« Swan. Comme c'est surprenant de te trouver ici. J'ai l'impression que... le hasard fait bien les choses. »

« Dois-je entendre par là que tu n'es pas heureuse de me revoir ? »

« Vraiment ? Moi je trouve le comité d'accueil plus que charmant. Je n'en attendais pas plus à vrai dire, te voir me suffit bien, Swan. »

« Tenterais-tu de m'éviter ? »

Le bien gagnait toujours, lui avait dit sa mère. Et si Emma avait appris à y croire – ce qui n’avait pas été chose facile considérant qu’elle avait grandi dans un monde sans magie et sans marraines fées – la question qu’elle se posait perpétuellement était : oui, mais à quel prix ? Elle était forcée de reconnaître que peu importait les avancées faites dans le camp ennemi, elles n’avaient jamais abouties, ils étaient toujours parvenus à les repousser. Mais la chose ne se faisait pas sans sacrifices, et Emma n’était pas certaine d’être prête à en payer le prix. Graham était mort, Henry avait manqué mourir, et tous ses proches étaient en réalité en danger. Et à bien y regarder, ils ne faisaient jamais que gagner du temps : ils parvenaient peut-être à déjouer leurs ennemis, mais pas à les éliminer. La menace était constante, et quand par chance ils parvenaient à en faire disparaître une, une autre apparaissait aussitôt. Ce n’était qu’un cercle vicieux qui se répétait, encore et encore. Car tuer n’était pas la façon de procéder quand on faisait partie du clan des gentils. Le clan adverse avait lui moins de scrupules. Pour cette raison, Emma était moins confiante que Mary Margaret quant à l’issue de toute cette histoire et c’était la raison pour laquelle elle prenait tant au sérieux l’arrivée de Cora et Hook dans ce monde – un monde qui était le sien, un monde dans lequel elle avait grandi, un monde auquel elle appartenait en dépit de tout ce que pouvait bien lui dire ses parents.

Comme s’il lisait dans ses pensées, le pirate esquissa un sourire qui n’avait cette fois rien de charmeur, bien au contraire, mais si la jeune femme fut décontenancée par la dureté dans ses traits, elle n’en montra rien, pas même lorsque le dit sourire se changea en rire plus inquiétant que chaleureux.

« Dois-je entendre par là que tu n'es pas heureuse de me revoir ? »

La jeune femme ne se donna pas la peine de répondre à cette remarque, se contentant de le fixer du regard, et il en profita pour reprendre :

« Vraiment ? Moi je trouve le comité d'accueil plus que charmant. Je n'en attendais pas plus à vrai dire, te voir me suffit bien, Swan. »

Malgré le retour de ses flatteries, Emma ne manqua pas la façon dont il la regardait, la perçant de son regard bleu intense qui lui donnait l’impression, comme il l’avait laissé sous-entendre ce jour là, sur le haricot – un évènement pas si lointain qui semblait pourtant dater d’un autre siècle – qu’elle était en effet un véritable livre ouvert. Ce regard là n’avait rien de flatteur, au contraire, et elle n’était pas sûre d’aimer ce qu’elle y lisait. Il s’approcha d’elle tandis qu’elle refusa de lui donner la satisfaction de reculer et de bouger, et ne baissa pas les yeux, ne cilla même pas lorsqu’il passa le métal froid et acéré de son crochet sous son menton.

« Tenterais-tu de m'éviter ? »

A ces mots, Emma haussa les sourcils. Elle n’avait pas pour habitude de fuir devant le danger, au contraire, elle y faisait face et lui tenait tête. Sous-estimer la jeune femme était une erreur que trop d’hommes avaient faite dans son précédent métier, et aucun n’était parvenu à lui échapper. Peut-être qu’un ou deux avaient pu s’en convaincre sur le coup, mais elle avait toujours fini par les retrouver et les rattraper. Non, elle n’était pas du genre à fuir ou à se cacher, en dépit parfois de ce que sa raison pouvait bien lui crier et de ce que le bon sens aurait demandé. Elle se méfiait de Hook, mais ne le craignait pas – c’était peut-être une erreur, mais il était encore trop tôt pour le dire. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’il ne lui avait jusqu’ici porté aucun préjudice et qu’à bien y regarder, elle n’avait pas fait preuve de la même diplomatie envers lui : elle lui avait plus mis de bâtons dans les roues que le contraire.

Et puis, il fallait pour elle plus de bravoure pour baisser ses défenses face à quelqu’un qu’on apprécie que pour les redresser face à un ennemi. Encore que, Hook était-il un ennemi pour elle ? Ils étaient certainement dans des camps adverses mais pour autant, elle avait du mal à le considérer comme tel. Il voulait la peau de son Crocodile, mais quant à elle ? Se donnerait-il la peine de lui faire du mal si elle ne se présentait pas sur son chemin ? Ce qui soulevait une autre question : était-elle un obstacle pour lui ? Clairement, elle en avait déjà représenté un, même s’il l’avait éliminé, mais qu’en était-il à présent ? S’interposerait-elle entre lui et sa vengeance ? Son cœur lui disait que oui, car elle était la Sauveuse, qu’elle le veuille ou non, et Shérif de cette ville qui plus est. Chaque résident de Storybrooke était sous sa protection. Mais pour autant, défendrait-elle Gold face à Hook, prendrait-elle ce risque pour cet homme qui avait semé autour de lui plus de mal que de bien ? Oh, car elle avait peut-être déjà eu recours à lui, et n’oubliait pas qu’elle avait une dette envers lui qu’il lui demanderait tôt ou tard de payer – et avec l’arrivée du pirate en ville elle avait comme dans l’intuition que ce serait plus tôt que tard – mais pour autant elle n’oubliait pas non plus que c’était lui qui était derrière tout ça. Après tout, la vengeance était celle de Regina, mais Rumplestiltskin s’en était servi pour ses propres intérêts. C’était à cause de lui qu’elle avait grandi sans parents et que les vingt-huit premières années de sa vie avaient été toutes planifiées, c’était à cause de lui que tout le monde la considérait comme la sauveuse qu’elle n’était pas. Et puis, elle n’avait pas encore digéré cette fois où elle avait combattu le dragon pour obtenir la potion qui pourrait sauver Henry et que Gold lui avait volé, même si cela signifiait signer l’arrêt de mort de son fils. Et c’était à cause de lui également que cet espèce de Détraqueur s’était retrouvé dans Storybrooke, menaçant toute la ville et la poussant, elle et Mary Margaret, dans le monde des contes de fées, loin d’Henry, où elle avait plus d’une fois manqué de finir écrasée sous la massue d’un ogre. La liste de ses méfaits était longue, et c’était sans prendre en compte tout ce qu’il avait dû faire et dont elle n’avait pas connaissance. Elle ne se fiait pas à lui, ne lui faisait absolument pas confiance. Pire, elle comprenait le motif de vengeance de Hook – nul besoin d’être devin pour comprendre, à la façon dont il parlait d’elle, qu’il avait vraiment aimé cette femme qui lui avait été enlevée par Gold – et la personne qui détruirait le cœur d’Henry devant elle avait intérêt à courir plus vite qu’elle. Elle pouvait donc, en un sens, se mettre à la place de Hook, elle comprenait sa motivation et l’aurait probablement partagée, eussent les rôles été échangés.
Alors le moment venu, s’interposerait-elle entre les deux, prendrait-elle ce risque pour défendre la cause du bien ? La contradiction était présente en elle de façon bien distincte, et elle n’avait pas de réponses à cette question. Il lui faudrait, supposa-t-elle, attendre le jour J pour en avoir le cœur net.

