Matthys Myers & Emma Swan

Avec un soupir résigné, Emma ferma la porte du pied derrière elle, puis lança négligemment ses clés qui atterrirent bruyamment sur son bureau. Sans même prendre la peine de retirer sa petite veste de cuir rouge, elle y déposa également une petite boîte en carton puis se tourna pour s’appuyer contre le meuble de sorte à faire face à l’unique cellule dont disposait le poste de shérif et croisa les bras en jaugeant des yeux son occupant.

De toutes les personnes qui méritaient leur place derrière ces barreaux (en tête, Cora et Regina et probablement Gold et Hook pas loin derrière), Matthys n’était pas franchement sa priorité numéro un. Loin de là, même. Mais puisque les quatre autres étaient soit indisponibles (comprendre introuvables), soit que risquer sa vie pour les mettre dans une prison dont ils pourraient s’échapper d’un claquement de doigt ne lui semblait pas être un très bon usage de son temps, la cellule était restée largement inoccupée depuis son retour du monde des contes. Ce n’était pourtant pas l’envie de s’en servir qui manquait, bien au contraire ; ça la démangeait énormément, et dieu seul savait combien de soucis elle aurait pu s’épargner si elle avait trouvé un moyen de les enfermer dans cette petite cellule. Dans le monde dans lequel elle avait grandi, on ne réglait pas ses comptes avec la magie, on laissait ça à la justice, et elle, en tant que shérif, était représentante de la justice. Mais bien évidemment, quelques textes de loi tendaient à paraître très dérisoires aux côtés de certaines malédictions et autres puissants sorts.

Qu’avait-il donc fait pour atterrir là ? Pour être honnête, Emma ne savait pas bien. C’était la mère de Rebekah qui était venue chercher la shérif au poste la veille au soir, juste au moment où elle s’apprêtait à le quitter pour aller trouver un repos bien mérité entre les bras de Morphée. La jeune femme avait l’impression que sa tête allait exploser, et elle n’avait pas enregistré grand-chose de toutes les paroles que son interlocutrice avait débité, mais en avait compris assez pour saisir les grandes lignes : Matthys était le mal incarné, il venait de le prouver une nouvelle fois, et c’était sa responsabilité en tant que shérif d’agir et de faire quelque chose au plus vite, sans quoi d’autres mesures seraient prises et de là avaient suivies quelques menaces pas très déguisées à son encontre. Oui, quelque chose dans ce goût là. Ce qui s’était réellement passé dans les détails, Emma n’en avait pas la moindre idée. D’accord, l’un des clients du bar avait effectivement hérité d’un bel œil au beurre noir, mais cela ne signifiait pas que Matthys n’en était pas à l’origine, ni qu’il n’était pas mérité, et l’homme en question avait semblé trop soûl pour qu’elle puisse l’interroger ce qu’elle n’avait, pour être honnête, de toute façon pas l’intention de faire. Elle était habituellement plutôt du côté des tourtereaux qu’elle défendait régulièrement contre la mère un peu-slash-beaucoup envahissante de Rebekah, mais elle avait assez de problèmes sur le dos – et des bien plus graves avec ça – pour ne pas avoir cette fois envie de tenir tête à une vieille peau dans le seul but de défendre quelqu’un qu’elle savait de toute façon ne pas être si innocent que ça. Ce n’était pas pour rien qu’elle se reconnaissait autant en Matthys et elle le savait : il n’avait pas que des airs de voyou. Ce n’était pas quelqu’un de mauvais dans le fond, non, mais il était loin d’être irréprochable. Ce qu’elle ignorait, en revanche, c’était qu’il l’était peut-être encore moins qu’elle ne l’avait initialement pensé. Les allusions que la mère de Rebekah laissa planer quant à un certain commerce pas tout à fait légal dans lequel il serait plongé la laissèrent dubitatives, ne sachant pas trop bien quoi en penser ; elle n’aurait pas fait l’erreur de le croire au-dessus de ça, mais elle n’était pas sûre non plus de pouvoir se fier à aucune parole de la sorcière concernant le jeune homme. Si cela devait cependant s’avérait vrai, il était peut-être temps qu’elle ait une discussion avec lui.

D’une façon ou d’une autre, elle n’avait eu ni assez d’énergie pour tenir tête à la mégère ou son gendre, et encore moins la volonté pour. Après s’être longuement demandé ce qu’elle allait faire de lui, elle avait opté pour la solution la plus simple et qui lui garantissait le moins de prise de tête, et avait emmené Matthys au poste pour le mettre derrière les barreaux. Dans le cas où il n’avait rien fait, elle le protégeait au moins de sa belle-mère et s’assurerait qu’elle leur ficherait la paix à tous deux, dans le cas où il ne l’était pas, cela lui donnerait un peu à réfléchir - elle avait donc pris sa décision sans même lui laisser l’occasion d’en discuter ou de plaider une quelconque indulgence de sa part et était partie aussitôt après pour aller tomber comme une masse dans son lit et s’endormir d’un sommeil lourd de cauchemars. Mais à présent que la nuit était passée, et qu’elle avait les idées un peu plus claires (bien que toujours sur les nerfs), elle ne pouvait plus se contenter de repousser les problèmes et il lui fallait faire preuve d’un peu plus de professionnalisme. Elle n’avait de toute façon légitimement pas le droit de le retenir plus de 24h.

« Bien dormi ? » demanda-t-elle à son prisonnier, non sans une certaine trace d’ironie, sachant combien la cellule pouvait être inconfortable pour y avoir elle aussi déjà passé une nuit – celle de son arrivée, en vérité. « J’ai pour toi des donut’s, et les clés de ta liberté, mais avant de te laisser sortir, je vais profiter de ta docilité forcée pour te poser quelques questions, et je veux que tu me répondes franchement : qu’est-ce qu’il s’est passé hier soir, et qu’est-ce que c’est que cette histoire de vente de drogues ? »

Si son ton restait plaisant, il n’en était pas moins suffisamment ferme pour faire comprendre au barman qu’elle ne plaisantait pas. Elle voulait bien être gentille et se ranger de son côté (elle n’avait pas eu besoin de lui pour constater que la mère de Rebekah n’était pas une femme très… chaleureuse, à défaut d’un autre terme plus évocateur), mais elle n’allait tout de même pas l’encourager dans une direction qu’elle n’approuvait pas. Elle avait fait suffisamment d’erreurs dans sa propre jeunesse pour savoir qu’il y avait certaines limites que même lui n’avait pas envie de franchir, et puisqu’il n’était pas question que de lui mais aussi de sa petite amie, elle comptait bien veiller sur les intérêts de cette dernière. Quitte à endosser le mauvais rôle, pour une fois.

