si elle n’avait eu aucun moyen de savoir, elle lui avait fait confiance et…

« Et tu comptais me le dire quand ?! »

Son regard plongé dans le sien avec férocité, elle resta immobile et silencieuse un moment, quand, repensant à l’hésitation qu’il avait eu avant de lui répondre, la réalisation se peignit sur ses traits.

« …tu n’avais pas l’intention de me le dire. »

Bien sûr. Quelle idiote. Elle esquissa une grimace, puis porta sa main à son front pour réfléchir, lui faisant signe de l’autre main de ne pas parler. Elle n’avait vraiment pas envie d’entendre ce qu’il avait à lui dire en cet instant. Voilà exactement pourquoi leur couple ne pouvait pas marcher dans de telles conditions… comment avait-il pu lui cacher une chose pareille ? Probable que si le géant ne s’était pas enfui, il aurait encore pu passer plusieurs jours enfermés sans qu’elle n’en sache rien.
Assez étrangement, elle lui en voulait plus de lui avoir caché quelque chose d’aussi capital que d’avoir emmené Anton de force dans ce monde. Non pas que cela ne l’eut pas mise hors d’elle s’il lui avait dit avant, par simple souci d’honnêteté envers elle. Mais il avait capturé Anton bien avant de lui devoir quoique ce soit, et même si elle ne pouvait jurer que cela signifiait qu’il ne l’aurait pas refait, même si cela ne justifiait absolument pas son acte, ce n’était au moins pas une offense envers elle, et lui était difficile de ne pas prendre les choses personnellement après les récents changements dans leur relation. Elle estimait être en droit d’attendre un peu plus de lui que de tels secrets. Quant à l’acte en lui-même, il semblait qu’elle ait bien reconsidéré ses priorités depuis quelques temps, car la seule chose qu’elle en retenait, c’était qu’au moins il était encore en vie. Une idée de Cora de plus, très certainement. Elle ressentit une pointe de peine pour Anton, qui n’avait fait que l’aider et s’était retrouvé embarqué dans toute cette histoire sans qu’il ait rien demandé. Elle pouvait imaginer sa confusion, miniaturisé, perdu dans un monde qu’il ne connaissait pas après avoir passé plusieurs jours enfermé contre son gré… probablement en colère contre l’espèce humaine qui lui avait une fois de plus montré ses pires aspects. Elle soupira. Au moins serait-il facile à retrouver. Le géant ne passerait pas inaperçu, et Storybrooke n’était pas une si grande ville. Et il la connaissait, elle osait même penser qu’il lui faisait confiance. Il l’écouterait, elle.

La déception, la colère et l’inquiétude étaient visibles sur le visage d’Emma, mais elle ne fit aucune remontrance au pirate. A en juger son comportement, elle n’avait pas besoin de lui faire la morale, même s’il était probablement plus blessé dans son ego que réellement empli de regrets envers le géant qui l’avait après tout retenu pendant dix heures contre sa volonté, sur ses ordres à elle. Un géant à qui il avait dérobé un haricot pour finalement l’enlever, lui. Elle serra les dents, mais reprit le contrôle d’elle-même rapidement et s’éloigna de lui avec froideur pour jeter le coton imbibé de sang. Sa plaie était désinfectée ; pour le sparadrap et le bisou, il lui faudrait repasser. Ce n’était pas comme s’il n’avait pas mérité ce coup après tout. Décidant de focaliser sa mauvaise humeur sur le problème qu’ils avaient sur les bras, elle finit par reprendre :

« Très bien. Je vais le retrouver, ce qui, par chance, ne devrait pas être trop difficile. Mais quoique que vous ayez prévu de faire de lui, je te conseille fortement d’oublier. Il est dorénavant sous ma protection, et s’il lui arrive quoique ce soit, je ferai en sorte que le responsable finisse lui aussi derrière des barreaux. »

Enonçant ces mots avec fermeté, elle s’empara de sa veste accrochée au porte-manteau, l’évitant délibérément du regard, et l’enfila avant de prendre les clés posées sur son bureau.

« Tu peux venir, après tout c’est ta responsabilité, et je suppose que deux paires d’yeux valent mieux qu’une. Mais c’est moi qui gère Anton, compris ? »

Elle se tourna cette fois pour jauger sa réaction, attendant son assentiment avant de faire quoique ce soit. Il était hors de question que le pirate s’approche une nouvelle fois du géant, cela ne ferait que le rendre fou furieux, et si elle voulait le raisonner, ce n’était pas comme ça qu’elle pourrait s’y prendre. Encore fallait-il résoudre le problème de ce qu’elle allait faire de lui – le ramener sur le bateau était inconcevable, et en même temps, elle-même ne pouvait pas vraiment lui offrir l’abri dont il avait besoin le temps qu’il s’habitue à ce nouvel univers : ils étaient déjà bien assez tassés comme ça dans l’appartement de Mary Margaret. Mais chaque chose en son temps : d’abord, elle devait le retrouver.