Après une seconde d’hésitation, elle regarda Hook d’un air interrogateur, parfaitement consciente du froid métal pressé contre son cou, et répondit à sa question par une autre question :

« A toi de me le dire, Hook : je devrais ? »

S’il fallait se fier à la façon dont se présentaient les choses, la réponse était clairement oui. Ils étaient seuls dans une forêt, personne ne savait où elle était, et elle était désarmée, ce qui n’était pas tout à fait le cas du pirate. Pourtant, nulle inquiétude ne se dessinait sur ses traits. Elle continuait à penser que s’il avait voulu lui faire du mal, il en avait eu maintes fois l’occasion.

« Si tu as décidé de me faire regretter de ne pas t’avoir laissé mourir de faim et de soif, enchaîné au sommet de ce haricot, je crois que c’est le moment ou jamais. »

Elle écarta les mains pour lui montrer qu’elles étaient vides et qu’elle était donc sans défense. Lui avoir rappelé qu’elle avait eu la possibilité, elle aussi, de le laisser mourir n’était pas complètement innocent non plus : elle avait en effet eue cette option, et ne l’avait pas choisie. Elle faisait confiance à Anton, elle savait que le géant aurait fait ce qu’elle lui demandait au regard du pirate, de quoi qu’il s’agisse. Elle avait simplement eu besoin de garder l’avance qu’ils avaient prise, mais elle aurait aussi bien pu s’assurer qu’il ne reverrait plus jamais la lueur du jour. Cela n’excusait peut-être pas son geste, mais ça devait bien compter pour quelque chose, non ?

« Peut-être. »

« Je ne pensais pas que tu m'offrirais une pareille chance. Il sorti son épée lentement de son fourreau avant de remonter le bout tranchant de celle ci le long de la gorge de la jeune femme. Un coup vif, et il pouvait lui trancher la tête aussi simplement qu'on coupait une feuille de papier. Mais le regard d'Emma ne changeait guère, et rappelait à Killian combien il voulait plus. Sans doute sa faiblesse, vouloir plus de la part des autres. Un véritable défi oui... Il rangea la lame, vivement, avant de reprendre. Emma, si j'avais voulu en finir maintenant, je pense qu'à l'instant où tu m'as vu, je t'aurais tué, surtout si tu n'es pas armé. Il ajouta avec un clin d'oeil. Je trouverais bien une nouvelle occasion. »

« Si tu m'avais écouté, Cora ne serait sans doute pas arrivée ici. »

Affrontant silencieusement le regard de Killian Jones, Emma se posa la question en toute sincérité : évitait-elle le pirate ? Cela aurait impliqué qu’elle savait qu’elle risquait de tomber sur lui, et c’était le cas, mais elle s’était enfoncée dans la forêt sans réellement y penser. Si c’était le cas, elle ne serait peut-être pas venue désarmée, ne serait-ce que dans l’éventualité où c’était Cora qui croisait sa route, et non pas Hook. Ou peut-être que cela n’aurait rien changé – après tout, elle avait conscience que face à la sorcière cela ne lui aurait pas été d’une grande utilité. Pour être honnête, elle avait du mal à voir clair dans tout cela, tout lui semblait confus, compliqué, et elle détestait ça. La présence de magie dans ce monde changeait fortement la donne. Mais elle en vint cependant à la conclusion que ce n’était pas tant Hook qu’elle évitait que la confrontation qui s’en suivrait, plus qu’entre elle et lui, celle qui avait présentement lieu entre elle et elle, et la culpabilité qui s’en suivrait.
Elle n’allait tout de même pas se sentir mal parce qu’elle avait tourné le dos à un pirate qui aurait pu le lui transpercer à la moindre occasion, si ? Et pourtant. Il ne l’avait pas fait, il avait même risqué sa vie pour elle. Elle avait rapidement compris qu’il était plus sûr et plus facile d’être celle qui s’en va que d’attendre que l’inverse ne se produise, mais personne ne lui avait dit combien cela pouvait être dur de tourner les talons à une personne qui ne lui avait donné aucune raison d’agir ainsi. Elle se rappelait son instant d’hésitation lorsqu’il avait crié son nom, la possibilité de faire marche arrière alors encore présente, puis la façon dont elle avait repris sa marche sans ne serait-ce que tourner la tête vers lui. Elle savait que si elle l’avait fait, elle aurait changé d’avis, et elle ne pouvait pas se permettre ce luxe. Quelques mois plus tôt encore elle n’avait rien eu à perdre, mais à présent elle avait Henry, et le risque était trop grand. On disait bien souvent qu’il n’y avait rien de plus dangereux qu’une personne qui n’avait rien à perdre et sûrement était-ce vrai dans le cas de Hook. Mais c’était oublier combien une personne qui a quelque chose à perdre peut se battre pour la garder.

« Peut-être. »

Emma accepta cette réponse pour ce qu’elle était ; peut-être une façon de la taquiner, mais plus vraisemblablement un rappel qu’il était en effet capable du pire, et elle n’en doutait pas. Si elle devait, ne serait-ce qu’un instant, s’opposer à lui, à sa vengeance, elle ne donnait honnêtement pas cher de sa peau. Si cela devait arriver, il lui faudrait être prête.

Le métal froid du crochet quitta abruptement sa peau lorsque le pirate relâcha son bras, son sourire amusé toujours accroché aux lèvres. Imprévisible, il en profita cependant pour tirer son épée de son fourreau et soudain un autre métal vint caresser sa gorge tandis qu’elle se retint de déglutir, la pression de la lame acérée contre sa peau légère mais ferme, la menace, bien réelle. Elle se demanda soudain, très brièvement, si elle s’était trompée, s’il était réellement capable de la tuer, là, sur-le-champ, sans broncher, sans hésiter, mais cette étincelle de doute fut aussi vive qu’éphémère.

« Je ne pensais pas que tu m'offrirais une pareille chance. Emma, si j'avais voulu en finir maintenant, je pense qu'à l'instant où tu m'as vu, je t'aurais tué, surtout si tu n'es pas armée. Je trouverais bien une nouvelle occasion. »

La lame disparut dans son fourreau aussi vite qu’elle en avait été extirpée, remplacée par un clin d’œil provocateur et la jeune femme se détendit presque inconsciemment, laissant s’échapper le souffle qu’elle avait retenu sans même s’en rendre compte. Elle ne le croyait peut-être pas aussi mauvais que la réputation qu’il avait dans son monde le laissait penser, mais ce n’était pas pour rien qu’elle avait choisi de ne pas lui faire confiance. Elle le devinait imprévisible, potentiellement dangereux, et peut-être même instable.