L’expression d’Emma s’adoucit quelque peu lorsqu’elle nota la grimace de Matthys en se relevant, probablement courbaturé de son petit somme sur la couche de la cellule qui n’offrait pas vraiment plus de confort que le sol lui-même (à supposer qu’il ait réellement réussi à dormir, ce que sa mine ne suggérait pas vraiment). Mais ce n’était pas le but après tout ; c’était une prison, pas une chambre d’hôtel, même si à en juger le nombre de personnes qui y avaient déjà séjournés depuis son arrivée dans la ville, il était peut-être sérieusement temps de songer à en faire un business : à ce rythme là elle pourrait s’offrir une retraite tranquille aux Bahamas avant la fin de l’année. Ah, si seulement elle pouvait retourner à cette époque où elle pouvait encore prendre ce genre de rêves au sérieux sans avoir à se rappeler qu’à présent, sa priorité numéro un était simplement de rester vivante, et de s’assurer que sa famille aussi. Tu parles d’une régression.

Cependant la grimace sur le visage du jeune homme disparut rapidement au profit d’un petit sourire espiègle tandis qu’il s’approchait des barreaux.

« Si c'est ça que je dois faire pour pouvoir t'avoir le matin m'apportant mon petit déjeuner... En fait non, je passe. »

Bien, s’il trouvait encore le moyen d’en plaisanter, c’était que la nuit n’avait pas été si rude que ça, malgré le ton légèrement amer sur lequel il avait conclu. Elle ne pouvait pas lui en vouloir ; elle avait fait probablement plus de prison que lui, et à un plus jeune âge (bon sang, elle avait accouché dans une prison), mais comme disait le proverbe, ce qui ne nous tuait pas nous rendait plus fort, et c’était vrai en ce qui la concernait, même si elle était fatiguée de sans cesse repousser les limites.

« Wow wow belle demoiselle, t'es très mignonne avec tes donuts mais il me semble qu'on a sauté quelques étapes avant le passage des confessions sur l'oreiller. »

Peut-être que finalement, une deuxième nuit ne lui ferait pas de mal. La blonde se retint de lever les yeux au ciel – sa rencontre avec un certain pirate l’avait en quelque sorte immunisée à ce genre de sous-entendus, et puis, elle commençait à connaître le bougre aussi. Cette pensée en amena aussitôt une autre : Hook et Matthys ne devaient jamais se rencontrer. Ou en tout cas, elle devait s’assurer de ne pas être là si ça devait arriver. Elle n’osait imaginer ce que cela pouvait donner entre eux, mais ils seraient clairement invivables. Un séducteur à la fois lui suffisait amplement.

« Ecoute Emma. Soirée de merde, nuit de merde. Est-ce qu'on pourrait pas plutôt se poser tranquillement au Granny's pour discuter ? Laisse-moi au moins sortir de la cage et on parlera en trinquant ! C'est pas comme si je pouvais prendre mes jambes à mon cou et m'envoler pour le Mexique. »

Emma lui offrit un de ses sourires qui disaient « bien essayé, mon pote, mais ça ne marchera pas comme ça » dont elle avait le secret, puis décroisa les bras pour s’approcher à son tour de la cellule. Il essayait de gagner du temps, elle n’était pas dupe. Si cela devait signifier quelque chose, c’était clairement qu’il avait plus à cacher qu’elle ne le pensait. Après tout, elle avait déjà connaissance de ses petites activités de voleur et ils savaient tous les deux que ce n’était pas pour ça qu’il se retrouvait ici, car si elle lui faisait régulièrement comprendre qu’il ne pourrait pas toujours s’en tirer ainsi, elle fermait toujours les yeux. Et si dans un sens il avait raison – il ne risquait pas d’aller loin, ne serait-ce que parce qu’il ne pouvait franchir la limite de Storybrooke -, elle savait également qu’une fois libéré, elle perdrait le peu de prise qu’elle avait sur lui. La prison avait au moins le mérite, en général, de rendre les gens plus coopératifs. Et elle n’aurait vraiment pas dit non à un peu de coopération pour changer – tirer les vers du nez à tout le monde devenait fatiguant, à la longue.

« N’abuse pas de ma gentillesse. Je suis passée par là avant toi, tu sais. Et même si je n’aime pas particulièrement te voir derrière ces barreaux, on sait toi et moi que ce n’est pas totalement injustifié. »

Ce qui était vrai : quoiqu’il se soit passé la veille au soir, il n’était de toute façon pas tout blanc et il pouvait s’estimer heureux si c’était sa première nuit en prison. Elle poussa un nouveau soupir et se passa une main dans les cheveux.

« Ne me force pas à jouer la méchante shérif, j’ai bien assez d’autres problèmes sur les bras pour ne pas y ajouter un voyou récalcitrant, sans oublier que j’ai largement de quoi t’inculper si je veux m’assurer que tu ne ressortes pas de cette cellule avant un bon moment, et comme tu le sais, rien ne ferait plus plaisir à Gothel. »

Elle fit un pas de plus, à présent assez proche pour être à portée de bras : mais elle ne craignait pas grand-chose, elle n’avait pas les clés sur elle, et puis malgré tout, elle faisait confiance à Matthys. Il savait que c’était une alliée, et il savait également qu’ils préféraient tous deux qu’il en reste ainsi. Sa menace n’était pas totalement creuse – elle avait réellement les moyens de faire de sa vie un enfer si elle le souhaitait – mais justement, elle avait d’autres chats à fouetter et persistait à vouloir donner sa chance au jeune homme. Une chance qu’on ne lui avait pas donnée. Un jour peut-être, elle arrêterait de vouloir remettre tout le monde sur le bon chemin. Mais après tout, cela ne semblait pas totalement inefficace avec Hook, alors pourquoi bouder une solution qui portait ses fruits ?