Emma n’était pas naïve, ne l’avait jamais vraiment été - la vie s’étant très tôt chargée de lui faire perdre toutes ses illusions - et estimait être aussi lucide qu’elle avait les pieds sur terre, ce qui lui épargnait bien des déceptions (et malgré tout, il lui arrivait encore d’être surprise). L’idée qu’un pirate puisse devenir un modèle de vertu à son simple contact ne lui avait pas même traversé l’esprit, et elle après tout était loin d’être blanche comme neige, elle aussi. Alors pourquoi une telle réaction ? Peut-être parce que même si elle n’y avait pas cru, elle l’avait secrètement espéré, et c’était bien sûr sans oublier le fait que ses sentiments altéraient quelque peu son jugement et sa capacité à prendre du recul. On est toujours plus déçu quand quelqu’un qu’on aime nous trahit que lorsqu’il s’agissait d’un ennemi. Que dire dans le cas improbable où cette personne était à la fois l’un et l’autre ?
Dans tous les cas, si cela ébranlait fortement les bases déjà pas bien solides qui avaient pu s’établir entre eux en terme de confiance (on aurait pu penser d’une femme capable de déceler le mensonge de la vérité qu’elle arriverait plus facilement à l’accorder, mais c’était tout le contraire en vérité), il était dans un sens préférable que cela arrive maintenant que plus tard. Emma n’avait pas encore pleine foi en le pirate – à raison, semblait-il – et il en était probablement de même de son côté. Rien d'irréparable n'avait ainsi été encore commis.

Elle avait comme dans l’idée que si c’était la première, ce ne serait certainement pas la dernière situation du genre avant qu’ils trouvent une résolution à leurs problèmes. Elle ne s’était pas attendu à ce qu’une fois les non-dits révélés, leurs sentiments exprimés, tout irait de soit entre eux. Il y avait encore un nombre important d’obstacles sur leur chemin, qu’il leur faudrait éliminer au fur et à mesure. Et ce n’était pas celui-ci qui la ferait tomber, même si la déception restait bien réelle. Non, ce n’était qu’un avant-goût de ce qui les attendait et affronter Hook ne lui faisait pas tant peur que d’affronter les autres. Si elle estimait avoir été seule pendant longtemps, ne vivant qu’à travers son propre code, ce n’était rien comparé aux trois siècles qu’il avait passé en tant que pirate préparant sa vengeance. Elle ne pouvait pas lui en vouloir de continuer à agir comme tel : s’il avait la volonté de changer c’était déjà beaucoup, elle le savait. Bien évidemment, cela n’empêchait pas sa colère – elle était humaine, et terriblement fougueuse – mais lui en tenir rigueur ne ferait pas avancer les choses. Pour le moment, et comme souvent quand la blonde était énervée, le mieux était simplement de la laisser se calmer toute seule. Elle était impulsive, et n’oubliait pas, mais fort heureusement, sa rancune n’était pas tenace une fois la confrontation passée. C’étaient celles qui n’avaient pas eu lieu qui la laissaient avec une rage féroce dans la poitrine, la consumant de l’intérieur. Une rage et une peine d’égale ampleur.

Le fait qu’elle ait été maintes fois trahie et abandonnée par le passé la rendait bien sûr plus vive à réagir à ce genre de situations, surtout en tenant compte de leurs précédents, mais la shérif avait toujours été caractérielle, et pouvait se montrer aussi logique et raisonnée qu’impétueuse et irréfléchie. La raisonner dans ce second cas de figure s’avérait rarement fructueux et risquait même bien souvent d’accentuer son emportement. Pour l’instant, sa meilleure solution était de se concentrer sur Anton. Une fois celui-ci en sécurité (ainsi que les habitants de Storybrooke), elle aurait au moins ce poids en moins sur les épaules et serait plus à même de réfléchir calmement. En espérant que le géant ne serait pas aussi buté qu’elle et qu’elle parviendrait à lui faire entendre raison. Elle se souvenait encore parfaitement de tout ce qu’il avait pu dire concernant la race humaine et après ce qui venait de se produire, avait comme l’intuition qu’il ne chercherait pas vraiment l’hospitalité auprès des habitants qui croiseraient son chemin.

Ce qui la préoccupait concernant Hook sur le long terme, ce n’était pas simplement cette… omission, ou ce qu’il avait bien pu faire à Anton (elle restait concentrée sur ce qu’il ne lui avait pas fait), mais le fait qu’il ne semblait en éprouver aucun remords. Elle n’avait pas besoin de croiser son regard pour voir qu’il était penaud, mais pas tant envers Anton qu’envers elle. Et si elle était blessée, et énervée contre lui pour lui avoir menti, c’était Anton la véritable victime de l’histoire. Tant qu’il ne prenait pas conscience de ses actes et de leur portée, comment pouvait-elle envisager quoique ce soit avec lui ? Elle ne pouvait pas le présenter à ses parents, encore moins à Henry… quel modèle serait-il pour son fils si un kidnapping lui semblait parfaitement normal ? Peut-être que dans la Forêt Enchantée, la fin justifiait les moyens, mais dans ce monde, il y avait des règles à respecter, des règles selon lesquelles Henry avait grandi et qu’elle comptait bien continuer à lui inculquer. Cet éternel débat interne lui donna presque le tournis, et elle se concentra sur ses gestes tandis que le pirate se relevait à son tour, répondant simplement :