« Je ne serai peut-être pas aussi désarmée, la prochaine fois. Mais il semblerait de toute façon que je sois plus difficile à éliminer qu’il n’y paraît », rétorqua-t-elle avec un mélange d’aplomb et d’acceptation dans la voix.

Elle faisait bien entendu référence à ce qui s’était passé au lac Nostos – encore qu’elle ne pouvait pas vraiment savoir à quel stade Hook s’était réveillé et de quoi il se souvenait après le coup de poing qu’elle lui avait décroché et qui l’avait momentanément assommé. Il était donc possible qu’il ne sache pas du tout de quoi elle parlait, mais de son côté, elle ne risquait pas d’oublier cet épisode. Cora avait été à deux doigts de lui arracher son cœur, mais quelque chose l’en avait empêché. Elle. Sa magie. A elle. Le concept lui était encore totalement étranger. Elle, être capable de magie ? Son existence n’avait tellement rien eu de magique que l’idée qu’elle soit capable d’en créer la dépassait totalement. Elle s’était longuement repassé la scène dans sa tête, tenté de comprendre ce qui s’était passé, comment elle avait fait, mais rien n’y faisait.

Alors peut-être qu’en vérité elle n’était pas complètement sans défenses face à l’épée de Hook. Peut-être qu’elle possédait une arme, elle aussi. Mais c’était comme avoir entre ses mains une arme à feu et ne pas savoir s’en servir : elle n’était peut-être pas aussi exposée et démunie qu’il y paraissait, mais à quoi bon si elle ignorait comment se protéger ? Et elle n’avait pas, comme avec une véritable arme, l’avantage du bluff : il était beaucoup plus difficile d’intimider ou de menacer qui que ce soit avec une arme invisible. La dernière fois, les choses s’étaient faites instinctivement, elle n’avait rien contrôlé, son corps s’était protégé de lui-même. Ce qui la poussa à se demander ce qu’il se serait passé s’il avait décidé d’abaisser son épée, s’il avait tenté de lui faire mal. Aurait-elle été capable de se défendre une fois de plus ? Après tout, la magie fonctionnait différemment ici. La seule chose qu’elle en retenait, c’était qu’elle ne pouvait pas s’y fier, il y avait trop de variables à prendre en compte, trop de « et si… ? » pour qu’elle s’appuie sur quelque chose qui lui avait fait défaut toute sa vie – et dieu savait qu’elle en aurait parfois eu besoin.

« Si tu m'avais écouté, Cora ne serait sans doute pas arrivée ici. »

Le doute et la culpabilité qui la traversèrent alors furent perceptibles l'espace d'un instant. Une ombre passa furtivement dans son regard, tandis qu’elle esquissait un léger mouvement de recul, comme s’il avait tenté de la gifler – ou plus probablement avait-elle le sentiment que c’était le cas, excepté que la gifle n’était pas physique, mais elle savait depuis longtemps que les mots faisaient bien souvent plus mal que les coups.
Disait-il vrai ? Difficile à dire. De son point de vue, Cora était suffisamment puissante et déterminée pour trouver un moyen de mettre les pieds à Storybrooke quoiqu’il arrive, mais elle ne pouvait nier que l’évènement aurait pu être retardé, voire même qu’ils auraient pu se préparer à l’accueillir et à lui réserver l’accueil qu’elle méritait. Elle se mordit la lèvre nerveusement, le regard cette fois fuyant, le poids de ses mots, de sa responsabilité, la rendant soudain particulièrement fragile et insignifiante. Etait-ce réellement de sa faute, de ses stupides problèmes de confiance, si Cora était là, si elle s’était faite un ennemi d’un potentiel allié ? Se pouvait-il qu’elle soit indirectement responsable du danger auquel était exposé Henry avec l’arrivée de Cora dans la ville ? Au fond, cela ne lui semblait pas si impossible. Elle savait qu’en tant que mère, elle ne valait pas grand-chose. L’absence d’image maternelle dans sa vie s’en faisait ressentir : elle n’avait pas de parent modèle, et n’avait aucune idée de la façon dont elle devait éduquer un enfant. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle aimait Henry plus que tout, et qu’elle le protégerait avec toute la force de son âme, quoiqu’il lui en coûte. C’était la raison pour laquelle elle pouvait être désolée, voire culpabiliser, mais qu’elle ne pouvait pas regretter ce qu’elle avait fait à Hook ; elle ne pouvait pas renier quelque chose qu’elle avait fait pour son fils. C’était probablement une erreur, mais ce ne serait pas sa première, ni sa dernière.

Elle eut un léger rire sans joie.

« Si tu ne lui en avais pas donné le moyen, Cora ne serait pas arrivée ici », répliqua-t-elle, mais cette fois son ton manquait de mordant.

Elle savait qu’il avait raison, et qu’elle était partiellement responsable de son alliance avec Cora. Lui faire ce reproche à présent, c’était l’hôpital qui se foutait de la charité. Elle poussa un léger soupir, appuyant ses mains sur le rebord du puits derrière elle. Elle garda le silence pendant quelques secondes, et lorsqu’elle releva les yeux vers Hook, elle ajouta subitement :

« J’ai passé un pacte avec Gol… avec Rumplestiltskin, il y a un certain temps. Je lui dois une faveur. »

Elle ignorait pourquoi elle lui disait ça, là, soudainement, sans transitions. Peut-être parce qu’elle regrettait, et qu’elle souhaitait l’avertir. Elle ignorait ce que serait cette faveur, mais n’excluait pas la possibilité qu’elle soit en lien avec le pirate, et elle n’aurait probablement pas le loisir de refuser – ce qui ne signifiait pas qu’elle n’essaierait pas si réellement la demande allait contre ses principes. Elle ne considérait peut-être pas Rumplestiltskin comme un allié, mais ce qui était certain, c’était qu’elle n’avait pas envie de s’en faire un ennemi. Il était puissant, probablement plus que Cora et Régina réunies, et c’était bien la dernière personne qu’elle souhaitait se mettre à dos, d’autant qu’à l’époque où elle avait passé ce pacte elle était loin d’avoir connaissance du personnage comme c’était le cas maintenant. Elle ne croyait alors même pas encore en la malédiction. Ce qui ne signifiait pas qu’elle aurait abandonné Ashley à son triste sort si elle avait su, mais peut-être aurait-elle tenté de l’aider d’une autre façon. Il était cependant trop tard pour regretter. Mais elle pouvait prévenir Hook. Sans quitter son regard des yeux, elle murmura :

« Je ne sais pas de quoi il s’agit, pas encore. Cela peut être n’importe quoi. Et je ne crois pas être en position de refuser. »

La façon dont elle avait énoncé ces dernières phrases laissait cette fois sous-entendre clairement ce qu’elle pensait : que cette faveur risquait de se jouer contre le pirate, et à en juger sa mine défaite, il était évident que lui être redevable lui coûtait. C’était un aveu qui n’était peut-être pas très intelligent ; s’il décidait qu’elle pouvait en effet être un obstacle, cela pouvait se retourner contre elle. Mais c’était aussi une sorte de gageure, peut-être pas de confiance, non, mais tout du moins de respect. Elle lui devait bien ça, au fond.