« Alors je retente. Première question : que s’est-il réellement passé hier soir ? Attention, un donuts est un jeu. »

Autant commencer en douceur, songea-t-elle ; la seconde partie risquait d’être encore moins plaisante si ses craintes s’avéraient fondées.

Visiblement, son intransigeance aurait pour prix la bonne humeur de Matthys qui soupira en affichant une moue boudeuse, lui jetant un regard penaud qui aurait probablement marché sur elle si elle n’avait pas rapidement appris à y résister grâce à Henry. Il avait beau être encore haut comme trois pommes, il avait déjà compris certains principes élémentaires de la manipulation – il avait de qui tenir, il fallait bien le dire. Elle n’avait donc pas vraiment eu d’autres choix que de s’immuniser très vite pour ne pas avoir à lui céder tout ce qu’il voulait – non pas qu’il fût un réellement exigeant ni capricieux, elle n’avait vraiment pas à se plaindre avec lui pour être honnête. Mais il vivait très mal le fait d’être mis à l’écart et avait la fâcheuse manie de vouloir s’immiscer dans toutes ses affaires – et de le faire parfois contre son gré d’ailleurs – ce qui, surtout avec l’arrivée de Cora en ville, n’était pas vraiment une bonne idée. Elle avait déjà manqué le perdre avec le tremblement de terre, hors de question qu’elle ne prenne plus de risques. Mais évidemment, étant le fils de sa mère, il vivait assez mal l’inactivité. C’était un mal pour un bien, se rappela-t-elle. Comme ici.

Elle suivit des yeux Matthys qui avait repris sa place sur la couche dans une attitude à la fois docile et dépitée.

« Si ça peut te faire plaisir, tu fais très bien la méchante flic. »

A ces mots, Emma ne put s’empêcher de sourire d’un air amusé. Matthys n’était pas tellement plus jeune qu’elle, et en prenant en compte la malédiction, il avait presque le double de son âge, mais il savait encore très bien se comporter comme un gosse quand il le voulait, et en cet instant il avait vraiment tout de l’enfant à qui l’on avait refusé sa glace. Mais en même temps, elle n’aimait pas particulièrement le voir comme ça et avait simplement hâte d’en finir au plus vite.

Elle se pencha légèrement dans sa direction, comme sur le point de lui faire une confidence, et rétorqua avec calme et assurance :

« Tu n’as pas encore vu la méchante flic. »

Et le pire ? C’était vrai. Elle avait été chasseuse de primes avant d’arriver ici, elle en avait vu d’autres. Des hommes qui se pensaient coriaces et la regardaient de haut parce qu’elle était une femme. Des ordures de la pire espèce, des gens du quotidien, des cas sociaux, des vieux libidineux… et pas nécessairement que des hommes d’ailleurs (même s’il fallait le reconnaître qu’ils représentaient une large majorité). Peu d’entre eux s’étaient rendus les mains tendues, l’air défait. Il avait fallu se battre, s’acharner, et certains avaient développés des ressources insoupçonnées pour tenter de lui échapper. Mais Emma était l’une d’entre eux, elle était une survivante, elle avait payé ses crimes (paradoxalement en se faisant avoir pour un qu’elle n’avait pas commis) et elle était là pour s’assurer qu’ils en feraient autant. Aucun ne lui avait jamais échappé. Lorsqu’elle voulait être méchante, elle pouvait l’être. Et là ? Elle n’essayait même pas encore. Non pas qu’elle en eût l’intention d’ailleurs.
Il avait beau afficher son sourire désabusé, elle n’était pas totalement idiote. Il n’était pas tranquille. Et elle n’était pas un bourreau, pas quand elle pouvait l’éviter.

Poussant un nouveau soupir, il se coucha sur le matelas, l’ignorant superbement : une façon, elle n’en doutait pas, de lui faire comprendre que puisqu’elle ne lui accordait pas un minimum de dignité en le libérant, il ne ressentait pas le besoin de la gracier de son attention. Bien. C’était probablement mérité. Il reprit la parole tandis qu’elle tirait la chaise derrière son bureau pour s’y asseoir et lui faire face.

« Première réponse : Il s'est passé ce qu'il se passe tous les soirs au Rabbit's Hole. Les gens boivent et ça dérape. Deux gars ont commencés à être un peu trop bruyants et je les ai jetés dehors. Un fourré au chocolat, s'il-te-plait. »

Emma hocha la tête d’un air entendu. Elle ne s’attendait pas vraiment à une autre réponse. Sur ce coup là, même si elle avait voulu une confirmation, elle s’était doutée que c’était simplement une tentative de plus de Gothel de l’accabler de tous les maux, en espérant que l’un d’eux, dans le tas, ferait un jour suffisamment mouche pour lui nuire durablement. Elle était assez… protectrice envers sa fille, oui. Il travaillait dans un bar, et ça n’aurait pas été un vrai bar s’il n’y avait jamais eu de bagarres. Si Gothel n’avait pas insisté pour qu’elle « exerce ses devoirs », elle ne se serait jamais déplacée jusqu’au Rabbit’s Hole pour une histoire pareille.

« Bien, tu vois, ce n’était pas si difficile. »

D’un geste souple, elle récupéra le carton de pâtisseries sur son bureau et lui tendit un donuts au chocolat à travers les barreaux, tandis qu’elle-même mordait dans un simple donuts au sucre. Elle adorait les donuts (elle adorait toutes les sucreries en vérité – il n’était pas si difficile de l’acheter quand on la connaissait bien ; elle ne savait jamais dire non à un pot de crème glacée), mais à présent, elle avait du mal, lorsqu’elle en mangeait, à ne pas penser à Graham lui en offrant tout en avouant que parfois, les clichés se vérifiaient. Elle devait avouer qu’il lui manquait. Revenant à Matthys, elle prit son temps pour finir son donuts (qui malgré tout disparut bien vite) et se lécha le sucre des doigts avant de reprendre, posant la boîte sur son bureau :

« Ce qui nous mène à ma seconde question. Tu es un dealer, oui ou non ? »