« J'ai bien compris oui. »

Elle espéra qu’il disait vrai. Sans un mot, elle le guida jusqu’à sa voiture et monta aussitôt dedans, tournant la clé dans le moteur. Dans d’autres circonstances, elle se serait réjouie de découvrir la réaction du pirate face à sa coccinelle jaune, mais pour le moment elle était trop énervée pour apprécier sa perplexité lorsqu’il grimpa sur le siège passager. Elle démarra la voiture dans un silence pesant, prenant la route pour aller dieu sait où – commencer par les docks probablement, une fois là-bas les traces du géant ne devraient pas être trop difficile à suivre, mais la tâche était légèrement compliquée par toutes les voies bloquées suite au tremblement de terre et lui fallut opter pour un détour. Alors qu’elle hésitait à allumer la radio pour couper le silence qui régnait dans la voiture, sentant nettement le regard de Hook sur elle tandis qu’elle restait focalisée sur la route, il finit par reprendre la parole :

« Je sais que c'est trop tard pour dire ça, mais j'aurais pu aller voir Cora plutôt que toi pour retrouver ce géant. »

Emma se tourna très brièvement vers lui, haussant un sourcil qui semblait très clairement dire « Sérieusement ? C’est tout ce que tu as trouvé ? », mais pendant un temps, elle se contenta de serrer les dents et de surveiller la route, ses doigts se refermant imperceptiblement plus fort sur le volant. Après ce qui devait être une longue minute, elle finit par lâcher :

« Et tu espères quoi en disant ça ? Que je te félicite parce que tu n’as pas fait une connerie plus énorme encore que celle tu as déjà faite ? Etre venu vers moi, ce n’est aucunement un mérite, c’est juste la preuve que tu sais te servir de tes neurones. Tu sais aussi bien que moi que Cora aurait plus mal réagi encore et tu n’es pas assez idiot pour lui confier un tel échec alors que tu l’as déjà trahie une fois. Ton choix se résumait en fait à : qui crains-tu le plus ? »

Et bien sûr, surtout sachant à présent quels étaient ses sentiments pour lui, la réponse ne pouvait pas être Emma, et c’était sans même parler du fait que Cora était une puissante sorcière tandis qu’elle-même découvrait à peine ses pouvoirs et leurs limites – ce que Hook ignorait probablement, de plus. Pour être honnête, elle était même surprise que Cora lui ait assez fait confiance pour laisser le géant entre ses mains. C’était son ticket de retour, après tout, et Hook aurait très bien pu s’en servir sans l’attendre. A moins qu’il n’y eut autre chose ; cela ne ressemblait pas à la sorcière de lui faire ainsi confiance aveuglément. Peut-être comptait-elle sur Gold pour se débarrasser du pirate ; elle n’en aurait pas été surprise. Approchant enfin des docks, elle reprit avec plus de calme :

« Sans oublier que me mentir était une chose, mais aller voir Cora aurait été une véritable trahison. Et je crois que nous nous sommes assez mis des bâtons dans les roues par le passé comme ça. »

Elle jeta un coup d’œil vers lui en biais, puis ajouta :

« Si tu as quelque chose d’autre du genre à me dire, c’est le moment où jamais. Je dois pouvoir te faire confiance, Hook, je ne peux pas t’aider sans ça. »

C’était ce qu’il lui avait demandé après tout, non ? Qu’elle l’aide ? Et c’était ce qu’elle avait l’intention de faire, mais pour cela, il lui faudrait un minimum de coopération de sa part. Peut-être qu’il n’avait pas vraiment eu jusqu’ici sa chance de lui dire ce qui se passait, qu’il n’y avait pas eu le cœur, se doutant de sa réaction. Elle pouvait comprendre ça, dans un sens. Mais cette fois, elle lui tendait la perche ; il n’aurait pas deux fois cette excuse. Et plus vite ils pourraient passer à autre chose, mieux ce serait.

Conduire l’avait toujours apaisé. Elle aimait avoir un volant dans ses mains, voir la route défiler devant elle comme un ruban qui se déploierait à l’infini sous ses yeux, et sentir le cahotement régulier de la voiture tout en écoutant distraitement de vieux tubes à la radio. Il y avait quelque chose d’apaisant dans ces automatismes, un sentiment de liberté grisant tandis qu’elle roulait sans destination ni but précis, le plus souvent fuyant, laissant derrière elle une vie qu’elle allait recommencer ailleurs quelques mois durant avant de reprendre le même manège, encore et encore. Une éternelle fugue où c’était son passé qu’elle tentait de laisser derrière elle, mais en vain, puisqu’il finissait toujours par la rattraper et frapper à sa porte… assez littéralement, d’ailleurs.

Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, au contraire, elle n’avait qu’une envie : sortir en claquant la portière, planter le pirate là et aller prendre un ou deux verres de whisky dans le bar de la ville. Une décision pas très responsable ni très mature qui resta bien entendu au stade de pulsion. Le temps où Emma pouvait fuir lui semblait loin derrière elle. Des gens dépendaient d’elle, à présent. Elle avait des devoirs envers eux. Il fallait qu’elle assume son rôle, et qu’elle affronte sans ciller les obstacles qui se présenteraient sur sa route, car ils étaient encore probablement nombreux à venir. Son esprit bouillonnant avait cependant du mal à se focaliser sur une seule chose et si son attention était portée sur la route, on ne pouvait pas vraiment dire qu’elle inspectait les environs. Mais après tout, elle avait emmené Hook pour ça. Le hic étant qu’il n’arrangeait pas le problème. Il était aussi têtu qu’elle, et elle estimait en plus être en droit d’être en colère. Approchant des docks, elle se força à ralentir la vitesse et à scruter un peu plus les alentours. Il lui sembla deviner les traces de passage du géant en direction, fort heureusement, de la forêt. C’était probablement la seule chose qui lui rappelait son propre monde et une bonne façon de s’isoler des humains. Après tout, il était peut-être en colère, mais il n’avait plus la taille d’un géant, ni leur force, autrement dit, il était plus vulnérable, et après ce qu’il venait de vivre… probable que la confrontation n’était pas vraiment ce qu’il recherchait dans l’immédiat. Exhalant un léger soupir, elle suivit son instinct et prit la direction que semblait indiquer les poubelles éparpillées qui suggéraient que quelqu’un ou quelque chose était entré en collision avec.

« Je n'espérais rien, sauf peut être que tu comprennes la situation dans laquelle je suis. J'ai fait le choix de venir te voir, oui, c'était sans doute le meilleur. Mais tu ne connais pas Cora, moi si, et je peux t'assurer qu'elle ne m'aurait pas tué. Si elle avait voulu se débarrasser de moi, elle n'aurait pas attendu un de mes échecs pour ça et l'aurait fait avant. Sauf que là je lui ai donné une bonne raison de vouloir me tuer. »

Elle se retint de se détourner de la route pour lui décocher un regard incrédule. Certes, elle ne connaissait pas Cora aussi bien que lui, mais elle connaissait bien sa fille et les gens de leur espèce. Sans parler de le tuer, elle avait du mal à se représenter Cora comme protégeant les intérêts de ses alliés, sauf s’ils avaient encore quelque chose à lui apporter. Ce n’était pas exactement comme s’ils l’étaient par amitié indéfectible. Ils avaient trouvé chacun un intérêt dans cette alliance, un intérêt qui avait pris fin dès le moment où ils étaient arrivés à Storybrooke. A moins qu’il ne lui manquât certaines données, elle ne voyait pas bien ce que Hook pouvait encore apporter à Cora. L’inverse était déjà plus envisageable : Cora était une puissante sorcière et le pirate cherchait à détruire Rumplestiltskin, ce qui expliquait que de son côté il lui restât loyal. Mais Cora ? Peut-être que pendant vingt-huit ans elle n’avait pas tenté de se débarrasser de lui, mais tout ce temps elle avait eu besoin de lui. Ce n’était plus le cas. Et très franchement, elle devait reconnaître que la foi que Hook plaçait en elle la laissait un peu incrédule. Mais, elle devait l’admettre aussi, le fait que Cora eut été assez imprudente pour laisser le géant à l’entière disposition du pirate qui aurait ainsi pu partir sans elle à tout moment la laissait tout aussi dubitative, et à raison, puisqu’à présent, la sorcière venait de perdre un ticket retour. Et bien qu’Emma ne prit pas grand plaisir à prolonger sa visiter parmi eux, c’était un avantage considérable qui venait de basculer de leur côté. Ils pouvaient avoir une marge d’avance sur elle grâce à cela, ou, à tout le moins, un atout dans leur manche, ce qui n’était pas négligeable.

« Personne n'aime être trahi, reprit le pirate. Sauf qu'en l'état actuel des choses, personne ne peut me protéger de la fureur de Cora... Je doute de toute façon que les gens de cette ville me viennent en aide. C'est ma vie que j'ai mis en jeu pour t'avertir toi et récupérer ce géant. Alors un peu de reconnaissance n'aurait pas fait de mal, en effet. »

Emma laissa échapper un petit rire amer qui avait un je-ne-sais-quoi de presque hystérique, mais elle le laissa continuer :

« Que peux-tu contre Cora Emma ? C'est bien la seule chose qui m'aiderait pour l'instant. J'ai volé un plant de haricot magique à Anton, et Cora ne le sait pas. Je ne cache rien d'autre à caractère vivant dans mes cales si c'est ce que tu voulais savoir. Et je cherche à retrouver mon équipage. »

Tout en tournant dans une nouvelle rue, approchant cette fois de l’orée de la forêt où ils s’étaient retrouvés après l’arrivée du pirate en ville, Emma se sentit soudain tout particulièrement lasse et fatiguée. Il voulait qu’elle le protège de Cora, alors qu’il lui fallait déjà s’en protéger elle-même, et sa famille ? Elle secoua la tête, comme si elle avait du mal à croire ce qu’elle entendait.