« J'aime les défis ma belle. »

« Je préfère penser qu'elle m'a été utile à passer autant que tu aurais pu l'être si tu ne m'avais pas abandonné. C'est étrange comme on revient toujours sur ce fait, tu ne trouves pas. »

« Ce Crocodile ne manquera pas une occasion de servir ses intérêts. Il n'y a pas pire choix désespéré que de faire un pacte avec lui. »

« Pourquoi tu as fait ça ? La réputation du Ténébreux n'étaient pourtant pas si secrète et était même devenue légendaire... alors pourquoi elle... oh, la voilà la solution. Tu ignorais à ce moment là ce qu'il était pas vrai ? »

« J'aime les défis ma belle. »

Les paroles du pirate résonnèrent en elle avec une étrange familiarité. Il lui avait dit quelque chose de très similaire, lui semblait-il, le jour où ils avaient escaladé ce haricot, de quoi s’agissait-il déjà ? Ah oui, il essayait de faire la conversation et essuyant un silence obstiné de sa part, il lui avait dit que la plupart des hommes auraient été repoussés par son mutisme mais que quant à lui, il aimait les challenges. Elle ne lui avait pas vraiment laissé sa chance, cependant. Elle n’était pas là pour batifoler avec un pirate, aussi séduisant ce dernier fut-il. D’autant qu’elle ne tombait pas dans le piège de ses belles paroles et de ses sourires charmeurs ; probable qu’il s’était ainsi plus d’une fois assuré qu’il partagerait sa couche avec une femme le soir même, mais elle n’était pas idiote, et ce n’était pas avec des phrases toutes faites qu’il avait dû adresser à plus d’une femme avant elle qu’elle tomberait dans ses filets.

Toujours appuyée contre le puits, en prenant toutefois garde à ne pas trop se pencher en arrière, elle passa d’un air absent le pouce d’une main sur la paume de l’autre, où elle conservait la cicatrice de l’entaille qu’elle s’était faite ce jour là et qu’il avait traité en acceptant de gâcher un peu de son rhum - un geste plus machinal que conscient, tandis qu’elle repensait pour la énième fois, et probablement pas la dernière, à ce fameux périple sur le haricot géant, rappelée à cet instant T de sa vie à cause de cette simple phrase, mais aussi des multiples sous-entendus qui flottaient entre eux et suggéraient qu'ils avaient encore une affaire à régler, que ce qui s'était passé ce jour là n'avait pas été sans conséquences, et qu'elle devait y faire face.

Elle avait eu quant à elle sa part de défis et de challenges dans la vie – même si clairement, Hook pouvait en dire autant – et n’aurait pas dit non à un peu de calme et de tranquillité, mais c’était visiblement trop demander et elle avait depuis longtemps abandonné l’idée même si elle ne perdait pas l’espoir de retrouver une vie normale. S’il y avait eu des fées perchées sur son berceau à sa naissance (une idée qui ne lui semblait plus si folle et absurde qu’elle avait pu l’être), celles-ci ne lui voulaient clairement pas que du bien.

« Je préfère penser qu'elle m'a été utile à passer autant que tu aurais pu l'être si tu ne m'avais pas abandonné. C'est étrange comme on revient toujours sur ce fait, tu ne trouves pas. »

Emma lui décocha un regard noir, mais derrière, il n’était pas difficile de voir qu’il avait fait mouche. Elle croisa momentanément les bras pour se donner une contenance, refusant de se laisser toucher par ses paroles, puis fit un pas dans sa direction :

« Que veux-tu au juste, Hook ? Que je m’excuse ? » riposta-t-elle avant d’ajouter aussitôt, sur un ton enflammé mais sincère, appuyant distinctement chaque mot : « Je suis désolée de t’avoir enchaîné au sommet de ce haricot, j’ai cru faire ce qu’il y avait de mieux à faire, et c’était une erreur de ma part… Satisfait ? »

Elle s’arrêta à quelques pas de lui sans le lâcher du regard, le souffle court, réalisant qu'elle avait inconsciemment élevé la voix en parlant, mais sa colère décrut bien vite une fois ces mots lâchés, et elle baissa les bras d’un air vaincu - sans doute cet aveu lui avait-il plus coûté qu’elle ne voulait bien l’admettre.

Elle n’était cependant pas la seule à faire face à ses démons en cet instant, à en juger la façon à peine perceptible dont le regard du pirate s’était endurcit lorsqu’elle avait mentionné le nom maudit, celui de son ennemi juré.

« Ce Crocodile ne manquera pas une occasion de servir ses intérêts. Il n'y a pas pire choix désespéré que de faire un pacte avec lui. »

Elle hocha cette fois la tête, mais il n’y avait nulle surprise sur ses traits, rien d’autre que de la résignation, une façon comme une autre de lui dire qu’elle savait, qu’elle avait compris la leçon, une autre qu’elle avait payé le prix cher – la dernière fois que Gold avait accepté de l’aider, pour Henry, c’était pour mieux se retourner contre elle. Elle avait affronté un dragon – un fichu dragon – et ça n’avait servi personne ni rien d’autre que les intérêts de Rumplestiltskin. Il lui faudrait un moment pour digérer ça, si elle y parvenait jamais.

Tandis que la blonde surveillait de l’œil le pirate, se demandant si cette fois elle avait réellement signé son arrêt de mort, elle eut la surprise de constater qu’il l’observait d’un air plus curieux que furieux, et quelque chose qui lui semblait même ressembler à de la sympathie quant à la situation dans laquelle elle s’était fourrée, mais probable que ce n’était que le fruit de son imagination.

« Pourquoi tu as fait ça ? »

Elle n’eut pas à répondre, la compréhension se dessinant soudain sur ses traits tandis qu’il ajoutait presqu’aussitôt :

« Tu ignorais à ce moment là ce qu'il était pas vrai ? »

Bingo.

Une fois de plus il avait vu juste, et elle ne put qu’acquiescer lentement en guise de réponse, le regard rivé au sol.
Peut-être qu’il avait raison, peut-être qu’elle était un livre ouvert. Elle n’avait plus vraiment l’habitude de laisser quiconque l’approcher suffisamment pour cela, mais il était vrai qu’en dépit des murs qu’elle s’était bâtie, il était aisé de repérer certains de ses tics ; des manies, une gestuelle qui la trahissaient. Si en apparence elle avait tout de la femme forte et confiante qui savait ce qu’elle voulait, à l’intérieur, il n’en était rien, elle était un mélange confus de sentiments contradictoires, rien de plus qu’une jeune femme perdue, blessée et farouche, comme il y en avait tant d’autres. Il n’y avait rien d’exceptionnel à son histoire – toute magie mise à part.