Emma ne devait pas être la seule à avoir une faiblesse pour les sucreries, à en juger la façon dont son prisonnier s’était jeté sur le donuts pour le dévorer avec un grand sourire. Au moins, il ne boudait plus, ce qui était déjà un progrès considérable. Et elle avait encore assez de pâtisseries dans la boîte pour s’assurer qu’il garderait le sourire toute la journée s’il le fallait. Elle-même en avait bien besoin, même si ça ne la réveillait pas autant que le café ni ne la consolait aussi bien que l’alcool. Enfin, la consoler… c’était subjectif. Disons que cela lui permettait de noyer ses ennuis mais elle était assez grande pour savoir que ceux-ci ne revenaient qu’avec plus de force et qu’à part hériter d’une méchante gueule de bois, elle ne parviendrait pas à grand-chose. Sans oublier que si traîner dans un bar lorsqu’on était une jeune femme seule et sans attaches pouvait être convenable, c’était beaucoup moins vrai pour une mère qui assumait en plus le rôle de shérif de la ville. Mieux valait s’en tenir aux sucreries, et tant pis pour son poids. Ce n’était pas comme si elle ne compensait pas largement en activités physiques, à force de courir à droite à gauche. Elle s’était même mise à l’escrime depuis peu !

Bien évidemment, si le bonhomme était soudainement de meilleure humeur, cela ne signifiait pas pour autant qu’il était plus coopératif. Pas au sens où il avait décidé d’appliquer le « réponds franchement » à la lettre en tout cas.

« Dealer ? D'où ça sort ça encore ? Oh laisse-moi deviner. Gothel. »

Un ton léger, faussement détaché, et un regard qui lui disait comment-peux-tu-donc-douter-de-mon-innocence avec un peu de tu-sais-bien-que-cette-vieille-peau-ne-me-veut-que-du-mal : Emma devait lui reconnaître qu’il était bon. Il n’avait probablement pas le choix, mais ça ne retirait rien à son mérite : c’était un excellent menteur, il aurait même pu être un très bon comédien en vérité. Malheureusement pour lui, elle était un détecteur de mensonges ambulant, et il en faudrait un peu plus pour la duper.

Elle croisa les jambes avec impatience tout en l’écoutant, mais ne l’interrompit pas, le laissant continuer, comme pour lui donner sa chance, et ce même si elle voyait très clair dans son petit jeu, assez pour comprendre qu’il n’allait faire que s’enfoncer :

« Voyons... J'étais un voleur, un moins que rien, un menteur, un ivrogne, un rustre... J'imagine qu'elle a dû se lasser. Bientôt elle m'accusera d'être hermaphrodite ! Vraiment, Emma. Est-ce que tu vas m'enfermer à chaque fois qu'elle trouvera une nouvelle inspiration ? »

A ces mots, la jeune blonde haussa un sourcil. Il essayait de jouer la carte de l’allié : il savait qu’elle ne portait pas Gothel dans son cœur et comptait probablement sur l’amitié qu’elle leur portait pour le sortir de cette mauvaise passe en fermant une fois de plus les yeux. Mais Emma était persistante et si elle pouvait passer l’éponge sur certaines choses, même elle avait son seuil de tolérance.

« Elle ne se trompe pas complètement sur tous les points, et tu le sais aussi bien que moi. Et puis ne commence pas à te victimiser, c’est la première fois que je t’enferme, Matt. Ça ne serait même pas arrivé si Gothel avait choisi un meilleur moment pour intervenir. Considérant toutes les fois où je vous ai couverts, toi et ta belle, je dirais que tu t’en sors plutôt bien. »

Elle était peut-être décidée à lui tirer les vers du nez de gré ou de force, mais ça ne faisait pas de mal de rappeler qu’elle était toujours été de leur côté ; Gothel n’avait encore rien gagné et comme elle avait pu le constater à plus d’une reprise, ce n’était pas une femme à laquelle on tenait si facilement tête. Mais ça n’avait jamais vraiment empêché Emma Swan de faire ce qu’elle voulait.
Décroisant et recroisant les jambes, elle se pencha légèrement en avant une fois de plus et ajouta :

« Tu ne le sais peut-être pas encore, mais je sais reconnaître quelqu’un qui ment comme personne. Et si tu étais Pinocchio, je pense que tu aurais plus de chances de récupérer les clés de ta liberté avec le bout de ton nez que de me convaincre, là. »

Une blague qui n’était plus si drôle maintenant qu’elle savait que Pinocchio existait réellement, mais enfin, si elle ne pouvait pas faire ce genre de références à Storybrooke, où donc ?
Reprenant un air plus sérieux, elle le pointa du doigt.

« Alors cesse de faire le malin et donne-moi une réponse claire. Un oui ou un non suffira. »

S’adossant à nouveau à sa chaise, elle s’autorisa à prendre un second donuts avant d’ajouter d’un air détaché :

« Et au passage : l’hermaphrodisme n’est pas un crime. »

Très franchement, à ce stade, pouvoir magique ou non, Emma aurait été tout particulièrement naïve si elle n’avait pas encore compris que Matthys fuyait sa question. Il tournait autour du pot et tentait de gagner du temps pour l’éviter : pour la jeune femme, cela ne pouvait jamais signifier qu’une seule chose. Une personne innocente n’avait rien à cacher, après tout. Si elle persistait à vouloir lui arracher la vérité malgré tout, c’était simplement pour avoir la confirmation définitive de quelque chose qu’elle aurait mieux aimé ne pas découvrir. C’était peut-être aussi un test, une façon de vérifier jusqu’à quel stade elle pouvait lui faire confiance. La réponse semblait être : pas beaucoup. Elle s’y était attendue ; après tout ils ne se connaissaient pas tant que ça et c’était surtout pour Rebekah qu’elle le couvrait. Elle avait peut-être été du mauvais côté de la justice pendant un temps, mais elle ne l’était plus, et ses propres erreurs ne justifiaient pas celles des autres. Tout au plus, elles les rendaient compréhensibles ; elle se mettait parfaitement à la place de Matthys. Mais s’il n’y avait pas eu la jeune femme, elle n’aurait pas fermé les yeux sur ses petites activités officieuses. D’une façon ou d’une autre, elle n’était plus la Emma de dix-sept ans. Elle avait des responsabilités, et la farouche volonté de les assumer. Si elle avait pu se reprendre, il le pouvait aussi.