« Très franchement, il va falloir faire mieux que ça pour obtenir ma gratitude, Hook. Tu viens dans mon bureau, tu m’annonces que tu as kidnappé et retenu Anton enfermé depuis ton arrivée, qu’il s’est échappé et que je dois t’aider à le retrouver puisque c’est notre problème bien que tu ne te sois pas donné la peine de m’en parler avant, et maintenant tu demandes de la reconnaissance ? »

Toujours concentrée sur la route, elle ralentit la voiture dans la rue déserte afin de bien prendre son temps pour observer les alentours, ouvrant légèrement les deux fenêtres au cas où elle entendait des bruits étranges qui pourraient lui confirmer la présence d’Anton. Son esprit, lui, continuait à filer à vive allure.

« Tu veux que je te dise une chose ? Pendant que tu étais assommé, au lac Nostos, Cora a tenté d’arracher le cœur de ma mère. Mais comme je me suis interposée, c’est le mien qu’elle a tenté de dérober. La mère, la fille, peu importe, après tout, hein ? Tout ce qu’elle veut, c’est revenir auprès de Regina, regagner sa confiance. Et, devine quoi ? La personne que Regina déteste le plus au monde, c’est Mary Margaret, et je ne dois pas être loin derrière. C’est nous qu’elle a dans le collimateur. Notre vie… la vie de ma famille est continuellement menacée que je suis arrivée à Storybrooke. Et crois-moi, j’ai plus que des raisons d’être inquiète aussi, parce qu’il n’y a personne pour protéger ma famille de ces deux sorcières non plus. »

Sa voix faiblit légèrement en songeant à toutes les fois où elle avait failli perdre son fils, sa mère, son père, où elle-même avait failli y rester, mais elle reprit d’une voix ferme :

« Mais en revanche, ce que j’ai, c’est du soutien. Mes parents, mes amis, les habitants de cette ville. Et ce soutien, tu l’as aussi. Parce que même si ça ne leur fera pas forcément plaisir, nous sommes une famille, et que tu le veuilles ou non, tu as commencé à en faire partie dès le moment où tu m’as dit que tu m’aimais. C’est peut-être bien peu, mais c’est bien plus que Cora ne t’apporteras jamais, ne l’oublie pas. »

Jetant un bref coup d’œil en direction de Killian, elle ajouta, avec plus de calme :

« En outre, Cora n’est pas obligée de savoir ce qui s’est réellement passé. Si tu y es amené, tu pourras toujours lui dire que j’ai découvert la présence d’Anton sur ton bateau et que je l’ai libéré, ce qui sera à peine un mensonge. »

Car oui, si elle l’avait découvert plus tôt, il était certain que le résultat aurait été le même : elle n’aurait jamais laissé Anton enfermé dans une cage comme un vulgaire animal. Et puis, c’était plausible, en admettant que le géant eut fait plus de bruit, elle aurait probablement pu l’entendre depuis les quais. En outre, un élément de plus contre elle, un de moins, ce n’était pas comme si cela risquait de faire la différence, même si elle devait admettre qu’au fond elle aurait préféré que Hook joue franc-jeu plutôt que d’avoir un pied dans chaque clan. C’était peut-être irrationnel mais cela lui donnait toujours l’impression, heureusement faible, qu’il se servait d’elle pour mieux retourner sa veste au dernier moment. Oui, elle avait envie de lui faire confiance, elle lui faisait confiance même, mais elle avait ses propres démons et ne risquait pas de s’en débarrasser comme ça. Les gens qui avaient prétendus l’aimer avaient été les plus cruels avec elle, c’était donc tout naturel qu’elle ne repousse pas le scénario où Hook finissait par la trahir. Après tout, elle venait de découvrir qu’il lui avait déjà caché quelque chose. Chassant ces idées de l’esprit, elle se contenta de murmurer :

« Garde l’œil bien ouvert, je suis sûre qu’il ne doit pas être loin… »