Et puis Hook était quant à lui quelqu’un de très perceptif, à en juger la façon dont il avait compris qu’elle avait été un jour amoureuse en dépit de son déni et du refus total d’en parler dont elle avait fait preuve. Et pas que ça. Il avait compris qu'elle avait peur de lui parler, de se révéler, de lui faire confiance, il avait compris qu'elle avait été orpheline, et que l'amour, de façon générale s'était fait rare dans sa vie. Elle détestait avoir ce sentiment qu’il devinait toute sa vie d’un seul regard, elle détestait se sentir ainsi exposée, elle détestait cette transparence qui la vulnérabilisait. Car après tout, connaître quelqu’un, c’était aussi découvrir ses faiblesses et les mille façons de lui faire du mal, et quand il s’agissait d’une personne aussi psychologiquement fragile qu’elle-même, c’était incontestablement quelque chose de peu souhaitable. Et elle avait constaté qu’en plus d’être perceptif, il avait une facilité à la faire parler qu’elle n’était pas sûre d’apprécier, ce qui expliquait aussi que c’était le plus souvent lui qui faisait la conversation. Elle avait admis bien malgré elle qu’elle avait un jour aimé quelqu’un, et que cette personne le lui avait fait regretter, et c’était bien plus qu’elle n’en avait jamais dévoilé à qui que ce soit auparavant. Ses propres parents n’en savaient pas autant sur sa vie, la vie qu’elle avait menée avant eux. Les vols, la prison, la fuite incessante qu’était son existence jusqu’alors. Peut-être en cela était-il plus proches qu’il n’y paraissait, le pirate et elle. Ils avaient tous deux brutalement perdus une personne qu’ils avaient autant aimé que faire se peut dans un contexte tragique, excepté qu’il avait eu quelqu’un à qui s’en prendre et qu’elle s’était retrouvée seule avec ses regrets et la conviction que toute personne qui s’approchait d’elle ne cherchait qu’à se servir d’elle et finirait forcément par l’abandonner tôt ou tard. Difficile après ça de ne pas douter de tout et tout le monde, d’accorder à nouveau sa confiance. Elle était ce que la vie l’avait faite : une battante, une survivante, mais qui ne s’en était pas sortie sans cicatrices, et de celles qui ne sont pas visibles à l’œil nu.

Elle soupira, passant une main sur la ligne soucieuse qui se dessinait sur son front avant de la laisser retomber le long de son corps.

« J’étais butée, et je refusais de voir la réalité en face, d’accepter qu’il y en ait une autre que la mienne. J’ai vite compris qu’il n’était pas très net, mais je n’avais pas de raisons de me méfier de lui, et puis il y avait cette jeune femme, Ashley… elle avait fait une erreur, elle aussi, elle lui avait promis son premier né… »

Le regard fuyant, elle ajouta d’une voix très basse :

« Je ne voulais pas qu’elle vive ce que j’avais vécu. Je lui ai demandé d’effacer sa dette, et il a accepté, à la condition que le jour où il exigerait quelque chose de moi en retour, j’accepte sans conditions. »

Pourquoi lui racontait-elle tout cela ? Cela ne le regardait pas, pour lui, seul le résultat importait, et il pouvait s’estimer heureux qu’elle ait décidé de lui en parler. Il devait bien se douter de toute façon, qu’elle avait agit ainsi car elle croyait défendre une « noble » cause, une cause qui en tout cas, lui parlait, car pour elle, nulle mère ne devrait être forcée de renoncer à son enfant. Mais une fois de plus, il avait cette détestable facilité à la faire parler malgré elle, et elle le maudit silencieusement pour cela, se remerciant en même temps de s'être retenue de révéler quoique ce soit de trop intime.

Après un instant d’hésitation, elle reprit, avec plus de conviction, tout état d’âme et considération personnelle cette fois laissées de côté :

« J’ai l’intention de m’acquitter de ma dette, mais ce n’est pas pour autant qu’il me forcera à faire quelque chose que je ne souhaite pas faire. »

Et elle pesait ses mots en disant cela. Cela ne faisait, pour elle, aucun doute. Empêcher un crime pour en causer un autre était hors de question, et c’était valable pour Hook aussi bien que pour n’importe qui d’autre. Même Regina. Cora, en revanche… et bien, disons qu’elle pouvait faire une exception pour elle – et encore, pas sûr. Si Rumplestiltskin était intelligent – et elle savait qu’il l’était – il ne lui demanderait rien qu’elle puisse refuser de faire, au risque de se mettre les Charmings à dos (et dans ce monde où la magie était si différente, ce n’était pas vraiment quelque chose de souhaitable pour lui, tout puissant fut-il) mais il était aussi imprévisible que le pirate et il était impossible de prédire la façon dont il la ferait payer.
Elle était la sauveuse, shérif de la ville, fille de Snow White et Charming et comptait bien faire honneur à ces titres. S’opposer à Rumplestiltskin n’était peut-être pas judicieux, mais elle avait une certitude : elle ne vendrait pas son âme au diable pour remplir sa part du contrat.

Plus Emma passait de temps en sa compagnie, et moins elle parvenait à déterminer ce qu’il voulait d’elle. Une minute il passait l’extrémité de son crochet sur sa gorge, la minute d’après, il était de retour aux sourires enjôleurs et aux petits surnoms. Il était plus qu’incernable, il était impossible à suivre. Elle avait pensé qu’il attendait des excuses de sa part, ce qui semblait être le cas, mais elle n’en était soudain plus si sûre. Elle avait en fait la distincte impression qu’il jouait avec elle au jeu du chat et de la souris, sauf que le chat, ce n’était pas elle, et elle n’était pas certaine d’aimer ça. Elle n’était pas habituée à être une proie. Refusait d’en être une. Ils ne se battaient peut-être pas à l’épée, mais c’était clairement un duel de mots et de regards. Elle avait consenti à exposer sa vulnérabilité, puis à s’excuser avec le faible espoir qu’ils pourraient faire table rase du passé et reprendre à zéro, mais si elle avait cru un instant que ce serait aussi facile, elle s’était clairement foutue le doigt dans l’œil jusqu’au coude. En un sens, elle n’était donc pas surprise, mais ne pas savoir sur quel pied danser avec lui l’agaçait plus qu’elle ne le montrait. Qu’attendait-il d’elle, bon sang ?!

« Tu vois, ce n'était pas si compliqué. »

Emma était douée pour lire sur les visages des gens, c’était ainsi qu’elle était devenue un détecteur de mensonges ambulant. Et si sa bouche disait une chose, ses yeux en disaient une toute autre. Le ton, lui aussi, était moqueur. Déçu, peut-être même. Déçu ? Peut-être qu’à ce petit jeu qu’ils jouaient, il avait espéré plus de résistance de sa part. Si c’était le cas, elle pouvait lui en donner, il suffisait de demander. Mais elle détestait avoir le sentiment qu’ils dansaient tous deux une danse dont il était le seul à connaître les pas tandis qu’elle s’efforçait de le suivre. Elle n’était pas habituée à ça, elle préférait mener. Elle avait été une meneuse toute sa vie (bien obligé, quand on était aussi solitaire qu’elle), et cela lui convenait très bien. La seule chose qui la rassurait en cet instant, c’était qu’à chaque fois que Hook avait réussi à la mettre en position de faiblesse, elle était parvenue à inverser les rôles. D’une certaine façon, leur entretien présent lui rappelait leur duel au lac Nostos. Il avait eu l’avantage lorsqu’elle s’était retrouvée sur le dos, totalement vulnérable, lui offrant l’ouverture idéale pour se débarrasser d’elle. Il ne l’avait pas saisie. Au lieu de cela, il avait multiplié les sous-entendus coquins, ce qui ne s’était pas bien conclu pour le capitaine puisque la jeune femme avait rapidement repris le dessus, l’assommant d’un bon coup de poing. Elle n’était pas une demoiselle en détresse. Elle n’avait pas l’intention de se laisser faire.