« Le célèbre pouvoir magique. »

Emma fronça les sourcils à son ton narquois. Elle commençait à être habituée à ce qu’on ne la croit pas – Neal ne l’avait jamais cru, et il avait été l’amour de sa vie (ou tout du moins, l’avait-elle pensé) – mais ici, à Storybrooke, où l’on rencontrait des phénomènes bien plus extravagants, cela la laissait toujours dubitative. Les dragons, ok, mais le détecteur de mensonge humain, no way ? C’était d’une logique infaillible. Elle ne prit pas la peine de répondre à la moquerie. Il y avait peu de choses dont elle était sûre ; mais elle n’avait jamais douté de son don. Maintenant qu’elle savait qu’elle détenait des pouvoirs moins que jamais.

« La longueur de mon nez me convient très bien, c'est peut-être pour ça que je ne mens jamais. »

Cette fois, la blonde ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel. Elle appréciait l’humour de Matthys, vraiment, mais là ? Il ne faisait que lui faire perdre son temps et elle commençait réellement à se dire que peut-être elle pouvait le laisser tourner en rond dans sa cage encore un peu. Elle avait largement de quoi s’occuper en attendant, et il y avait un millier d’endroits où elle aurait aimé être plutôt qu’ici. A savourer ses récentes retrouvailles avec son fils, par exemple : elle n’avait pas pu beaucoup profiter de lui depuis son retour à Storybrooke. Etrange que ce soit en se battant pour être avec lui qu’elle s’en refusait le plus la possibilité.

Elle était sur le point de se lever et de laisser là en lui disant qu’elle reviendrait lorsqu’il serait prêt à parler, mais il la devança, s’approchant des barreaux à travers lesquels il passa ses bras pour se donner un appui. Il la sonda du regard puis lâcha un rire nerveux. Le temps des plaisanteries était enfin passé.

« D'accord. Voilà ta réponse… Oui. »

Ugh. Emma émit un petit grognement mi-agacé mi-dépité en laissant retomber sa tête en avant, comme si elle n’était plus qu’une poupée dont on venait de couper les ficelles. Un rideau de cheveux blonds voila son visage tandis qu’elle restait immobile et silencieuse pendant quelques secondes avant de se relever d’un bond félin pour assaillir la porte de la cellule, passant sa main à travers les barreaux pour le prendre par le col et l’amener vers elle d’un air furibond.

« Merde, Matthys, tu penses à quoi ? Je me compromets en te couvrant, je te demande d’y aller mollo sur le vol, et toi, non seulement tu continues, mais en plus tu distribues de la drogue ? Tu cherches les emmerdes, c’est pas possible ! »

Elle n’avait pas besoin d’avoir des yeux partout pour savoir qu’il ne se contentait pas d’un peu de vol à l’étalage une fois de temps en temps : il suffisait de prendre en compte toutes les plaintes de cambriolage qu’elle recevait. Oh, c’était fait dans les règles de l’art, pas de problèmes là-dessus. La plupart des gens ne se rendaient même pas immédiatement compte qu’il leur manquait certaines choses. Bien sûr, en conclure immédiatement qu’il était l’auteur de toutes ses petites effractions était probablement un peu hâtif, et elle n’avait pas pour habitude de sauter aux conclusions, mais la coïncidence était un peu énorme. Et puis, qui de mieux qu’une voleuse pour reconnaître un autre voleur ?

« Tu sais ce que ça veut dire, faire profil bas ? Ça veut dire, ne pas se faire remarquer, et c’est une attitude particulièrement intelligente à adopter quand quelqu’un t’as dans le collimateur ! Tu es en train de fournir toutes les raisons à Gothel pour qu’elle fasse de ta vie un enfer sans qu’elle ait même à bouger le petit doigt ! Pense un peu à Rebekah, bon sang ! Est-ce qu’elle… ? »

Non, question stupide, bien sûr qu’elle n’était pas au courant. Et ce n’était pas Emma qui irait lui dire une chose pareille. Pas question d’être celle qui lui volerait ses illusions.
Elle le relâcha brusquement, frappant du plat de la main sur un barreau avant de faire un pas en arrière.

« C’est quoi le problème ? L’argent ? Tu ne vas pas me dire qu’entre ton boulot et tes larcins tu as vraiment besoin en plus de dealer ? Alors quoi ? C’est la montée d’adrénaline à chaque fois que tu fais un truc illégal ? Parce que si c’est ça, crois-moi, tu vas en avoir pour tes frais. »

La menace était creuse, mais même Emma n’en avait pas conscience. Que pouvait-elle faire, réellement ? L’enfermer pour de bon, piétiner le cœur de Rebekah et observer la réussite de Gothel ? Elle n’était pas si cruelle, bon sang. Elle avait juste envie de le secouer, de vraiment le secouer. Tant qu’ils étaient dans ce monde, ils devaient en suivre les règles et si la magie avait toujours un prix, le crime aussi.
Au fond, ce n’était pas tant le fait qu’il soit dealer qui la choquait. C’était quelque chose qu’elle désapprouvait moralement, plus que le vol qui au fond, ne faisait que des dégâts matériels, tandis que la drogue… et bien, il suffisait de voir Jeff, pas vrai ? Qui était père, nom de dieu. Mais là, c’était là que le bât blessait pour la jeune femme. Les gens pouvaient bien se foutre en l’air si cela leur faisait plaisir, mais elle ne supportait pas lorsque d’autres personnes étaient concernées, des personnes qui pouvaient tomber avec. Peut-être parce qu’elle-même était déjà tombée. Et qu’elle s’était relevée seule.
En l’occurrence, il y avait Rebekah, et la jeune femme ne méritait pas ça – pas tant Matthys lui-même qui, elle n’en doutait pas, l’aimait réellement et elle continuait de penser que ce n’était au fond pas un mauvais bougre - mais la façon désinvolte dont il risquait de tout détruire d’un seul faux pas. Gothel l’avait à sa merci ; un shérif moins compréhensif qu’elle n’aurait sûrement pas eu les mêmes égards.

Elle soupira en passant une main sur son front puis reposa son regard sur lui.