Il n’était pas difficile de comprendre comment fonctionnait le pirate. Oh, ce n’était pas dire qu’il était simple à comprendre, non. Mais ses motivations, ses préoccupations, elles, étaient aussi évidentes que le nez au milieu de la figure. S’il avait fait de la place à Emma dans sa vie cela ne s’étendait clairement pas à sa famille, et même la shérif était en quelque sorte encore sur la scelette, puisqu’il lui avait déjà fait des cachoteries. Elle ne pouvait pas lui en vouloir pour ça : elle était peut-être plus "entière" dans sa façon d’aimer, mais au fond elle ne pouvait pas lui reprocher d’être ce qu’il était. D’autant qu’il avait agit avant de lui devoir quoi que ce soit, quant au fait qu’il ne lui avait pas dit… si elle était parfaitement honnête avec elle-même, elle pouvait le comprendre aussi, surtout anticipant sa réaction : Emma tenait plus de son père que de sa mère de ce côté, et David n’était pas réputé pour sa patience. Placer ça lorsqu’elle avait été lui sur le bateau aurait été, comment dire ? Stupide, voilà. Quant à venir la retrouver juste pour lui dire « Au fait, Emma, j’ai oublié : j’ai capturé et kidnappé Anton, il est emprisonné sur mon navire depuis mon arrivée. Sinon, ça va toi ? Tu es radieuse aujourd’hui », c’était du  pur suicide également. Alors évidemment tout lui retombait sur la figure avec deux fois plus de violence à présent, et nul doute qu’elle aurait préféré qu’il lui en parle en dépit de tout, ne serait-ce que par souci d’honnêteté envers elle, comme preuve de confiance. Mais elle ne pouvait pas prétendre non plus qu’elle aurait agit différemment à sa place. Surtout si on considérait qu’il avait passé trois siècles à ne se soucier que de lui. D’une main, elle dégagea une mèche blonde de sa vue avant de la reposer sur le volant sans quitter la route des yeux. La combinaison de la conduite et de sa prise de recul commençaient enfin à faire effet, et la jeune femme sentit sa tension baisser d’un cran. Bien sûr, elle était toujours énervée, à n’en pas douter, mais dans l’immédiat elle ne risquait plus la combustion spontanée au moins. Et si cela faisait réagir le pirate, en bien ou en mal, et bien tant mieux, c’était le but après tout. Ils ne pouvaient plus prétendre être insensibles l’un à l’autre, ça impliquait donc un certain nombre de choses, un respect et une confiance mutuels, un comportement qui devait s’adapter à l’autre. Ils étaient forcés de rester dans leur coin à cause de leur situation délicate, mais cela ne signifiait pas qu’ils devaient agir dans leur coin. De cela au moins avait-il conscience. Après tout, il aurait pu ignorer Cora aussi bien qu’Emma et se charger de retrouver le géant tout seul. Tâche plus compliquée, certes, mais pas impossible. Il en avait sûrement vues d’autres.

A ses côtés, le pirate resta silencieux, et Emma réalisa que ce n’était probablement pas faute d’avoir quelque chose à rétorquer (lui ? jamais) ; il prenait sur lui pour ne pas envenimer les choses. Peut-être qu’à sa façon, il faisait de véritables efforts. Elle fut un peu plus surprise en revanche quand il ne trouva rien à répondre à son récit. D’accord, elle ne s’attendait pas exactement à ce qu’il se lance dans un tissu d’insultes contre la sorcière qui avait manqué lui voler son cœur – après tout, elle était encore en vie et jusqu’à preuve du contraire elle éprouvait encore des sentiments (trop, peut-être) – ni à ce qu’il lui demande un compte rendu complet de la façon dont elle s’en était sortie (elle préférait éviter le sujet magie pour le moment, ne sachant elle-même quoi en penser réellement, surtout considérant que Gold était plus ou moins devenu son professeur particulier), mais un tel manque de réaction l’étonnait tout de même. Soit il était vraiment fâché lui aussi, soit il réfléchissait à ce qu’elle tentait de lui faire comprendre, à savoir que sans minimiser sa prise de risques ou la valeur qu’il avait pour elle, il était autant en danger qu’elle et quasiment n’importe qui d’autre à Storybrooke. Elle espéra qu’il s’agissait de cette seconde solution.

Il ne sembla pas vraiment convaincu par ses propos concernant le soutien que sa famille lui apportait par extension (et elle pouvait le comprendre, d’autant qu’il avait déjà rencontré sa mère et que le courant n’était pas extrêmement bien passé), mais Emma savait qu’elle disait vrai. Il lui suffirait d’un mot de sa part pour que sa famille le défende. Et en vérité, même pas : ennemis ou non, les Charmings ne se débarrassaient pas des gens qui les dérangeaient. Ce n’était tout simplement pas leurs méthodes. Ils auraient déjà pu tuer maintes fois Regina s’ils l’avaient souhaité. Même elle. Ce jour où elle l’avait sauvée des flammes. Il aurait suffit qu’elle ne fasse rien. Elle n’aurait pas eu à se salir les mains. Mais cela n’avait jamais été une option. Aussi Hook n’avait-il rien à redouter de sa famille. Sauf peut-être un poing de David s’il tentait quoique ce soit contre elle.

« Je ne l'oublie pas non. »

Elle ne le sentait toujours pas convaincu, mais elle n’insista pas, hochant simplement la tête. Les mots étaient vains dans ce genre de situation, et elle le savait. Il finirait bien par s’en rendre compte lui-même tôt ou tard. Et peut-être devait-elle songer à en parler à sa famille – l’idée ne l’enchantait pas, mais ils avaient le droit de savoir ce qui se passait, surtout si cela pouvait avoir un poids dans leur situation actuelle concernant Cora et sa fille.

Mais pour Emma, la question Cora était un faux problème concernant Hook : la sorcière avait tout simplement disparue depuis quelques semaines et Emma avait dans l’idée que lorsqu’elle reviendrait enfin, elle aurait autre chose en tête que de punir ou non Hook. Dieu seul savait ce qu’elle préparait avec sa fille depuis son arrivée. Mais tant que son attention était centrée sur le dit plan, elle ne l’était pas sur autre chose. Ils pouvaient ainsi gagner du temps.