« Noble choix, qui peut te valoir très cher. »

Voilà qui résumait bien sa vie. Encore que, ses choix n’avaient pas toujours été nobles, non. Mais depuis son arrivée à Storybrooke, elle avait multiplié les sacrifices sur sa personne pour venir en aide à d’autres. Ce qui s’était passé avec Ashley et Gold n’était qu’un exemple parmi d’autres. Mais elle était prête à en payer les conséquences, car elle savait que son combat était juste.

« Je n'en doute pas, darling. »

Elle haussa un sourcil à petit nom qui dans sa bouche semblait plus moqueur qu’affectueux, mais se conforta dans l’idée qu’il devait être à nouveau dans de suffisamment bonnes dispositions envers elle pour lui en donner un. A ces mots, Hook se détacha de l’arbre sur lequel il était appuyé pour avancer vers elle, et la jeune femme leva le menton dans sa direction – si c’était une nouvelle tentative pour l’intimider, ça ne prenait pas. A sa grande surprise cependant, il lui fit une offre :

« Mais pourquoi ne pas plutôt m'aider Emma ? Si je mets fin à la vie de ce Crocodile, tu n'aurais pas de dette à rendre. »

Il fallait être honnête, elle ne l’avait pas vue venir, celle-là. Pas une seconde. La surprise se peignit peu à peu sur ses traits, tandis que les paroles de Hook et toutes leurs conséquences se frayaient un chemin jusqu’à son cerveau.

Sa première question fut : pourquoi ? Pourquoi elle, pourquoi maintenant, pourquoi ? Etait-ce un test ? Parce que si c’était le cas, c’était cruel. Non, en vérité c’était cruel de toute manière. Il savait qu’il la mettait face à une impasse, il en avait conscience, il savait qui elle était, ce qu’elle représentait. Ou alors il était plus idiot qu’il n’y paraissait, et elle en doutait fortement.

Peut-être lui offrait-il une chance de se racheter quant à la façon dont elle l’avait trahi, de prouver que, à condition qu’on lui donne sa chance, elle ne recommencerait pas. Peut-être l’offre était-elle réellement sincère, sans arrières pensées : une simple alliance qui leur servirait à tous deux. Oh, elle ne pouvait pas nier que c’était tentant, dans un sens. Se débarrasser d’une dette qui lui pesait, et éliminer un potentiel ennemi qui s’était avéré plus d’une fois dangereux, pour elle comme pour sa famille, contrairement à Hook. Mais peut-être aussi que ce n’était pas le cas, et évidemment, à présent plus que jamais, elle était tentée de ne pas lui faire confiance. Il n’avait toujours rien fait pour mériter une telle défiance de sa part (du moins, excepté le fait que c’était un pirate et qu’il n’avait clairement pas que de bonnes intentions), mais elle, en revanche, lui avait donné des raisons de douter d’elle, et il était facile de penser qu’il chercherait une façon de se venger de ce qu’elle lui avait fait, de lui rendre la monnaie de sa pièce, de s’allier à elle pour mieux se retourner contre elle au dernier moment. C’était le célèbre capitaine Hook, et il avait la vengeance tenace, apparemment. Qu’il n’ait rien tenté contre elle jusque là signifiait peut-être qu’elle était tranquille pour le moment, mais pas qu’il ne tenterait jamais rien, après tout, il prenait bien son temps avec Rumplestiltskin. Et c’était encore plus vrai à présent qu’elle lui avait révélé le pacte qu’elle avait passé avec ce dernier.

Une fois de plus, et paradoxalement, c’était sa propre déloyauté qui la poussait à se méfier de Hook. Il n’avait alors pas eu de raisons de la trahir, là bas, dans la Forêt Enchantée. En y repensant, il avait d’ailleurs probablement prévu de s’allier avec eux depuis le départ : pourquoi, sinon, avait-il volé les deux bracelets à Cora qui leur permettrait d’escalader le haricot, alors qu’il se doutait qu’elle prendrait ce geste pour une trahison ? Maintenant, en revanche, il avait des raisons – c’était elle qui les lui avait fournies. Et il approchait de sa vengeance. Le vent tournait en sa faveur, cette fois. Au mieux, elle n’était qu’un simple outil pour lui, au pire, un ennemi, un obstacle à éliminer au plus vite. Ni l’une ni l’autre situation ne lui faisaient envie. Et quand bien même, ce n’était pas là la le cœur du problème. Il ne s’agissait pas de Hook, mais d’elle-même. Et sa réponse, dans tous les cas de figure, était la même, car Emma restait fidèle à elle-même, et elle savait ce qu’elle avait à faire.

Sa décision prise – le silence qui venait de s’écouler était une preuve suffisante, s’il en fallait une, qu’elle ne prenait pas ça à la légère -, elle répondit :

« Pourquoi me faire une offre dont tu connais déjà la réponse, Hook ? Tu sais que je ne peux pas accepter. Je suis prête à t’aider, si je le peux… mais ça ? Ça, ce n’est pas moi, et tu le sais. Je ne condamne pas ta vengeance, en fait… »

Elle hésita légèrement, mais décida d’être sincère jusqu’au bout.

« …En fait, je la comprends, je la trouve même légitime, dans un sens. Si c’était Henry, je… je ne sais pas ce que j’aurais fait à ta place. Peut-être que j’aurais été tentée, peut-être même que je… »

Elle secoua la tête, ses mèches blondes volant en rythme.

« Je ne sais pas, je ne sais vraiment pas. Je ne veux pas me donner des faux-airs de chevaliers blancs, car, crois-le ou non, je n’ai pas toujours été du bon côté de la justice moi non plus. » Et je sais ce que c’est que de perdre quelqu’un qu’on aime, d’être trahie, pensa-t-elle sans l’ajouter. « Mais je ne crois pas que la vengeance soit la solution », conclut-elle dans un murmure. « Désolée. »

Une fois de plus, elle le rejetait – encore que, le mot était un peu fort ici, mais l’idée était là. Mais cette fois au moins, elle le lui annonçait en face. Cette fois, pas de coups bas ; il méritait au moins sa franchise.
Si elle devait jouer un rôle actif dans la vengeance de Hook, elle savait qu’elle ne pourrait pas vivre avec. La question se serait peut-être réellement posée si une partie d’elle ne pensait pas que Gold pouvait changer – elle plaçait malgré elle certains espoirs en Belle – ou si elle avait eu la conviction qu’il ne serait jamais rien qu’un danger pour Storybrooke et ses habitants, qu’il n’y avait vraiment rien eu de bon en lui. Mais pour toutes les fois où il avait agi de façon répréhensible ou dangereuse (elle n’oubliait pas que sans Regina, elle et Mary Margaret n’auraient traversé le portail vers Storybrooke que pour finir rôties comme des poulets), il y avait toutes les fois où il leur était venu en aide. Souvent de façon intéressée, oui, et parfois même pour mieux les tromper et les manipuler… Mais l’amulette qui avait protégé Henry de ses cauchemars de feu lui avait été accordée gracieusement, fait suffisamment rare auprès du personnage pour que personne n’en ait jamais entendu parler. Et sa mémoire n’était pas sélective. En l’état, sa réponse était inflexible.