« Qu’est-ce que je suis censée faire de toi, maintenant ? »

Si pendant un instant elle avait cru réellement pouvoir le remettre à sa place en le secouant, ne serait-ce que verbalement, elle s’était très clairement trompée. Il semblait, au mieux pas très concerné par la situation, au pire franchement dédaigneux. Il pensait peut-être que parce qu’il ne s’était encore jamais fait attraper la main dans le sac cela signifiait qu’il en était définitivement à l’abri ? Oui, c’était ce qu’elle avait cru aussi. Mais les choses ne se passaient pas toujours comme on le voulait. Oh, elle ne remettait pas en question sa discrétion et son efficacité, mais qu’étaient ces deux choses à côté d’une confiance trompée ? Elle n’avait pas fait de faux pas, elle n’en avait pas eu besoin. Si l’assurance du jeune homme l’insupportait c’était parce qu’elle revoyait la sienne, sa confiance en elle, en Neal, et la façon dont elle avait été réduite à néant, broyée en une poignée de secondes qui avaient suffit à lui voler ses certitudes, son avenir et son bonheur. Elle ne voulait pas qu’il vive la même chose. Elle ne voulait pas que qui que ce soit vive la même chose et elle ne pouvait peut-être pas sauver tout le monde, mais elle pouvait lui venir en aide, à lui. Même s’il estimait probablement qu’il s’en passait très bien et qu’il n’avait pas besoin d’elle. Peut-être même était-ce vrai. Mais elle était shérif, et même lorsqu’elle décidait de ne pas se mêler de la vie des gens, eux décidaient de l’en mêler malgré elle, comme Gothel l’avait fait la veille au soir, et elle n’avait plus qu’à faire de son mieux pour régler les situations et calmer les malentendus.

En l’occurrence, ce n’était pas un franc succès. Elle pouvait lire la colère naissante sur son expression, difficilement masquée par ses efforts pour garder son sang froid, et se demanda si les choses se passeraient de la même façon s’il n’était pas derrière les barreaux tandis qu’elle assumait le rôle de geôlière. Ce n’était pas nécessairement une réponse qu’elle avait envie de connaître, réalisa-t-elle. Mais elle le provoquait, après tout, et elle n’aurait sûrement pas mieux réagit à sa place – encore qu’elle continuait de penser que cela lui pendait au nez depuis un certain temps. Tandis qu’il se recomposait une expression plus calme, il tenta un peu d’humour, mais le cœur n’y était clairement pas.

« Tue-moi ? »

Ha, fucking ha. Emma lui décocha un regard noir. Ne me tente pas, songea-t-elle avec force, même si c’était plus une façon pour elle de se défouler (même mentalement) et de se calmer les nerfs qu’autre chose. Pour peu, elle aurait été réellement prête à échanger leurs places. Se retrouver en cellule aurait au moins signifié qu’elle n’avait plus à se préoccuper des problèmes des autres et dieu savait combien c’était une idée alléchante.

« Enferme-moi, envoie-moi à travers la frontière de la ville pour mettre le moi amnésique en prison, cloue-moi au pilori au milieu de la ville ou libère-moi ? Emma tu me demandes mais j'ai clairement pas mon mot à dire là dedans. »

Il n’avait pas tort. Elle ne lui avait pas vraiment posé la question à vrai dire ; elle avait simplement réfléchi à voix haute, elle se doutait qu’au fond pour lui la réponse serait simplement quelque chose de l’ordre du « rend-moi ma liberté et laisse-moi vivre ma vie comme je l’entends, je me démerdais très bien jusqu’à ce que t’arrives ». Mais ce n’était pas exactement comme si c’était elle qui s’était piquée d’une soudaine envie de le foutre en taule avant d’aller se coucher non plus. Elle se demanda comment les choses se seraient passées avec Graham, mais probable que ce dernier ne se serait de toute façon pas rendu compte de grand-chose en vérité : il avait été le jouet de Regina et elle imaginait sans peine que son rôle de shérif s’était en réalité limité à lui obéir au doigt et à l’œil. Elle-même n’y aurait probablement vu que du feu, n’eût été son propre passé et son petit doigt magique.

« Mais avant votre condamnation, shérif, j'aurais quelques dernières volontés ! Un donut à la crème et vous pouvez donner celui au fromage à Gothel, celui-là est franchement dégueulasse. »

Bon sang, il ne prenait vraiment rien au sérieux hein ? Le fait qu’il soit si insouciant face à toute la situation n’arrangeait pas vraiment les choses, mais à la plaisanterie, un peu malgré elle, Emma sentit un peu de la tension qui l’habitait retomber, et dissimula un très léger sourire en prenant soin de ne pas le regarder alors qu’elle avait recommencé à faire les cent pas. Elle se convainquit que c’était parce qu’elle n’aimait pas non plus les donuts au fromage.

« Emma ? »

La blonde se tourna pour croiser son regard, ses traits s’adoucissant légèrement au ton soudain plus vulnérable de Matthys. Le doute se lisait cette fois sur son visage ; réalisait-il qu’il risquait de ne pas s’en sortir comme ça, ou tentait-il simplement de l’amadouer.

« Est-ce que je dois m'inquiéter ? Parce que... Si c'est le cas, I have to start working on my apologies. Et j'ai peur que... Qu'avec toute cette merde, ça va me prendre un moment... Enfin. »

La shérif passa une main dans ses boucles blondes en soupirant.

« Ne me confond pas avec Regina, par pitié. »

Elle se dirigea vers son bureau, s’empara des clés, et sans plus attendre, alla ouvrir la porte de la cellule qui sortit de ses gonds avec un petit déclic grinçant.

« Gothel n’a pas de preuves pour t’inculper, je ne peux donc pas te retenir sous surveillance plus de 24h. Tu es libre. »

Cela ne faisait pas encore vingt-quatre heures, et elle avait mieux que des preuves, elle avait une confession, mais Emma n’avait pas l’intention de le retenir de force et tant que Gothel n’avait rien de plus concret à lui présenter que des accusations lancées en l’air, elle pouvait le relâcher sans se compromettre, elle ne dérogeait à aucune loi.
Tout en maintenant la porte ouverte, elle ajouta :

« C’est ton problème si tu estimes que tout ça vaut la peine de mettre tout ce que tu as en danger, et je ne peux pas t’en empêcher… » Techniquement incorrect ; elle pouvait. « Mais tu ne pourras pas continuer à lui mentir éternellement, et elle ne mérite pas ça. Si tu dois des excuses - et des explications - à quelqu’un, c’est à elle. »

Quelque chose passa très brièvement dans ses yeux, mais elle cilla rapidement, comme pour repousser des mauvais souvenirs.
Elle, c’était Rebekah bien sûr. Emma ne voulait pas qu’elle pâtisse de ses goûts en homme qui la poussaient à se tourner vers des bad boys. Elle n’était pas vraiment en situation de la juger, mais c’était précisément pour ça qu’elle avait envie de mettre Matthys en garde. Il n’était pas Neal, et il n’était pas Hook non plus, mais même s’il ne voulait pas de mal à la jeune femme (ce dont elle était convaincue), elle savait aussi que l’enfer était pavé de bonnes intentions et que ses parents, Neal, August et bien d’autres « n’avaient eu que son intérêt en tête » en agissant comme ils l’avaient fait. Cela n’avait rien changé au fait qu’ils l’avaient tous abandonnée. Les décisions de Matthys avaient, qu’il le veuille ou non, un impact sur Rebekah. Elle espérait qu’il en avait conscience.

« J’ai envie de te donner le classique avertissement où je t’explique que si tu lui fais du mal, je te casse les doigts un à un avant de m’en faire un collier, mais je crois que tu t'en doutes déjà. Un donuts ? »

Elle lui tendit la boîte ouverte, où, par chance (elle en avait pris un de chaque), l’attendait encore un donuts à la crème. Il y avait dans ce geste quelque chose d’hésitant, comme une offre de réconciliation incertaine, mais aussi l’affirmation de ce qu’elle n’avait cessé de lui dire en dépit de la situation : elle était de son côté, et avait envie d’y rester, mais cela ne dépendait que de lui.

La cellule ouverte, Emma soupçonna un instant que Matthys prendrait ses jambes à son cou sans demander son reste. C’était très probablement ce qu’elle aurait fait à sa place, pour être honnête, et elle ne lui en aurait donc pas voulu d’en faire autant. Mais il resta là, l’air incertain, comme s’il s’attendait à un coup tordu de sa part dès le moment où il aurait mis le pied hors de sa prison. Elle devait paraître plus intimidante, ou plus retorse qu’elle ne le pensait, car cela ne lui avait pas traversé l’esprit un seul instant. Elle ne jouait pas ainsi avec les gens. Elle lui avait mis la pression, oui, aussi bien pour obtenir de lui autre chose que de simples mensonges – elle estimait qu’il lui devait au moins la vérité, qu’elle la devinât déjà ou non – que parce qu’elle espérait malgré tout le pousser un peu dans le droit chemin, mais au bout du compte, excepté quelques courbatures et une conversation déplaisante, elle ne pouvait pas vraiment prétendre lui infliger quoique ce soit. Et il avait eu des donuts en compensation. Il pouvait s’estimer heureux. Dans ce monde, selon les codes qu’elle avait appris à respecter, il aurait été bon pour moisir en prison pendant plusieurs années. Personne n’avait eu avec elle la compréhension qu’elle avait avec lui. D’autant que si elle avait été dans de meilleures dispositions la veille, elle aurait comme d’habitude remballé Gothel vite fait bien fait, aurait échangé un clin d’œil avec Matthys et serait partie après avoir profité d’un de ses cocktails gracieusement offert par la maison, ou quelque chose dans ces eaux là, et l’affaire aurait été rapidement oubliée. Mais malgré les efforts qu’elle déployait pour le cacher, elle n’était jamais qu’humaine et elle faisait de son mieux pour garder un certain équilibre entre la vie normale que Storybrooke continuait à mener en parallèle des évènements complètement abracadabrantesques qui se déroulaient dans sa vie. Très franchement, elle aurait été prête à enfermer son propre père si cela avait pu lui assurer que le temps d’une soirée, juste une soirée, on la laisserait en paix.

« Je ne lui mens pas. Je... J'en parle pas, c'est tout. Elle a autre chose à penser que ce que je fais de mon temps libre. Elle n'a pas besoin d'explication et des excuses... Je sais que je lui en devrais, toujours, juste... Pas maintenant. On est... On est heureux, tu comprends ? »

Le mensonge par omission, le meilleur ami de toute personne qui a quelque chose à cacher. Mais pour avoir été trop souvent laissée dans l’ombre ainsi, Emma avait tendance à ne faire aucune différence entre les deux, même si elle-même en usait régulièrement (elle était bien contente que ses parents ignorent certaines choses à son sujet, et s’assurait que les choses restaient ainsi tant qu’elle n’était pas décidée à leur en parler).
Elle acquiesça néanmoins parce que oui, elle comprenait. L’envie de préserver certaines choses en les gardant dans une bulle à part plutôt que de prendre le risque de voir tout s’effondrer. Mais le risque était multiplié au cas où, malgré tout, cette bulle éclatait, et les retombées pouvaient être alors encore plus cruelles. Il lui suffisait de repenser à ce qu’elle avait dit à Henry concernant son père, et à les confronter à l’âpre vérité s’il venait à la découvrir (ce qui était plus que probable avec le retour de Neal dans les parages) pour s’en rendre compte. Il allait lui en vouloir, et elle n’aurait d’autre défense que d’avoir voulu sacrifier la vérité sur l’autel du bonheur. Une piètre excuse, oui, surtout pour la jeune femme qui plaçait la confiance et l’honnêteté au-dessus de tout, mais sur l’instant le mensonge lui avait paru d’autant plus inoffensif que les chances qu’il découvre la vérité étaient minimes, et elle s’était dit qu’elle avait encore quelques années devant elle avant d’avoir à lui dire ce qu’il en était vraiment. On ne pouvait pas vraiment attendre d’elle qu’elle se révèle être une mère parfaite en quelques semaines alors qu’elle avait abandonné son enfant dix ans plus tôt, si ?

« Ouuh j'ai peur ! »

Emma roula des yeux avec un mélange d’exaspération et d’amusement. Elle retrouvait là le Matthys qu’elle connaissait. Se retenant de lâcher un « tu devrais » sarcastique (elle estima qu’elle en avait assez fait dans le registre menaces, et surtout, elle savait qu’il avait autant qu’elle, pour ne pas dire bien plus, à cœur le bien-être de Rebekah, ce n’était donc pas vraiment utile d’en rajouter) et replaça le carton de donut’s sur le bureau.

« Donc... Je suis libre. Et... Tu ne vas rien dire et rien faire ? »

Le doute se refit une place sur ses traits tandis qu’il tenait son donuts comme si celui risquait à tout moment de lui exploser à la figure. Emma écarta les bras et les laissa retomber lourdement à ses côtés avec défaitisme.

« T’as tout compris, p’tit génie. Tu vas sortir d’ici et continuer ta vie, je vais rester et continuer la mienne, et on fera tous deux comme si rien ne s’était jamais rien passé. Tu es un grand garçon et pour le moment, tu es très franchement le dernier nom sur ma liste de "Most Wanted" - si tant est que tu y aies une place. J’espère juste que tu sais ce que tu fais… et qu’à l’avenir, tu éviteras de me cacher ce genre de choses, parce que je ne peux pas être de ton côté si tu n’es même pas honnête avec moi, et crois-moi, on me fout bien assez de bâtons dans les roues comme ça. »

Elle s’appuya une nouvelle fois contre son bureau en poussant un petit soupir, puis pointa du doigt le donuts que tenait toujours Matthys :

« Il n’est pas empoisonné, tu sais. »

Une étrange métaphore de la situation. Sa remise en liberté n’était pas non plus un cadeau empoisonné, mais il semblait douter de l’un autant que de l’autre. Y était-elle réellement allée trop fort ? Peut-être qu’elle était encore moins douée dans ses relations sociales qu’elle ne l’avait pensé. Si c’était le cas, elle était vraiment foutue.

Le soulagement de Matthys était plus que visible, il était quasi palpable, mais son large sourire était contagieux, et Emma y répondit un peu malgré elle, se sentant un peu plus légère à présent que cette histoire était réglée (bien réglée ? ça restait à voir). C’était toujours un poids de moins sur ses épaules, et elle préférait que cela se finisse ainsi – même si face à Matthys elle semblait plus défendre les intérêts de Rebekah, qu’elle connaissait peut-être mieux, elle en aurait probablement fait autant avec la jeune femme et elle n’avait pas plus envie de voir souffrir l’un que l’autre. A tout à fait être honnête, elle était sûrement plus proche de Matthys à cause de son passé qu’elle ne le serait jamais de Rebekah, mais son amitié pour elle n’en était pas moins sincère.

« Ha Emma ! Je veux t'embrasser sur la bouche ! Mais bien sûr, on gardera ça pour une autre vie. »

Non décidément, entre les paroles charmeuses et les clins d’œil il faudrait un jour qu’on lui explique ce qui se passait dans la Forêt Enchantée pour que les hommes qui y étaient nés soient tous séduisants et parfaitement conscients de ce fait. Ce qui était sûr, c’était que l’excès de modestie ne devait pas les étouffer. Mais Emma rétorqua avec un sourcil haussé et un sourire qui lui disait qu’il n’avait plutôt pas intérêt à essayer, même si c’était un simple jeu : elle savait qu’il n’en pensait rien. On pouvait lui reconnaître bon nombre de torts, mais de ce qu’elle en savait, l’infidélité n’en était pas un, et elle n’aurait pas douté de lui dans ce domaine.

Il la prit tout de même dans ses bras, et sous la surprise (elle était certaine de ne jamais s’habituer à une quelconque marque d’affection qui n’avait pas pour but de la mettre dans le lit de quelqu’un et n’était pas intéressée de façon générale), Emma mit un certain temps de réagir avant de lui rendre l’embrassade.
Sa bonne humeur retrouvée, il mordit à pleine dent dans son donuts, ajoutant d’un ton moqueur :

« Ah j'avais presque oublié ! Ahh... le goût de la liberté. Eh bien... Comme rien ne s'est passé ce soir, je suis toujours là. Je serais ravi de t'aider, comme toujours, mais plus encore après ce qu'il ne s'est pas passé aujourd'hui. Les forces de l'ordre c'est pas mon truc, on l'aura comprit. Maaiiss... Si madame le shérif ne veut pas trop se salir les mains... »

Même si elle rejetait à chaque fois ses offres du même ordre – souvent énoncées sur le ton de la plaisanterie mais, Emma le savait, pas totalement insincères, la shérif en prenait bonne note. On n’avait jamais trop d’alliés, et il arriverait peut-être un jour où elle aurait besoin de lui et accepterait sa proposition. En attendant, elle n’était pas là pour lui refiler le sale boulot, et elle n’avait pas franchement envie de le faire plonger plus que ce n’était déjà le cas non plus. Elle ne considérait pas qu’il lui devait quoique ce soit, elle n’était pas Gold et ne comptait pas les faveurs rendues, elle s’appuyait simplement sur l’amitié qu’il y avait entre eux ; car c’étaient ce que faisaient les amis, non ? S’entraider ?

« Oh et bien sûr, si tu veux un peu de poudre magique tu sais qui chercher. Spécial discount pour toi ! »

Clairement, tout le monde n’avait pas la même conception de ce qu’était l’entraide.
Emma écarquilla les yeux – plus choquée de l’audace du jeune homme dont elle aurait pourtant dû être blasée depuis le temps que par l’invitation qui n’était clairement que de la provocation -, et fit mine de lui donner un coup de pied aux fesses tandis qu’il détalait à toute vitesse.

Le bureau redevenu l’endroit calme et silencieux qu’il était habituellement, elle referma la porte de la cellule, remit sa chaise à sa place, puis se laissa tomber dessus sans cérémonie, un léger soupir s’échappant de ses lèvres tandis qu’elle observait la cellule vide d’un air absent. Elle avait pensé à y mettre Hook s’il devait par malheur la suivre à Storybrooke, avant d’apprendre qu’il y était parvenu et qu’il était en ville… et n’en avait finalement rien fait, mais cela ne l’empêcha pas de se demander comment il y aurait réagit. Pas très bien, probablement. Dommage, à bien y penser, Hook, dans une cellule, avec une paire de menottes, il y avait du potentiel… Emma manqua s’étouffer en prenant conscience du fait que son esprit dérivait d’une façon totalement inappropriée, surtout considérant qu’il ne s’était encore pas passé grand-chose entre eux, et avec un grognement – what the hell is wrong with you Emma ? - elle se secoua la tête et reporta son attention sur le bureau et la paperasse qui y traînait et n’avait pas vraiment été sa principale préoccupation dernièrement.
Elle avait vraiment besoin de dormir.