L’idée de porter l’accusation sur la shérif ne parut pas enchanter Killian qui resta une fois de plus muet. Elle n’aurait probablement pas approuvé non plus, eussent les rôles été inversés. Mais elle n’était pas exactement une princesse en détresse, elle savait se défendre. Elle avait affronté un dragon, bon sang ! Et cependant, n’était-ce pas tout naturel de s’inquiéter pour la personne que l’on aime, indépendamment de ses forces et faiblesses ? Elle soupira légèrement. Ils étaient dans une situation indémêlable qui se compliquait plus à chaque minute qui passait, semblait-il.

« Je suis désolé. Désolé de ne pas t'avoir dit la vérité concernant Anton. Et désolé de rester indécis et de n'avoir pensé qu'à moi jusque là. »

Interloquée, Emma quitta momentanément la route du regard pour se tourner vers le pirate, dans une recherche instinctive de mensonge dont elle ne décela nulle trace. Elle ne s’était pas franchement attendue à ça et l’idée d’attendre des excuses ne lui aurait jamais traversé l’esprit, pour la simple raison qu’elle n’aurait jamais pensé en obtenir. Mais elle les accepta, et sa colère retomba d’un coup. Elle savait qu’il lui en avait coûté de prononcer ces mots. Elle se doutait aussi qu’il n’avait plus eu de comptes à rendre à personne depuis très longtemps – si tant était qu’il en eût jamais eu – et qu’il détestait probablement ça autant que n’importe qui. Avant qu’elle ne puisse répondre, il ajouta soudainement :

« Arrête-toi, il y a quelque chose. »

Obéissant instinctivement, elle freina et suivit son regard. Et en effet, il y’avait bien quelque chose. Tandis que Hook quittait déjà le véhicule, elle en fit de même après avoir coupé le contact afin d’inspecter la trouvaille du pirate. Elle n’eut pas besoin de s’y pencher longtemps pour reconnaître le tissu qui composait la tenue d’un certain géant – et pour avoir passé dix heures en sa compagnie, Killian non plus, à n’en pas douter. Les traces, lourdes et nettes dans la terre à moitié boueuses de la forêt ne trompaient pas non plus.

« Bon, plus qu'à suivre les traces. »

Elle acquiesça, et ils se dirigèrent cette fois dans les bois, suivant sans grandes difficultés les signes qui révélaient la direction prise par Anton. A en juger le chemin qu’ils faisaient, il avait un peu couru au hasard dans la forêt. Le silence était revenu, simplement ponctué par quelques craquements de branches et piaillement d’oiseau, mais cette fois-ci, il était considérablement moins lourd de tension qu’avant. Après quelques minutes, Emma se tourna vers le pirate, cherchant ses mots pendant un instant :

« Je suis désolée moi aussi, j’ai réagi de façon un peu disproportionnée. J’ai l’impression que rien n’est jamais simple ici, et pour être honnête, c’est usant. Je ne sais pas comment tu as pu passer trois siècles ainsi... Trois mois, et je suis déjà au bout du rouleau. Enfin. J’apprécie que tu sois venu vers moi », conclut-elle avec calme après une courte pause.

La tête baissée, le regard à nouveau rivé au sol à la recherche de traces, Emma se demanda quand, pour la dernière fois, quelqu’un s’était excusé d’une erreur commise envers elle, et ne parvint pas à trouver la réponse.  A croire que le pirate était le seul à s’efforcer de réparer les pots cassés. De la réparer, elle. Peut-être était-ce trop facile. Peut-être aurait-elle dû être inflexible et intouchable, peut-être n’aurait-elle pas dû révéler combien cela la touchait, combien elle était vulnérable. Mais le mal était déjà fait, non ? Killian savait. Il voyait à travers sa carapace aussi clairement que si elle n’en portait pas. Elle avait un temps pensé que jamais elle ne pardonnerait ses parents, jamais elle ne pardonnerait Neal, ses familles adoptives, August, Regina, Gold, et la longue liste de ceux qui lui avaient fait du mal, volontairement ou non, mais en vérité, plus elle avançait, et plus elle parvenait à s’émanciper du pouvoir qu’ils avaient eu sur elle, sur sa vie. Peut-être était-ce grâce à sa famille retrouvée qu’elle apprenait le pardon – cela ne l’aurait pas surprise, mais elle avait le sentiment que c’était plus que ça. C’était une question de tourner la page. Move on. Passer à autre chose. Et c’était ce qu’elle faisait. C’était ce que Hook faisait ; ses excuses en étaient la preuve. Ils essayaient. Tant bien que mal. Des excuses n’effaçaient pas tout, non, mais concernant Emma, c’était déjà beaucoup. Hook était le seul à toujours revenir pour elle. Le seul à tenter de réparer ses erreurs. Et qu’elle y accordât tant d’importance en disait long sur elle. Peut-être plus que les excuses, c’était le fait de reconnaître qu’il lui avait causé du tort qui la soulageait, c’était cela, plus que le reste qui l’avait offusquée, blessée. Combien avaient prétendument agi pour son bien en l’abandonnant, niant se faisant toute la peine et la solitude qu’elle avait endurée, car c’était dans son intérêt ? Elle n’avait jamais voulu de ça. Elle en avait assez de personnes qui décidaient à sa place de ce qui était mieux pour elle. Elle refusait d’être le garde-fou de leur culpabilité, le témoin de leur bonne conscience, elle refusait tout simplement de leur servir de prétexte. Ce que Neal avait fait, ce que ses parents avaient fait, ils l’avaient fait pour eux, et elle l’acceptait, mais elle aurait aimé qu’ils aient la même honnêteté envers elle.