Elle aurait pu lui faire une contre-proposition, mais elle savait qu’elle avait aussi peu de chances de l’écarter de son objectif que lui, de faire d’elle ce qu’elle n’était pas, et elle ne lui fit pas cette offense. Elle n’approuvait peut-être pas son désir de vengeance, mais elle respectait le dévouement qu’il y mettait. Dans un sens, et même s’il ne tomberait certainement pas d’accord, elle avait le sentiment de plus l’aider en refusant qu’en acceptant. Non seulement la vengeance n’était pas la réponse, mais elle ne faisait que causer plus de peine, plus de mal. A soi aussi bien qu’aux autres – il suffisait de voir Regina pour comprendre. Toutes ces années passées à courir après sa revanche, alors qu’elles auraient pu servir à repartir de zéro. Et elle savait ce que c’était, elle était passée par là. Peut-être parce qu’elle n’avait eu personne de qui se venger, sinon sa naïveté, qui n’y avait d’ailleurs pas survécu. Mais elle s’était reconstruite. Lentement, difficilement, douloureusement. Et ça avait payé. Il était probable que Hook, s’il parvenait à accomplir sa vengeance, réaliserait rapidement qu’il n’avait plus rien d’autre devant lui. Se reconstruire était difficile, mais le but à atteindre permettait un nouveau départ. Une vengeance n’était rien d’autre qu’une fin, une impasse.

Mais elle n’avait pas l’intention de lui sortir de grands discours moralisateurs – dieu savait qu’elle détestait ça – ni même, en vérité, de le faire changer d’avis. Si elle avait senti qu’elle avait une chance de lui faire entrevoir raison, ou si elle n’avait pas pu si bien comprendre sa douleur, peut-être aurait-elle tenté. Mais ce n’était pas le cas, et elle le savait.

« Tu n'es... pas la première à me le répéter Emma. Je savais que tu n'accepterais pas, mais j'avais espéré que peut être tu arrêterais de te défier de moi. Il faut croire que je semble même mentir quand je dis la vérité. Cette fois il haussa bien les épaules, en rajoutant avec un petit sourire qui pouvait signifier... bien des choses. Je ne peux pas dire que je suis surpris. »

« Ne soit pas désolé Emma. Je sais ce qui m'attend après ça de toute façon. Il posa, presque inconsciemment sa main intacte sur son cœur, le regard sans doute un peu vide qui ne fixait même plus la jeune femme. Il n'y a plus rien ici. Plus rien à sauver. »

« Il semble qu'il va falloir se quitter Emma. Un plaisir de te revoir. »

Emma avait conscience que cet instant était un moment pivot de son existence, comme c’était le cas à chaque fois que l’on faisait un choix qui pouvait potentiellement influencer tout le restant de notre vie. Et c’était ce dont la vie était faite, pas vrai ? De choix. Elle plus que quiconque en avait conscience. Et elle n’avait pas toujours fait les bons. Peut-être qu’elle faisait une erreur en cet instant même. Mais il aurait été tellement plus facile d’accepter… et Emma avait depuis appris que la facilité ne menait que très rarement au chemin le plus juste. Elle espérait simplement que ce qu’il y avait bout valait la peine de se donner tout ce mal, car les vingt-huit années qui composaient son existence n’avaient été qu’un lot de complications et d’ennuis et que parfois, juste parfois, elle ne se sentait pas de taille pour tout ce qui pouvait l’attendre. Ses parents n’avaient pas non plus eu la vie facile, mais ils avaient pu se raccrocher l’un à l’autre. Elle, avait à présent Henry. Mais c’était différent : elle veillait sur Henry, mais qui veillait sur elle ?

Parcourue d’un frisson malgré la température assez douce, elle resserra ses bras autour de sa taille dans un geste à peine conscient. Elle détestait quand Mary Margaret et David la couvaient, la traitaient comme si elle n’était pas à présent une adulte qui s’était construite entièrement seule, comme si elle était encore la petite fille qu’ils n’avaient jamais vue grandir, mais par moments, elle était secrètement contente d’avoir deux personnes qui l’aimaient à retrouver lorsqu’elle rentrait chez elle, sur lesquels elle pouvait se reposer, se permettre l’espace de quelques secondes de ne pas être aussi forte, pas aussi intrépide qu’elle laissait tout le monde le penser. Elle ne leur montrait pas vraiment sa vulnérabilité, car parents ou non, ils n’étaient entrés dans sa vie que depuis quelques mois et elle avait encore du mal à accepter tous ces changements, mais elle s’autorisait à s’appuyer sur eux, juste un peu, juste une minute. Et c’était tout ce qu’il lui fallait.

« Tu n'es... pas la première à me le répéter Emma. Je savais que tu n'accepterais pas, mais j'avais espéré que peut être tu arrêterais de te défier de moi. Il faut croire que je semble même mentir quand je dis la vérité. Je ne peux pas dire que je suis surpris. »

Il ponctua sa réponse d’un sourire énigmatique à souhait. Qu’est-ce que ça voulait dire, au juste, ça ?! Emma se sentait comme une pelote de nerfs. Oh, elle connaissait le refrain. Ce « je n’attendais rien de toi, mais je suis quand même déçu » muet qu’ils avaient tous dans les yeux lorsqu’elle faisait un pas de travers. En dépit de tout ce qu’ils pouvaient dire, tous avaient des attentes vis-à-vis d’elle. Elle devait être la mère, la fille, l’amie, l’alliée, la Shérif, la Sauveuse. Et s’ils devaient retourner vivre dans la Forêt Enchantée comme sa mère le souhaitait, qu’est-ce que cela ferait d’elle ? Une princesse ? Grands dieux, la simple idée lui donnait envie de partir en courant. Ses mains retombèrent le long de son corps, les poings légèrement serrés. « Je ne suis pas surpris », « je savais que », « j’avais espéré » : c’était là, dans ces mots, à la différence que Hook lui disait les choses franchement plutôt que, comme les autres, tourner autour du pot de peur de la blesser. Et à vrai dire, elle était plus énervée que blessée, mais elle jugea préférable de mettre sa rancœur de côté – c’était son problème à elle, pas le sien.

Ses paroles lui avaient fait l’effet d’un seau d’eau glacé jeté en pleine figure, mais, à bien y réfléchir, elle aurait presque pu les retourner contre lui. Et si les rôles étaient inversés ? Car après tout, il y avait toujours deux versions d’une même histoire – ou plus, selon son nombre de protagonistes. Elle s’était défiée de lui, c’était vrai. Mais si à présent c’était lui qui se défiait d’elle ? Ne lui avait-elle pas, après tout, laissé entendre qu’elle était de son côté, pourvu qu’il ne lui demande pas de l’aider dans sa quête de vengeance ? Il ne semblait pas plus prêt à faire un pas vers elle qu’elle ne l’était à en faire un vers lui en vérité, et ils étaient figés dans cet entre-deux tant que l’un refusait de faire un pas vers l’autre. Il lui avait tendu la main, une fois. C’était probablement à son tour de faire un geste, mais la jeune femme ne savait simplement pas comment faire. Elle n’était plus habituée à laisser qui que ce soit percer ses défenses … dans son esprit, cela ne pouvait que mal finir.

« Peut-être que cette fois, c’est toi qui te défies de moi, Hook. Penses-y. Je peux t’aider, mais pas comme ça. »

L’atmosphère dans la forêt avait quelque chose de presque irréel en cet instant. Le soleil poursuivait son éternelle course qui touchait peu à peu à sa fin, enflammant le ciel de teintes ocre qui perçaient à travers la forêt de façon à donner une ambiance plus onirique que jamais à la scène. Un fourmillement désagréable se répandit dans son corps. La scène était trop intimiste, trop propice aux confessions, et c’était pour elle un signe qu’il fallait fuir au plus vite. Mais visiblement elle n’était pas la seule à ressentir cela.

« Ne soit pas désolé Emma. Je sais ce qui m'attend après ça de toute façon. Il n'y a plus rien ici. Plus rien à sauver. »

Elle suivit lentement des yeux sa main, qui s’était posée sur son cœur, avant de retomber, soudainement très consciente de son ton qui n’était ni moqueur, ni menaçant comme il l’était le plus souvent, mais parfaitement sérieux, presque absent, comme s’il n’avait pas réalisé qu’il était toujours en train de lui parler. Il avait eu la même expression quand elle lui avait pour la première fois parlé de Milah. Il pensait vraiment ce qu’il disait. Qu’il n’y avait plus rien à sauver en lui. Elle connaissait ce sentiment. Celui d’avoir un trou béant à la place du cœur – et c’était bien avant de découvrir qu’on pouvait effectivement voler le cœur d’une personne de façon aussi littérale que figurative.

« Conneries, lâcha-t-elle avec force. C’est ce dont tu essaies de te convaincre pour légitimer tes actes, mais tu sais quoi ? C’est faux. Complètement faux. N’importe qui peut être sauvé, encore faut-il le vouloir. »

Elle savait de quoi elle parlait, elle était passée par là. Elle aussi avait eu la conviction, après la trahison de Neal, après l’abandon d’Henry, après la mort de Graham et encore bien des fois depuis (car ce sentiment ne l’avait jamais vraiment quitté), qu’elle était une poupée brisée et que personne ne pourrait jamais recoller les morceaux éparpillés de son cœur. Que Henry serait plus heureux sans elle, parce que Regina était, en dépit de tout, une bonne mère pour lui, et que ses parents n’avaient pas besoin d’elle car ils avaient l’un et l’autre, que Graham sans elle serait encore vivant, que Storybrooke entier pouvait se passer d’elle sans que cela ne fasse aucune différence, ou alors au contraire que la ville s’en porterait mieux. Si elle n’avait pas été une battante, elle aurait déjà baissé les bras. Mais elle savait que c’était un simple refuge, une simple façon d’esquiver ses responsabilités : si elle parvenait à se convaincre que personne n’avait besoin d’elle, alors elle n’avait aucun devoir envers eux. Mais c’était faux. Et il n’était jamais trop tard. Pas même pour Hook.

Elle imaginait qu’après toutes ces années à ruminer sa vengeance, il en avait perdu tout le sens : seul le but restait, comme la source de lumière au bout d’un tunnel infini, qui ne semblait jamais s’approcher ni jamais s’éloigner. Il devait penser être déjà allé trop loin pour faire marche arrière. Mais si elle avait pu lui poser la question, elle lui aurait demandé s’il se souvenait encore des traits de Milah. Après tout ce temps, savait-il encore à quoi ressemblait la femme qu’il tentait de venger ? Aurait-elle seulement approuvé la façon dont il gâchait sa vie pour elle ? Et Rumplestiltskin ? Etait-il le même homme que Gold ? Courrait-il toujours après le même ennemi ? Se posait-il même toutes ces questions, ou se réfugiait-il dans la consolation vide que lui offrait sa quête de revanche ? Mais toutes ces questions, ce n’était pas à elle de se les poser. Elle reposa les yeux sur le pirate avec un mélange de tristesse et une pointe d’agacement. Elle avait envie de le secouer. De lui faire voir raison. Est-ce que cela servirait seulement à quelque chose ? Etait-ce son rôle ? Elle esquissa un petit sourire amer. A force d’essayer de répondre aux attentes de tous, elle ne savait plus vraiment où se situait la véritable Emma dans tout ça. Sûrement aurait-elle déjà pris la poudre d’escampette.

« Il semble qu'il va falloir se quitter Emma. Un plaisir de te revoir. »

« Hook, attends ! »

Avant qu’il ne puisse partir, sous une impulsion irréfléchie, elle l’attrapa vivement d’une main, saisissant son poignet avec force pour l’empêcher de s’échapper. Elle avait le sentiment d’avoir un millier de choses à lui dire, et absolument aucune idée de comment les communiquer.

Elle s’approcha légèrement de lui, se hissant légèrement sur ses bottes sans s’en rendre compte, ses yeux plongés intensément dans les siens pendant de longues secondes, son visage à quelques centimètres du sien, comme si elle était sur le point de déposer un baiser sur sa joue, puis se reprit en réalisant ce qu’elle était sur le point de faire et le relâcha aussitôt, ses doigts glissants brièvement sur la lame froide de son crochet.

Qu’est-ce qu’il lui prenait ? Elle n’allait tout de même pas embrasser Hook, capitaine Hook ?! Qui n’était peut-être pas un ennemi mais certainement pas un allié non plus ! Quoi, juste parce qu’il avait paru pendant quelques secondes blessé et inconsolable, un peu trop perdu, un peu trop comme elle ? Parce qu’elle comprenait un peu trop bien ce qu’il ressentait ? Parce qu’elle voulait lui prouver qu’il pouvait être sauvé ? Sérieusement ?!
Quelle qu’en fut la raison, elle était absurde. Elle avait toujours été impulsive, mais ça… ça, c’était nouveau. Et ça ne lui plaisait pas. Elle se serait donné des gifles. Alors quoi, il suffisait de sortir le grand jeu du « je suis seul, personne ne m’aime » pour l’attendrir (ce qui n’était certes pas exactement ce que le pirate avait voulu exprimer de toute façon) ? Elle avait d’autres problèmes sur les bras que les scrupules de Hook – ou plutôt, leur absence. Et ce n’était pas un baiser au coin des lèvres qui allait l’aider d’une quelconque façon – en fait la dernière fois qu’elle avait embrassé quelqu’un, prête enfin à lui faire confiance, il était mort. Mais bordel, d’où cette idée lui sortait-elle ?!

Les yeux écarquillés, elle fit un pas en arrière, puis deux, avant de murmurer :

« Je… je suis désolée… je dois y aller. »

Et elle disparut dans la forêt sans se retourner.