Le Roi des Morts.

Il était des légendes qui savaient encore passionner le cœur du jeune prince. Ou plutôt, il en demeurait un bon nombre qui pouvait le fasciner mais que jamais son esprit stoïque et fier n'aurait voulu laisser quiconque lire ou deviner sur son visage placide. Mais il y avait une histoire parmi tant d'autre qui excitait encore plus sa curiosité et, malgré tout, sa cupidité. Il se souvenait très bien avoir lu dans les rayonnages poussiéreux de la bibliothèque du château des récits aussi merveilleux qu'inquiétants sur un homme qui commandait la Mort et qu'on appelait parfois « Roi des morts ». Et plus le temps passait, moins il ne pouvait taire le désir profond et égoïste qui le poussait à rencontrer un tel personnage s'il put être possible qu'il eût existé.

C'est ainsi que Kay avait redoublé d'efforts et lors de ses quelques voyages dans le pays n'avait jamais cessé de glaner quelques informations ou plutôt une multitude de rumeurs qui continuaient d'exciter sa curiosité morbide et de faire de ce fameux souverain un véritable mythe tombé plus ou moins dans l'oubli que le Prince des Neiges entendait bien déterrer pour satisfaire sa soif de savoir et ses intérêts personnels qu'il avait assimilés à ceux de sa reine.

Finalement, il lui semblait avoir un début de piste, maigre, mais satisfaisant qui lui permettrait de tuer le temps intelligemment en fixant un but à ses nombreux voyages sur les Terres Septentrionales. Il soupçonnait même sa mère de connaître certaines parcelles de la vérité qu'il guettait tant sur la véritable nature de ce Roi des morts, mais il ne l'avait jamais trop questionnée sur le sujet, manœuvrant de son côté avec une discrétion plus travaillée qu'à l'ordinaire. Il avait rencontré un dragon qui, ayant fait plus cas de son or que de sa sagesse, connaissait tout de même très bien le Nord dans lequel ils vivaient et, bien qu'en osmose avec les antres de la terre, n'était parvenu à entendre une région particulière du pays, comme si l'ombre de la Mort l'empêchait de chanter.

Sous couvert d'une énième partie de chasse, Kay s'en allait donc fièrement vers cet endroit désolé que lui avait indiqué sans vraiment le vouloir les conseils de la majestueuse créature. Il neigeait comme toujours et le paysage semblait figé dans un éternel hiver à la grande joie de la famille royale. Le prince sourit en voyant que le chien qui l'accompagnait, pourtant la plus robuste et agressive bête de sa collection, commençait à baisser craintivement la tête alors qu'ils approchaient d'une zone de la toundra étrangement pauvre en végétaux comme en minéraux. Quelques pas de plus, la bête s'enfuyait en couinant. Le voyageur sévère ne pensa même pas à le rattraper pour le punir de sa lâcheté et continua d'approcher, trop satisfait de découvrir un endroit dont l'étrangeté lui avait jusqu'alors échappée. Il n'eut pas même un pincement au cœur pour la perte de son plus bel animal. Son cheval lui aussi n'était en rien rassuré et il dut concéder que s'il voulait poursuivre sa route, il lui faudrait le laisser aussi. Il l'attacha donc soigneusement à un arbre en caressant doucement son museau d'un geste mécanique afin de le rassurer. Le destrier, habitué à ce réconfort maladroit et froid, apprécia tout de même l'intention, ou parut l'approuver et s'apaisa quelque peu. Kay continua seul.

Le vent du Nord lui-même semblait fuir cet endroit car il émanait de ces lieux une impression de vide. Le monde semblait encore plus figé qu'à travers les glaces du palais de la Reine des Neiges. Sans la mauvaise odeur que l'on aurait pu donner à la Mort, on pouvait quand même dire que ce coin respirait pleinement sa présence par son absence totale de vie, de mouvement. Le Roi des Morts ne manquait nullement à sa terrible réputation...

Alors qu'il approchait d'un amas de pierres tranchantes, son épée jamais loin de sa main, le sol neigeux céda sous le poids du prince qui s'enfonça alors dans les entrailles de la terre. Autour de lui régnait à présent, en maître tout puissant le néant. Kay crut alors avoir fait l'expérience de la mort que tous craignaient tant. Mais ne sentant guère son heure venue, il appela sans aucune trace de peur dans sa voix qui resta aussi suave que glacée : « Est-ce donc là que tu te terres, Roi des Morts ? » Son cœur vibrait étrangement, animé par tous les récits qui avait nourri son imagination.

Le Roi des Morts.

Dans l'antre béante où ne perçaient que faiblement les rayons du pâle soleil de l'hiver, le prince ne voyait guère plus loin que le bout de son nez hautain. Il lui semblait pourtant qu'une ombre se rapprochait lentement. Il avait alors clamer bien haut ses intentions comme si les lieux pouvaient être dotés d'une conscience et entendre sa requête. Une voix venue de nulle part trancha finalement le silence et l'obscurité : « Le Roi est mort... » Kay se retourna vivement. Il avait l'impression que le son venait de ce côté et n'aimait guère l'idée qu'on puisse le prendre par surprise en se faufilant derrière lui. Comment le Roi des morts pouvait-il mourir ? Le jeune homme contracta sa mâchoire de déception. Mensonge. Ce ne pouvait être qu'un mensonge ! « Et que lui voulez-vous au juste... » entendit-il sur sa gauche. Il suivit les échos qui venait chatouiller son orale mais dut finalement se rendre à l'évidence que la voix venait de partout et de nulle part à la fois, ne cessant de rebondir sur les parois rocheuses et sombre du gouffre dans lequel il était tombé. Le petit jeu, bien qu'il venait seulement de commencer, l'agacé déjà au plus haut point. Le prince répondit avec fermeté pour signifier, tant bien que mal, qu'il n'était nullement intimidé par un peu d'obscurité. Il avait laissée sa peur du noir avec son enfance innocente. Du moins, il le pensait...

« Le Roi est mort. Vive le Roi ! fit-il en haussant les épaules. Je requiers une audience auprès du maître de ces lieux, sur le champ. »

La nuit noire continuait à lui faire face et le silence pesant n'avait rien pour rassurer. Kay ne pouvait s'empêcher d'espérer que la chose qui s'adressait à lui pourrait le conduire à l'objet de ses désirs. L'éventualité d'un échec ne lui avait pas encore traversé l'esprit et pourtant il commençait à en savourer l'aigreur.

« N'y-a-t-il aucune lumière ici ? soupira-t-il plus pour lui-même que pour la présence fantomatique qui paraissait l'avoir oublié. Vous ne vous cognez jamais lorsque vous marchez ? »


« J'attends..., coupa-t-il avec impatience en se raclant la gorge. »

L'idée de rester ainsi seul dans le noir à ne rien faire ne le passionnait guère, du moins pas de cette manière. La nuit et le sommeil ne le dérangeaient nullement bien qu'il souffrît d'insomnie. Il aimait aussi ce glisser dans l'ombre des draps de sa reine pour lui faire l'amour et savourer chaque parcelle de son corps gelé s'embraser sous le poids de son désir. Mais il n'aimait pas cet endroit où l'atmosphère ne témoignait que l'idée de vide absolu et d'absence de lumière qui lui donnaient des dimensions presque surnaturelles et inquiétantes.