Celle du pirate était à double tranchant, comme la vérité l’était toujours, mais pour Emma, c’était une bonne chose. C’était la raison pour laquelle elle avait appris à lui faire confiance. C’était cette façon de lui dire les choses sans crainte de la heurter, telles qu’elles étaient, sans les enjoliver. Oh, c’était un beau parleur, à n’en pas douter. Mais au moins ne la traitait-il pas comme une poupée fragile. Il voyait ses faiblesses, mais il s’adressait à ses forces, et c’était quelque chose qu’elle n’avait jamais connu. Quelque chose qu’elle chérissait.

Elle tourna les yeux vers lui brièvement, échangeant un regard lourd de sens avant qu’il ne lui réponde :

« Ne pas venir aurait été la pire erreur. Et j'en ai déjà assez fait comme ça. »

Elle ressentit presque une vague de soulagement à ses mots. C’était là, la différence avec Neal. Neal avait fui, mais Killian admettait ses responsabilités, et y faisait face. Elle esquissa un timide sourire, qui gracia ses lèvres l’espace de quelques secondes avant de s’élargir lorsque le pirate prit sa main et y déposa un baiser. Elle s’arrêta momentanément, le laissant faire sans le quitter des yeux, presque déçue lorsqu’il la relâcha, et elle reporta son attention sur la forêt.

« Attention c'est glissant. »

Il reprit sa main dans la sienne, et cette fois, elle l’y laissa, l’agrippant fermement pour ne pas qu’il la libère. Le moment n’était pas vraiment aux échanges tendres, et probable qu’il ne le serait pas de sitôt, mais elle prendrait ce qu’elle pourrait prendre. Evitant de poser ses bottines sur les endroits boueux, elle ne releva pas la tête lorsqu’il reprit :

« Ta réaction n'était pas disproportionnée. Dans l'histoire, tu n'as pas de répit, alors ne t'excuses pas. J'aurais du trouver une solution qui ne t'impliques pas plus. »

Emma secoua la tête. Elle appréciait réellement le sentiment, mais elle ne pouvait pas non plus fuir ses responsabilités. Oui, elle était fatiguée, et oui, elle aurait aimé que les choses se déroulent sans difficultés pour une fois, mais c’était son rôle d’aider les gens, et à plus forte raison celui qu’elle aimait.

« Je suis shérif, cela fait partie de mes devoirs, si je ne suis pas prête à les assumer, alors je ne mérite pas ce poste… » Elle ralentit le pas, et redressa la tête, dévisageant le pirate sans lâcher sa main. « Et tu dois pouvoir compter sur moi. Tu m’as aidé quand nous étions dans la forêt enchantée, ici, nous sommes dans mon monde, et c’est à moi de te rendre la pareille. »

Omission faite bien sûr du petit interlude « je t’emprisonne, tu m’emprisonnes », dont elle était, après tout, l’initiatrice.
Un craquement se fit entendre un peu plus loin, et ils s’arrêtèrent aussitôt, se tournant dans la direction d’où le son provenait. Quelqu’un se déplaçait dans la végétation et à en juger les bruits, c’était beaucoup plus grand qu’animal. Ils avaient trouvés Anton, à n’en pas douter.

« Tu es sûre de vouloir y aller seule ? »

Elle retourna son regard sur Hook, visiblement peu enthousiaste à l’idée de la laisser partir, et hocha la tête avec certitude. Elle pouvait deviner et comprendre son inquiétude, mais elle n’était pas justifiée. Elle ne craignait rien d’Anton. Ce n’était pas un monstre, et elle lui faisait confiance. S’il n’avait rien oublié de ce qui s’était passé de l’autre côté, elle n’avait aucune raison de penser que ce n’était pas réciproque.

« Oui, il vaut mieux, dans ton intérêt comme dans le mien. Je sais qu’il ne me fera pas de mal, mais je ne peux rien garantir te concernant. »

Elle eut un moment d’hésitation, puis se hissa légèrement sur ses bottes pour embrasser Hook du bout des lèvres – un baiser bref, mais doux, puis, à contrecœur, relâcha sa main et se tourna vers le bruit qui commençait déjà peu à peu à s’éloigner.

« La prochaine fois, n’attend pas un tel prétexte pour venir me voir, captain. »

Et sur ces mots, elle s’enfonça dans la forêt.

Spoiler: